Petit guide à l'usage des jeunes avocats confrontés à un confrère arrogant.
Le confrère arrogant, il peut avoir 1 an de barre ou 50. Globalement, c'est celui qui te plaide le dossier au téléphone en te raillant, qui répond à tes mails avec mépris
ou qui tente de te déstabiliser en audience (j'ai eu celui qui m'a jeté mes conclusions à la gueule, celui qui a décidé arbitrairement qu'il aller plaider à droite alors que l'usage est à gauche en pensant m'ennuyer, celui qui te regarde de haut avec son client,
celui qui t'appelle Mademoiselle, celui qui dit au magistrat que tu es charmante -et a priori, rien de plus-, celui qui te dit que c'est lui qui a bâti la jurisprudence en cette matière, celui qui t'explique de manière hautaine pourquoi ton dossier ne tiendra pas,
celui qui te dit qu'il ira jusqu'en cassation sur ce dossier à 6000 euros, celui qui te fait croire que ton client ne t'aurait pas tout dit, sans jamais plus de précisions, etc : vous m'avez compris, la liste est SUPER LONGUE).
Ces confrères m'ont déstabilisé pendant un temps. A cause d'eux, j'ai pu perdre tous mes moyens en audience, ou répondre faiblement au téléphone, appeler tous mes amis pour vérifier si ce que j'avais prévu dans tel ou tel dossier était pertinent, parce qu'il m'avait mis le doute.
J'ai tout tenté, aussi : leur répondre en m'énervant, leur répondre calmement avec de la repartie (mais souvient, elle vient après), les ignorer.
Après 10 ans à tenter de les gérer, j'en suis sure, il n'y a qu'une seule façon de procéder. Rien de compliqué.
1. Tu le laisses parler sans l'interrompre, peu importe ce qu'il dit. Déjà, parce que tu n'arriveras pas à le stopper. Surtout, parce que il prend la confiance, plus il se place en difficulté.
Typiquement, il peut te balancer des trucs utiles sur le dossier, sans s'en rendre compte, tellement il est sur de lui.
Il peut aussi être tellement hautain en audience que quand viendra ton tour de parler, tu bénéficieras de plus d'écoute de la part du magistrat.
Et puis contrairement à lui, tu n'as pas été élevé avec les loups. Tu restes poli, respectueux, courtois. Chacun son tour.
2. Tu notes ce qu'il te dit, tu résumes ça en quelques points, si possible par écrit - il n'y a pas forcément grand chose, au milieu de ses 15 minutes de blabla.
Si tu es au téléphone, tu ne réponds pas immédiatement, tu conclus poliment et tu raccroches. Idem si tu es en face de lui, par exemple en sortie d'audience. Inutile de répondre sur le coup. Tu vas affuter tes armes et ca se fait toujours mieux à tête reposée.
Si tu es en audience, tu souffles et tu réfléchis. Tu sépares ce qui mérite une réponse de ce qui n'en mérite pas (ca s'apprend avec le temps, mais en gros, il ne s'agit que de ne répondre qu'à ce qui est susceptible d'influer sur la décision).
et/ou ce qui est vraiment trop choquant/trop insultant pour ton client.
3. Tu prépares ta revanche, enfin ton argumentation. D'abord, tu te souviens que si tu es là, ce n'est pas par hasard. Tu es le fruit de longues années d'études, d'un début d'expérience professionnelle, et surtout, de la confiance du client ou du cab qui t'as donné le dossier.
Ensuite, tu deviens mathématique : tu trouves une réponse à chaque argument pertinent qu'il a évoqué. Il y a TOUJOURS quelque chose à dire. Ca s'apprend. D'ailleurs, souvent, lorsque le confrère se permet un tel comportement, c'est que son dossier n'est pas 100% carré.
Et puis l'adage "tel avocat, tel client" se vérifie régulièrement.
4. Et voici le moment de lui montrer qui tu es. D'abord, sois d'une courtoisie extrême. Ca le calmera, ou pas, ca lui montrera en tout cas que son comportement n'a pas de prise sur toi.
Quand aux juges, ils ne détestent rien de plus que les petits conflits entre avocats à la barre. A longueur de journée, ça les fatigue et ca fait rarement avancer les débats, alors que l'audience est déjà chargée. Sois donc le plus intelligent des deux.
Ensuite, tu réponds, mathématiquement, en étant bien ancré au sol, mains à plat. Une affirmation = une réponse. Tu peux placer une pointe subtile d'ironie, à condition de la manier avec parcimonie et toujours, en restant parfaitement poli, quoi que tu penses de lui.
Si tu échanges avec lui hors juridiction, tu peux préférer le faire par écrit - si tu te sens regonflé à bloc, tu peux l'appeler, mais il faudra savoir rester maître de soi.
Si c'est en audience, déroule ta réponse calmement, en état très organisé. Il ne faut pas que le magistrat n'y voit qu'une réplique de colère ou de fierté.
Si ton adversaire t'interrompt, ne le regarde pas. Demande calmement au magistrat, en tant que police de l'audience, de bien vouloir lui demander de te laisser t'exprimer sans t'interrompre, ainsi que tu l'as fait lorsque c'était son tour.
La clé, c'est de rester maître de ses émotions. Le but de ce confrère est de te faire douter, perdre tes moyens, t'énerver. La seule chose à faire est de ne pas lui donner satisfaction.
Voilà. Rien de révolutionnaire dans ce thread. Je l'ai écris parce que j'aurais aimé le lire il y a quelques années. Bon courage, il y a heureusement aussi (et ici) des confrères merveilleux, avec lesquels on échange sans faire de concours de taille d'organe.
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