La prolongation des centrales nucléaires est un sujet clef de notre mix électrique.
Mais concrètement, qu’est-ce que fait EDF pour pouvoir garantir qu’elles peuvent fonctionner plus longtemps ?
Pour quel coût ? Et qu’en pense l’autorité de sûreté ?

#Thread en images!
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Tout d’abord, en France comme dans la plupart des pays européens, la durée de fonctionnement des centrales nucléaires n’est pas limitée a priori. En contrepartie, le code de l’environnement impose à EDF un examen en profondeur d’une centrale tous les 10 ans.
L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) va ainsi analyser le vieillissement du matériel et demander des améliorations du niveau de sûreté. A l’issue de cet examen (Visite Décennale ou VD), elle donnera son autorisation (ou pas) pour une prolongation de 10 ans.
Entre 2020 et 2030, les plus anciens réacteurs en fonctionnement en France, les 900 MW, vont passer leur quatrième examen de ce type (VD4) pour pouvoir continuer de fonctionner jusqu’à 50 ans. Cela va donc concerner 32 réacteurs sur les 56 actuellement en fonctionnement.
Pour commencer, un bref rappel en 3 tweets du fonctionnement d’une centrale nucléaire :
*Dans le Bâtiment Réacteur, se trouve la cuve avec l’Uranium qui, lors d’une réaction de fission, va dégager de la chaleur, ce qui va chauffer l’eau du circuit primaire (orange sur le schéma)
*Dans les générateurs de vapeur, cette chaleur va être utilisée pour chauffer et évaporer l’eau d’un circuit indépendant, le circuit secondaire (en bleu).

*Cette vapeur va faire tourner une turbine qui entraîne à son tour l’alternateur qui va produire de l’électricité
* À la sortie de la turbine, la vapeur du circuit secondaire est à nouveau transformée en eau grâce à un condenseur dans lequel circule de l'eau froide (en vert) en provenance de la mer, d'un fleuve ou via une tour de refroidissement (aéroréfrigérant).
Ce petit rappel effectué, on va pouvoir rentrer dans le cœur du sujet.
Pour ce quatrième réexamen périodique, deux enjeux principaux sont mis en avant par l’autorité de sûreté (ASN) : La conformité et l’amélioration de la sûreté.
Les enjeux de conformité

*Le premier examen est l’inspection de la cuve du réacteur. Cette dernière ne pouvant pas être remplacée, il faut en contrôler minutieusement le vieillissement. Cette opération se fait via la MIS, un robot de 12 tonnes et 7m de haut !
*On va ensuite contrôler l’étanchéité de l’enceinte de confinement (en gros l’enveloppe en béton) du bâtiment réacteur en la surpressurisant à 5 fois la pression atmosphérique. C’est d’autant plus important car c’est l’autre élément de la centrale qu’on ne peut pas changer.
*L’épreuve hydraulique : cet examen consiste à soumettre les circuits primaire et secondaire à une pression bien supérieure à celle du fonctionnement normal. On passe ainsi de 155 à 206 bars pour le circuit primaire et de 75 à 90 bars pour le circuit secondaire.
*Le contrôle du vieillissement des matériels et leur remplacement si nécessaire. Un premier exemple emblématique de remplacement sont les Générateurs de Vapeur dont on a déjà parlé. C’est une grosse opération car ils pèsent 330t (!) l’unité et le remplacement coûte 150M€.
Un autre exemple moins connu sont les Tambours Filtrants. C’est une espèce de tambour de machine à laver de 15m de diamètre qui sert à filtrer l’eau prélevée dans la mer ou le fleuve pour le refroidissement de la centrale.
*On notera aussi la prise en compte du changement climatique, notamment via le référentiel « Grands Chauds » qui définit des températures extrêmes d’air et d’eau auxquelles la centrale doit pouvoir être confrontée tout en garantissant le bon fonctionnement des systèmes de sûreté.
La température extrême de référence correspondant à une occurrence d’une fois sur 10 000 ans en prenant en compte le réchauffement climatique jusqu’en 2042. Ceci nécessitera des changements de matériel et/ou des modifications des dispositifs de ventilation/climatisation.
Le deuxième enjeu est celui de l’amélioration de la sûreté qui doit faire tendre celle de ces réacteurs vers les meilleurs standards de sûreté actuels, c’est-à-dire ceux de l’EPR.

On peut regrouper ces améliorations en deux parties : Les génériques et celles liées à Fukushima.
Concernant les modifications génériques, on compte par exemple :
*La mise en place d’un récupérateur de corium : en cas d’accident nucléaire, s’il y a une fusion du cœur (les barres de combustibles fondent car plus assez refroidies), ce dernier devient une sorte de magma…
… le corium (de l’anglais « core »=cœur) qui peut percer la cuve réacteur. Pour éviter que ce corium ne perce ensuite la dalle de béton du bâtiment et atteigne l’environnement, il faut installer un dispositif pour le récupérer et le refroidir.
*On peut aussi citer deux nouveaux dispositifs de refroidissement en cas d’accident, un circuit supplémentaire permettant d’évacuer l’énergie de l’enceinte réacteur sans avoir à l’ouvrir et un conteneur semi-mobile capable de refroidir la piscine d’entreposage du combustible usé.
De l’autre côté, on a les modifications post-Fukushima qui sont déjà mises en œuvre pour certaines et qui seront terminées pour ce réexamen périodique. Vous allez voir, elles sont plus faciles à se représenter :)
*Les Diesels Ultimes Secours ou DUS pour les intimes. Ce sont des gros bâtiments capables de résister aux événements extrêmes (séismes, tornade, inondation…) et abritant un groupe électrogène pour fournir de l’électricité aux systèmes de sûreté de la centrale si besoin.
*Le rehaussement des digues pour protéger contre le risque d’inondation.

*La Force d’Action Rapide du Nucléaire (FARN), composée de 300 personnes sur 4 bases régionales capable d’intervenir en moins de 24h pour rétablir l’alimentation en eau et en électricité.
*L’Appoint en eau ultime pour alimenter la centrale en eau pour se refroidir si elle ne peut plus le faire de manière normale. Elle peut prendre la forme d’un forage vers une nappe phréatique ou la construction d’une réserve d’eau (~5000m3).
*Le Centre de Crise Locale, bâtiment bunkérisé de 1000m² capable de résister aussi aux événements extrêmes, fournissant télécom, retransmission d’informations, zone de décontamination et logistique de vie permettant une autonomie de 3 jours.
Ce ne sont ici que quelques exemples, pour les passionnés voici un schéma plus complet avec des explications si vous voulez en savoir plus (normalement vous devriez en reconnaître quelques-uns d’après ce qu’on a déjà vu 😉) :
Au final, l’ensemble de ces mesures d’amélioration de la sûreté font qu’EDF estime qu’en cas d’accident avec fusion du cœur, les doses à la population seront inférieures aux seuils nécessitant d’évacuer au-delà de 5km de la centrale et de prendre de l’iode au-delà de 10km.
Comment ce programme sera-t-il validé ?

C’est l’ASN qui est en charge d’autoriser le prolongement des tranches. Elle rendra un avis générique pour le palier 900 MW cette année et ensuite un avis spécifique pour chaque centrale après les travaux.
L’IRSN, qui est l’appui technique de l’ASN, juge ce programme « sans équivalent » et « devrait lui permettre de répondre aux objectifs fixés par l’ASN, moyennant des recommandations de compléments significatifs à la démonstration de sûreté et de modifications d’installation »
A noter, de nombreuses consultations auprès du public ont été faites durant la phase d’instruction du dossier et continueront pour la prolongation de chacune des tranches. Tous les éléments du débat sont accessibles sur le site https://concertation.suretenucleaire.fr/ 
Quel coût pour le prolongement des centrales ?

Une dizaine de millions d’heures d’ingénierie et de l’ordre de 7Mds€ de travaux pour les VD4 900MW, soit environ 3,5€/MWh pour 10 ans de fonctionnement supplémentaire.
Ceci dit, pour bien comprendre, il est indispensable d’évoquer le projet « Grand Carénage » d’EDF. Ce Programme recouvre l’ensemble des investissements ayant pour but la maintenance et la prolongation du Parc nucléaire sur la période 2014-2025.
Son coût est de 45Mds€. Il recouvre un programme très large : toute la maintenance habituelle du parc, les VD4 900MW (et autres VD) ainsi que les modifications post-Fukushima. Il représente ainsi environ 4Mds€/an alors que les investissements étaient de 3Mds€/an avant 2014.
"Ce programme n’est pas chiffré à 100Mds€ par la Cour des Comptes ?"

Si, et les chiffres sont raccords avec ceux d’EDF, le périmètre est juste différent : la Cour prend une période plus longue (2014-2030) et y ajoute les dépenses d’exploitation à celles d’investissement.
L’ensemble de ces coûts étant bien sûr pris en compte dans le coût complet de 62€/MWh donné par le Cour des Comptes dans son rapport.
Pour plus d’informations sur le coût complet du nucléaire, voir ce thread (auto-pub!) : https://twitter.com/kevin_arnoux/status/1265006369570279429
Est-il rentable de prolonger une centrale nucléaire ?

Pour évaluer la pertinence de prolonger une centrale, on s’intéresse uniquement aux coûts futurs. D’après le rapport de la Cour des Comptes de 2014, la somme des coûts d’investissements et d’exploitation est de 36€/MWh.
+ les optimisations sur le programme Grand Carénage, on arrive à 33€/MWh.
Concernant les coûts des provisions :
*Il en faudra de nouvelles pour les déchets en plus
*Un gain sera fait sur celles du démantèlement car c’est déjà provisionné à 100% et on va l’éloigner dans le temps
Au final, même en ajoutant à cela un coût du capital, on sera sur un coût total de production dans la fourchette [33-40] €/MWh. Prolonger les centrales nucléaires existantes est donc une opération rentable financièrement (prix de marché actuels à 44€/MWh et ARENH à 42€/MWh).
Conclusion

En France, les centrales nucléaires n’ont pas de durée de vie prédéfinie. Les plus vieilles vont passer leur 4ème réexamen périodique pour aller jusqu’à 50 ans. De nombreuses modifications, à valider par l’ASN, permettront cette prolongation, rentable financièrement.
📔 Quelques autres threads/vidéos sur le sujet :
* La « limite » des 40 ans par @TristanKamin : https://twitter.com/TristanKamin/status/1106244777736065025
* Coûts du Grand Carénage par @frdossant : https://twitter.com/frdossant/status/1193247550058446848
* La fermeture Fessenheim par @Le_Reveilleur :
🔴Petite précision sur le "récupérateur de corium". Il y aura bien un dispositif qui sera mis en place pour faciliter son étalement et son noyage. Cependant on n'aura pas quelque chose de similaire à l'EPR (qui est celui de la photo) car pas la place. Ce sera plus comme ça :
You can follow @kevin_arnoux.
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