Salut l'équipe ✌️

Aujourd'hui suite et fin de mes threads sur les Breton•nes de Paris et de Saint-Denis au début du XXe siècle !

On s'installe confortablement, on se prend un café, on se met à l’aise (1/~75)
Je remets les parties précédentes pour celles et ceux n'ayant pas suivi :

➡️ Intro
https://twitter.com/mezzo_gabber/status/1298247170878058497

➡️ Partie contexte
https://twitter.com/mezzo_gabber/status/1298618114175913987

➡️ Étude du camp catholique de la diaspora https://twitter.com/mezzo_gabber/status/1298956673869139979
Aujourd’hui je vais vous parler des socialistes et des communistes chez les Breton•nes de Paris et de Saint-Denis, et j’pense que ça peut intéresser pas mal d’entre vous 💫
Alors comme je l’ai dit dans mon premier thread, cette recherche sur les Breton•nes socialistes et communistes de Paris et Saint-Denis repose sur l’étude de deux associations et deux journaux communautaires.
Les associations en question sont Les Bretons émancipés de la région parisienne (créés en 1930) et l’Amicale des Bretons de Saint-Denis (créée en 1933).

L’activité de ces deux assos est documentée par le journal War Sao, tiré entre 1937 et 1955.
Durant mes recherches je suis aussi tombé sur un journal communautaire à destination des Breton•nes de Paris qui s’appelle sobrement « Le prolétaire breton à Paris », publié uniquement en 1914.
De ma période d’étude allant de 1897 à 1939, on peut facilement dire que les réseaux d’entraide catholiques ont été les plus importants de la diaspora jusqu’en 1930.

La création des Bretons émancipés marque donc un tournant politique intéressant.
Si l’existence du « prolétaire breton à Paris » en 1914 nous montre que les thèses socialistes trouvaient déjà écho dans la diaspora bretonne avant la première guerre, elles trouvent une résonance particulière dans les années 1930, après la disparition de la Paroisse bretonne.
Il y a trois différences notables entre les organisations catholiques et socialistes de la diaspora. Premièrement, quand les catholiques tentaient de réguler un maximum les flux, les socialistes n’y attachaient pas d’importance particulière.
Ensuite, les socialistes et communistes des Breton•nes de Paris et Saint-Denis entretenaient des liens beaucoup plus étroit avec la « petite patrie », et allaient souvent y faire de l’agitprop, notamment dans le cadre du Front populaire.
Enfin, à la différence de la Paroisse bretonne, les Bretons émancipés ou l’Amicale n’offraient pas d’avantages matériels en contrepartie d’une adhésion.

Il n’y avait pas de structure comparable au bureau de placement catholique.
Si je distingue socialistes et communistes depuis tout à l’heure c’est évidemment en raison de la tenue du congrès de Tours en 1920.

Toutefois si les deux tendances se séparent pour former deux partis distincts, la fracture semble moindre au sein de la diaspora bretonne.
On peut expliquer cette union relative en raison du faible nombre de Breton•nes rouges dans le département de la Seine, imposant une certaine cohésion pour pouvoir peser politiquement.
"War Sao" résume sa ligne éditoriale en 2 mots : «Bretagne» et «Front populaire» (bon ok ça fait 3 mots).
On peut dire que les rouges de la diaspora se rassemblent globalement sous la bannière du FP, et qu’il n’y a pas de lutte politique interne au camp socialiste de la diaspora
On va maintenant mettre quelques têtes sur ces Breton•nes de Paris socialistes et communistes (poke @MaitronD qui m'a bien servi).

Bon malheureusement c’est pas vraiment paritaire et on retrouve que des hommes, y’avait pas de Joséphine Pencalet locale.
Le premier dont je vais vous parler, à peu près tout le monde le connaît, lui et sa grosse moustache.

Marcel Cachin a été une figure importante des Breton•nes socialistes de la diaspora. C’est lui qui créé les Bretons émancipés et qui préside le journal de l’association.
Ensuite, deux figures moins connues : Jean et Jules Trémel. Jean débarque à Saint-Denis en 1888 pour bosser dans la compagnie des chemins de fer du Nord. Il s’engage rapidement en politique et créé le Groupe Socialiste Breton, rattaché à la Fédé Socialiste Autonome de Bretagne.
Il est élu conseiller municipal en 1904, puis adjoint de Gaston Philippe en 1912, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1921. Pour le journal War Sao, « c’est beaucoup grâce à lui que Saint-Denis devint la ville rouge ».
20 000 personnes assisteront à ses obsèques.
Son petit frère Jules reprendra le flambeau, et entre au conseil municipal en 1925 sur la liste Bloc Ouvrier et Paysan, d’inspiration communiste.

Jacques Doriot qui était pas encore un fasciste assumé, poussa pour que Jules fonde l’Amicale des Bretons de Saint-Denis.
Cette amicale sera plus fidèle à des idées et à un homme qu’à un parti.

Jules Trémel se fait virer du PCF en 34 sur fond de tensions internes, mais continue à mobiliser massivement son électorat dans les élections suivantes.
Lorsque Doriot vire facho officiellement en créant le Parti populaire français (PPF) en 36 et tente de briguer la mairie de Saint-Denis, ce sera en grande partie grâce à la forte mobilisation de l’Amicale qu’il n’obtiendra pas le poste de maire.
Fernand Grenier (en photo) est mandaté par le PCF pour contrer Doriot, et se place à la tête d’une liste Front pop sur laquelle figure Trémel et l’Amicale en tant que formation politique à part entière.

La liste bat le PPF, et Trémel obtient même + de voix que le futur maire.
On voit au travers de cet épisode que l’Amicale des bretons de Saint-Denis est un quasi-parti politique, et qu’elle sait peser de tout son poids pour contrer la menace fasciste.

Cette association est un cas très particulier dans la diaspora bretonne.
Sur cet événement, Cachin déclarera :

« Je n’oublie pas [...] les Bretons de Saint-Denis qui ont tant contribué à chasser l’hitlérien Doriot de la ville qu’il déshonorait ».

Jules Trémel revient sur sa victoire dans les colonnes de "War Sao" en 1938 :
Maintenant qu’on a vu quelques figures, on va parler un peu plus longuement des journaux.

Commençons par « Le prolétaire breton à Paris », première trace visible du socialisme dans la diaspora bretonne, publié en 1914 soit bien avant les victoires politiques de l’Amicale.
Ce journal mobilise des contributeurs assez connus, comme le militant socialiste Augustin Hamon (photo 1), le secrétaire de la fédération socialiste de la Loire-Inférieure Charles Brunellière (photo 2), le politique René Dubois, ou encore Charles-Ange Laisant.
Le journal s’affilie au parti socialiste, comme cet édito le montre assez clairement :
Contemporain de la Paroisse bretonne, le journal se pose comme ennemi du camp catholique dont il est question dans l'extrait suivant :
Pour que vous vous rendiez un peu compte de la tension politique interne à la diaspora bretonne, je vous mets ici un article comparant deux cortèges : celui organisé en souvenir de Jeanne d’Arc, et la montée au mur des fédérés.

C’est un peu long mais c’est assez révélateur :
Passons maintenant à "War Sao", qui a connu une période de publication bien plus longue et contient un grand nombre d’information sur les associations qui nous intéressent.

On peut déjà noter le sous-titre du journal, qui donne directement le ton :
Ce journal présente la particularité de publier à chaque numéro un article écrit en breton. L’article peut traiter de sujets légers, de faits-divers, ou de problèmes politiques complexes.
La défense de la langue bretonne est politisée par les rédacteurs de War Sao qui veulent faire entrer sa pratique dans un référentiel plus large, plus socialiste.
De manière générale, les Bretons émancipés veulent faire basculer pleinement la Bretagne dans la lutte des classes :
Le principal frein à ce progrès social est rapidement identifié :

« Ce que tu dois combattre c’est le cléricalisme politique qui veut faire de la religion un instrument de terreur au service du matérialisme le plus sordide »
Comme la Paroisse bretonne, les Bretons émancipés caressent le rêve de fonder une section par arrondissement et par ville de banlieue.

Si la Paroisse n’a jamais atteint son but, les rouges ont plutôt bien réussi leur coup.
Rassemblant jusqu’à 1 600 membres actifs en 1937, on dénombre 17 sections.

On retrouve des traces d’implantation dans les Ve, XIe, XIIIe, XIVe, XVe, XVIIIe et XIXe arrondissements de Paris.
Et dans les villes d’Ivry, Gennevilliers, Boulogne, Pantin, Villeneuve-le-Roi, Colombes, Villejuif, Verrières, Cormeilles-en-Parisis, Stains et Montreuil.
Parmi les sections les plus importantes on distingue celle du XIIIe (300 adhérent•es) qui réussira même à placer un membre à la mairie d’arrondissement. On distingue aussi celle du XVe et celle d’Ivry.
La section d’Ivry est très active, et organise une « fête d’amitié Bretagne-Île-de-France » sur deux jours en 1937. La fête se termine par une déambulation en musique de la mairie jusqu’au stade Lénine (ça s’invente pas).
Dans le stade, on élit une reine des Breton•nes d’Ivry, et Marcel Cachin prononce un discours remarqué.
L’Amicale et les Bretons émancipés entretiennent d’étroites relations.

Cachin le souligne d’ailleurs régulièrement :
Maintenant qu’on a pu dresser un panorama du réseau associatif des socialistes et communistes de la diaspora, on peut se pencher un peu plus sur leurs prises de position et les comparer avec celles du versant catholique des Breton•nes de Paris
Pour ça, on va étudier deux choses :

➡️ Le rapport à l’état français (toujours lui 😡)

➡️ L’engagement international
On l’a vu dans la partie précédente, les cathos sont très critiques envers la France et s’engagent dans le mouvement régionaliste.

Les rouges sont eux aussi assez critiques mais pour des raisons différentes. Ils fustigent une république bourgeoise et un désengagement de l’État.
Si les rouges sont critiques de la république, il n’est pas question d’une remise en cause du système républicain et il n’est jamais fait mention dans les lignes du journal de quelconque velléité révolutionnaire d’inspiration marxiste.

(désolé le FLB)
Le journal "War Sao" appelle à l’unité nationale pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses.

Une autre différence notable entre les rouges et les blancs est l’engagement à l’international 👇
On ne retrouve presque aucune mention de ce qui se passe à l’étranger dans les colonnes de la Paroisse, pourtant contemporaine de la 1GM.

Dans War Sao en revanche, on retrouve un grand nombre d’articles relatifs à la guerre d’Espagne.
Les Bretons émancipés vont même jusqu’à envoyer des volontaires combattre sur le front espagnol dans les brigades internationales.

La solidarité s’organise aussi sur le front humanitaire. War Sao ouvre une souscription au profit des enfants victimes du fascisme.
La solidarité s’organise surtout avec le pays Basque, région qui présente des points communs avec la Bretagne, notamment autour des questions la langue. 


José Antonio de Aguirre, président catho du gouvernement basque, exprime sa reconnaissance envers les Bretons émancipés :
Note : il y a eu un grand nombre de réfugié•es espagnols en Bretagne durant la guerre et après la retirada. Comme partout en France, les conditions d’accueil ont été désastreuses.

À ce sujet, lire Isabelle Le Boulanger, « L'Exil espagnol en Bretagne (1937-1940) »
Pour terminer ce thread, on va s’intéresser à l’articulation de l’identité bretonne, de l’engagement socialiste, et de la condition d’immigré.

Commençons par parler du rapport des rouges de la diaspora avec leur terre natale.
Les Bretons émancipés se donnent l’objectif d’éducation de leur petite patrie.

Dans le premier numéro de War Sao, on peut lire :
Le journal sert de relais de témoignages d’exploitations capitalistes en Bretagne, et permet de mettre en lumière certaines situations abusives et relations entre capital et politique.

Les Bretons émancipés aident aussi à la constitution de caisses de grève en Bretagne.
NB : allez streamer l'émission qu'on a fait sur les caisses de grève avec @radioparleur https://twitter.com/mezzo_gabber/status/1287374068463939584
C’est le cas notamment lors de la grève des teilleurs et teilleuses de lin de Lannion (poke @rndznskerbrat )
L’association se lance également dans un parrainage politique de certaines communes.

Ce parrainage se traduit par l’envoi de journaux progressistes pour contrer l’influence de journal réactionnaire l’Ouest-Éclair (je vous mets cette Une pcq c'est cocasse vs allez voir)
NB sur ce torchon fasciste :

Devenu Ouest France après la Libération, l’Ouest-Éclair a été interdit en raison de la collaboration active de son directeur, ainsi que certains journalistes. Beaucoup de membres n’ont pas été purgés

(poke @VN_Merilahti je sais que tu les hais)
Les Bretons Émancipés abonnent un certain nombre de Breton•nes à « La Terre » de Waldeck-Rochet, dont la ligne édito est à l’opposé de l’Ouest-Éclair. On lit un témoignage de ce parrainnage dans War Sao :
Les Bretons émancipés s’impliquent aussi physiquement en Bretagne et font partie d’un grand nombre de manifestations du Front populaire.

Ils sont aussi de la fête à pont-l’abbé dans un rassemblement organisé par le PCF : https://twitter.com/mezzo_gabber/status/1207704642823557126
Les rouges de la diaspora profitent des congés payés fraichement acquis pour rentrer faire de la propagande en Bretagne dès qu’ils en ont l’occasion.

Ce fait est notamment relayé par War Sao :
You can follow @mezzo_gabber.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

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