Ceci est un egg cream.

C'est un soda au chocolat.

C'est aussi une fascinante petite histoire de structuration du marché.
Au XIXe siècle après la découverte de procédés permettant de rendre l'eau pétillante à volonté, une industrie du bar à sodas, ou "soda fountain" se développe dans les grandes villes états-uniennes (mais aussi en Europe).
En effet on est avant l'émergence des grandes marques de sodas en bouteille ou en boîte, qui émergent à la fin du XIXe. Le soda se consomme donc préparé sur place, comme un cocktail, souvent grâce à un mélange de sirops et d'autres ingrédients, dont l'eau pétillante.
Le egg cream en est un bon exemple, étant une boisson composée de sirop de chocolat, de lait, et d'eau gazeuse. En "grattant" le fond du verre on émulsionne le lait et le chocolat et on fait mousser le verre ce qui donne à un egg cream réussi une belle tête mousseuse.
Vous aurez noté que le egg cream (crème oeuf donc) ne contient ni crème ni oeuf. Il se peut que le nom soit une déformation du yiddish, il se peut que ce soit une déformation du français, il se peut qu'il y ait juste eu des laits chocolatés avec des oeufs et de la crème avant.
Mais qui dit boissons et bars dit production et fournisseurs ! C'est là que ça devient intéressant.
Aujourd'hui la production de sirop est essentiellement industrialisée. Si vous êtes limonadier et que vous voulez vous fournir en sirop, vous vous tournez probablement vers une grande marque ou vous fournissez chez un grossiste. Mais dans le New York du début du XXe ?
A cette période la production est en partie assurée par de petits fournisseurs, qui opèrent essentiellement sur un marché contraint par la distance, et donc à relativement petite échelle.
Alors il ne faut pas non plus imaginer un type qui fait du sirop dans sa cuisine, mais davantage de petites usines insérées dans des espaces où on trouvait par ailleurs des habitations.
Et ensuite il y avait de plus gros producteurs, dont Fox's U-Bet, encore la marque de référence pour les amateurs de egg cream.
C'est ces plus gros producteurs qui sont réunis en 1929 par un monsieur Harry Dolowich, et qui ont formé un trust connu plus tard sous le nom du racket des sirops.
Le système est le suivant : si vous voulez vendre du sirop de chocolat à New York, vous adhérez au racket et vous payez rubis sur l'ongle. En échange vous avez droit à une part déterminée du marché et comme on ne fait pas de compétition entre amis vous pouvez lever les prix.
Si vous voulez pas rejoindre le trust, il y a plusieurs options : quelqu'un peut éventuellement avertir la répression des fraudes que vous ne respectez pas la régulation, ou allait avertir vos clients de rumeurs pas jolies-jolies sur vos produits.
La méthode la plus efficace étant cependant celle du "dead wagon". En gros, si vous voyez un client pour lui vendre votre sirop, un membre du racket va venir le voir juste après et juste proposer de lui vendre moins cher que vous, quitte à vendre à perte.
Les grosses boîtes peuvent après tout se permettre d'éponger les pertes. Pas les petites. Et à terme, ces dernières n'ayant plus de clients, mettent la clé sous la porte, vendent, ou rentrent dans le rang.
En 1931, et malgré la crise économique, Harry Dolowich et ses comparses allaient donc plutôt bien, tandis que leurs victimes étaient pressurées dans un contexte où le chômage voulait dire la misère noire. S'ils n'ont pas trouvé d'aide auprès de la justice locale (en partie parce
qu'elle était complètement corrompue, et en partie parce qu'elle était incompétente), le procureur de l'Etat décida de se bouger. Ce qui est intéressant, c'est qu'à aucun moment dans leur procès les membres du racket n'ont douté de leur impunité, allant jusqu'à faire repeindre
à la hâte les camions de leurs entreprises au nom de la boîte fictive chargée d'organiser les "dead wagons" pour continuer le racket. Ils ont quand même fini en taule pour une bonne partie d'entre eux, et leurs entreprises démantelées, sauf celle d'Hermann Fox.
Et comme Fox était grâce au racket devenu le seul producteur de sirop de chocolat opérant dans le Lower East Side, où on trouvait l'essentiel des consommateurs de cette boisson populaire, les puristes associent encore son sirop au egg cream.
Enfin, à ce qu'il en reste, car s'il reste encore quelques soda fountains datant de cette époque à New York, c'est une économie qui s'est contractée à la faveur de sodas plus industrialisés, qui ne vous inquiétez pas ne fonctionneront jamais comme un trust.
La morale de cette histoire est que le capitalisme est une chose formidable et que jamais vous ne devez douter que laissés à eux seuls les intérêts privés ne vont nuire à l'intérêt général en aucune façon.
Ce thread est inspiré des sources suivantes :
The Egg Cream Racket, Andrew Coe : https://tinyurl.com/y6rso2cd 
The New York Egg Cream: Tracing the Drink's Questionable Past to an Uncertain Future : https://storymaps.arcgis.com/stories/305dec8b7c5c4ac38bce5dfd10712743
The Egg Cream Mob, Matthew Wills : https://daily.jstor.org/egg-cream-mob/ 
Three Year old tries an Egg Cream & A Old-School Milk Shake, @How2Drink :
An oral history of the NY Egg Cream and DIY soda making, @LoftyPursuits :
Ah et si vous vous posez la question : en toute honnêteté, pas ouf. Si vous voulez essayer une vieille recette de soda fountain je vous recommande plutôt le Lime Rickey, que je connais personnellement sous son nom du nord de l'Angleterre : "Lime cordiol'n sawdaaaaa".
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