Je remarque assez régulièrement certains sceptiques qui remettent en cause le fait de parler de "communauté sceptique", car soit d'après eux un tel groupe serait trop inhomogène, soit ce serait "essentialiste".

C'est à mon avis une mauvaise diversion.
Loin de moi l'idée de prétendre à la rigueur sociologique, et des ajouts experts seraient bienvenus. Mais il me semble qu'il est possible de parler de communauté lorsqu'on observe un regroupement de personnes autour d'une thématique commune.

Genre... le scepticisme.
Les sceptiques répondent aux mêmes caractéristiques que les membres d'autres communautés : ils partagent des codes, des références communes, voire une même sémantique. Les inspirations sont bien souvent les mêmes d'un sous-groupe à l'autre, et des grandes têtes sont identifiées.
Mieux encore : ils se regroupent en ligne autour d'une thématique générale commune (le groupe FB Zététique en est l'exemple le plus flagrant), ou bien en plusieurs groupes sous-thématiques (déclinaisons du groupe Zététique sur FB, des serveurs Discord, Youtube...).
D'autres formes d'organisation se structurent, en associations ou en événements récurrents, faisant qu'il est difficile de ne pas y voir une volonté de regroupement sous une bannière commune.

On pourrait aller plus loin en se rapprochant des "communautés épistémiques".
Haas (1992) définit les communautés épistémiques selon 4 grandes modalités :

1) un ensemble commun de croyances normatives et de principes qui fournissent une justification fondée sur la valeur pour l’action sociale des membres de la communauté ;
2) des croyances partagées sur les causalités, issues de leur analyse de pratiques qui contribuent à un ensemble central de problèmes dans leur domaine, et qui servent ensuite de base pour élucider les liens multiples entre actions politiques possibles et résultats souhaités ;
3) des notions communes de validité – c’est-à-dire, des critères intersubjectifs, définis en interne, pour la pondération et la validation des connaissances dans leur domaine d’expertise ;
4) une entreprise politique commune – c’est-à-dire, un ensemble de pratiques communes associées à un ensemble de problèmes vers lesquels leur compétence professionnelle est dirigée.
Dans de nombreux cas, les 4 modalités se retrouvent. S'agissant de groupes de professionnels, on peut prendre l'exemple du GIEC, dont le but est de synthétiser les connaissances produites sur le climat par la communauté scientifique à destination du politique.
Mais également à l'échelle plus modeste, on a l'exemple du collectif fakemed dont la dernière entreprise politique commune et de poids fût le déremboursement de l'homéopathie. Il se caractérise par son association mais également par des sympathisants (arborant ou non le hashtag).
Dans le cas de la communauté sceptique on a aussi un ensemble de croyances normatives et une échelle de valeurs sur lesquels baser son action et sa réflexion. Un objectif commun et fédératif est de mobiliser un ensemble de savoirs et un savoir-faire sur divers sujets controversés
Des personnes se regroupent pour échanger sur ces connaissances (scientifiques) et ces bonnes pratiques (vérification des sources, évaluation de "niveau de preuves", identification des biais...), dans un premier temps pour ce qu'on peut appeler "l'auto-défense intellectuelle".
Et ces connaissances/pratiques ne sont souvent pas juste issues d'une production scientifique, ou ne se justifient pas forcément d'un point de vue épistémique. On retrouve beaucoup de conceptualisations internes à la communauté, par exemple quelques biais [cognitifs].
De la même manière, cette pratique d'évaluer la solidité d'une preuve en se basant sur une "hiérarchie" - fixe - des preuves n'est pas tant une pratique couramment répandue chez les scientifiques, qu'une pratique plutôt retrouvée chez les adeptes de la méthode sceptique.
Du coup, paradoxalement, il y a du savoir "commun" qui se partage au sein d'une communauté sceptique, un savoir et des outils qui se transmettent de mains en mains. Difficile de ne pas y voir des pratiques propres aux communautés (et ce n'est pas péjoratif en passant).
Mais ce qui permet de passer d'une communauté de pratiques à une communauté épistémique (même non-professionnelle), c'est la dimension politique de ce partage de connaissances.

On le remarque bien quand on se penche sur les sujets souvent abordés.
La mobilisation autour de l'homéopathie n'avait pas seulement pour but de savoir si c'est prouvé scientifiquement ou non. On considérait qu'à la lumière des connaissances scientifiques à ce sujet, une action politique en faveur d'un déremboursement se justifiait.
Et on peut étendre ça à plusieurs autres sujets dont se saisissent les sceptiques.

Malgré tout ce qui peut rassembler ces membres, il y toujours cette crispation dès qu'on parle de "communauté". Soit-disant car un tel groupe n'est pas homogène.
Or, une communauté ne se caractérise pas par une absence de dissensions. Je pense qu'on est d'accord pour considérer que la communauté scientifique est inhomogène, car tous les scientifiques ne sont pas d'accord sur tout même sur des trucs scientifiques.
Et pourtant nous sommes d'accord aussi pour considérer que ce n'est pas une raison valable pour ne pas parler de "communauté scientifique", puisqu'on définit cette dernière sur les critères qui la rassemble en s’accommodant bien des spécificités de chacune et chacun.
Sur une action politique qui mettrait des sceptiques d'accord (déremboursement de l'homéopathie), on aura une justification commune (fondements scientifiques) mais une hiérarchisation des valeurs différente (à gauche une collectivité au service d'un bénéfice commun plus grand ;
à droite une conception assez libérale d'une santé publique efficace), donc finalement aussi des justifications différentes. Cependant, on remarquera volontiers que ces dissensions politiques peuvent se gommer au sein de ces membres pour passer à l'étape de l'action politique.
Ainsi, beaucoup sont conscients que le groupe est "inhomogène", ils savent qu'on peut trouver du bon gros gauchiste et du bon gros droitard, du progressiste ou du réac conservateur. Non seulement cela ne semble pas poser soucis dans la mesure où ici on pense le scepticisme
à travers un prisme instrumentaliste ("c'est un outil ! une méthode ! c'est tout !") et donc qu'importe le reste, mais en plus cela permet d'éluder tous processus analytiques globaux, car dans ce cas les problèmes sont réduits à l'individu.
Or 1) le fait de cantonner le scepticisme à une simple méthode n'efface pas les pratiques communautaires et les dynamiques de groupe, d'autant plus que des personnes se construisent une identité autour du scepticisme (des gens se revendiquent "sceptiques") et suivent des modèles.
2) rien n'empêche d'étudier les critiques adressées à l'échelle de la communauté et à l'échelle de l'individu en même temps. Les deux sont possibles. Le fait de voir et de pointer un comportement problématique d'un individu peut s'accompagner d'un questionnement plus global.
Enfin, @Bunker_D_ l'a bien relevé quelque part (mais désolé frr j'le retrouve pas), mais il n'y a rien d'essentialiste à noter les caractéristiques observables de phénomènes, naturels mais également sociaux. Lorsqu'on parle de communauté, que l'on s'y retrouve ou pas,
que l'on ait un sentiment d'appartenance ou pas, on ne désigne pas les membres comme porteurs d'une essence propre et intangible qui leur attribuerait une étiquette "sceptique" par nature. Il ne s'agit pas de ça.
On fait ça en permanence en sciences, poser des noms sur ce qu'on observe, en suivant une nomenclature et une taxonomie. Bref.

Justement, en refusant d'observer et de penser ces caractéristiques de groupe, on empêche la remise en question et on garde un cadre fixe.
On ne se sent donc pas concerné par tout ce qui se rattacherait au groupe, car ce groupe ne serait qu'une somme d'individus particuliers. On évite donc d'agir sur les causes profondes, car on ne veut pas participer à une "généralisation", on récuse la dynamique globale.
Bref, il y aurait plein d'explications possibles à cette forte réticence d'être identifié en tant que communauté, peut-être pour ce que ça impliquerait en termes de responsabilités concernant celles et ceux qui ont un poids (genre une audience), ou bien à cause de biais (huhu).
Dans tous les cas, les justifications apportées pour ne pas parler de communauté sceptique sont souvent tantôt peu convaincantes, tantôt pas rationnelles. Peut-être donc faudrait-il changer son point de vue et réévaluer son jugement ? Ou bien apporter de meilleurs justifications.
Comme je l'ai dit, il y a sûrement des experts qui sauront mieux que moi répondre à ce problème, voire me contredire.

En tout cas, une sociologie du milieu sceptique serait assez intéressante à suivre.
PS : ouais je parlais de là en fait https://twitter.com/Bunker_D_/status/1298648459327807493?s=20
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