Hier, je suis allé visiter le château de Blois, comme j'étais de passage par là pour le week-end. A l'entrée, on propose au visiteur l'usage d'une tablette numérique, offre que j'ai décliné.
Toutefois, étant donné mon appétence sur le sujet numérique, j'ai jeté un oeil
sur la tablette des visiteurs l'ayant acceptée, dans le respect des mesures sanitaires en vigueur. Comme je m'y attendais la tablette délivrait des images merveilleuses de tentures aux murs, de meubles époustouflants, de décors somptueux, tandis que je voyais des pierres
fatiguées exposées à mon regard, ici un vieil Hercule décrépi, là, une salamandre devenue idéale, ailleurs encore des formes vagues.
Il m'est néanmoins venu à l'esprit quelques remarques. D'abord, l'usage de la tablette veut que les visiteurs passent vite d'une pièce
à l'autre. La tablette servant de guide, on a tendance à suivre le guide. Une fois qu'il a parlé, on passe naturellement à la pièce suivante. Cela pourrait-il avoir un intérêt économique permettant de mesurer (et limiter) le temps passé par un visiteur dans une pièce ?
D'autre part, les vieilles pierres décrépies que je regardais avec mes pauvres yeux non augmentés portaient des traces d'outils, du savoir-faire du tailleur de pierre ayant officié il y a plusieurs siècles. De ces témoignages, aucune trace dans la réalité augmentée.
Plus loin encore, la tablette montre ce qui n'existe pas en présentant ces images en mouvement comme une reconstitution. Je ne doute pas de la rigueur scientifique de ces applications destinées aux touristes, mais je ne suis pas sûr que tout le monde comprenne que reconstitution
veut dire aussi interprétation, donc doute possible et distance critique nécessaire. En lien avec cela, la tablette donne au visiteur le message "Voilà ce que vous ne verrez pas dans la réalité.". Mais ce faisant, elle empêche aussi le visiteur de regarder cette réalité qui reste
derrière l'objectif de la tablette. Elle se veut une pure médiation et elle devient en fait l'obstacle à la contemplation du réel.
Alors que j'ai visité avec la plus grande conscience possible le château, j'ai croisé nombre de personnes errant les yeux rivés sur la tablette.
Je ne regrette dès lors pas mon choix de me priver de cet artifice. Si jamais je souhaitais avoir une interprétation, je la trouverai dans un livre ou même une visite virtuelle via mon casque 3D, mais sans sortir de chez moi. Le musée est-il devenu un lieu où l'on ne voit pas ?
Enfin, quelles sont les données qui sont captées par la tablette pendant la visite et quels usages ? Temps passé à tel endroit ? nombre de retours en arrière ? Hésitation sur le parcours de visite ? Toutes ces questions méritent un approfondissement.
*déclinée
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