Petit thread suite à un débat dans le MathsTwitter sur le pourquoi du comment certaines explications de concepts mathématiques peuvent sembler ultra condescendantes (ou pas).
De quoi est-il question ? Suite à une question posée sur un forum sur comment retenir/retrouver avec l’intuition la formule du déterminant d’une matrice 2x2, quelqu’un à répondu par un argument assez abstrait.
L’argument est correct et nous apprend certainement beaucoup plus sur la formule que d’autres arguments. Le problème est qu’il est très abstrait. La question est alors : peut-on répondre à une question de niveau L1 avec des outils niveau M2 ?
En fait la question n’est pas si évidente et c’est pourquoi je fais ce thread.
Avant toute chose : je ne vais pas parler de vulgarisation mais bien d’enseignement.
Je vais essayer de donner plusieurs exemples pour que ça soit accessible.
Quand on avance dans ses études de maths, on re-comprend certains concepts, et souvent de manière plus abstraite. Bien que plus abstraite, on est souvent persuadé que c’est LA bonne manière de comprendre la chose.
Pourquoi ? La réponse naive serait de parler d’élégance et de dire que l’abstrait c’est plus jolie… C’est loin d’être mon point de vu.
Je pense plutôt que les versions abstraites de certaines définitions/théorèmes/whatever nous apprennent plus de choses que la version originale. Et c’est pourquoi les mathématicien.nes sont souvent si http://xn--attach-gva.esattaché.es  à celles-ci.
Malheureusement les exemples que je vais donner nécessitent quelques bagages mathématiques (le sujet l’oblige)… Si vous voulez un exemple plus simple, voici le seul que j’ai en tête :
1) La mécanique Newtonienne (PFD) VS la mécanique Lagrangienne/Hamiltonienne/Whatever.
Maintenant voici d’autres exemples plus avancés que j’ai en tête :
Soit f:E→F un morphisme entre k-espaces vectoriels. On dispose d’une décomposition en somme directe : E=Ker f + Imf (c’est le théorème du rang en gros).
Version abstraite : tous les k-espaces vectoriels sont libres donc projectifs, en particulier tout morphisme surjectif admet une section.
La deuxième version est la « bonne » dans le sens où elle donne la condition minimale pour qu’une telle décomposition existe dans le cadre des R-modules (quand R=k corps c’est juste les espaces vectoriels).
Il est cependant impensable de donner se raisonnement dans le cadre d’un cours sur les espaces vectoriels.
Petit commentaire :
-C’est exemple n’est pas un vrai exemple dans le sens où je ne l’ai jamais vu en pratique et je ne pense pas qu’une personne l’ai déjà entendu. D’ailleurs il n’est pas très intéressant car la preuve de libre implique projectif est essentiellement la même que
celle du résultat original.

Mais cet exemple me permet d’introduire de manière relativement compréhensible ce qui va suivre.
2) Définition des formes modulaires.

Définition usuelle :
Définition « abstraite » :
La différence entre les deux versions saute aux yeux. Dans ce cas précis il n’y a pas de « bonne définition ». Il y en a une analytique (accessible après n’importe quel cours d’analyse complexe) et une géométrique (nécessite quelques notions sur les espaces de modules).
A ma connaissance, on commence toujours par la première définition. Elle est plus accessible et il y a déjà beaucoup de trucs à dire (un cours de M2 au minimum).

Dans ce cours de M2 on arrive rapidement à la définition de courbe modulaire. Voici la définition qu’on y trouve :
Pour construire un tel objet il suffit juste de quelques outils d’analyse complexe (surface de riemann essentiellement).

Le lien entre les deux objets est le foncteur GAGA :
Bon du coup qu’est ce qui se passe ici ? On a une définition accessible et une autre définition qui l’est beaucoup beaucoup moins.
Pourtant pour un.e géomètre ( http://xn--arithmticien-geb.nearithméticien.ne  certainement) c’est bien la deuxième qui est la plus importante car elle permet des généralisations évidentes (formes modulaires de Siegel etc).
2) La définition d’un schéma.

-Définition usuelle : C’est un espace localement annelé localement isomorphe à une paire (Spec A, A).

-Définition abstraite : C’est un foncteur Ring^op→ Set localement représentable
On commence souvent (toujours ?) par la première définition. C’est la plus naturelle car elle se rapproche de celle en géométrie différentielle (espace localement comme […]).
Mais dans la pratique ce n’est pas avec celle-ci qu’on travaille : il est souvent bien plus utile de travailler avec le faisceau que représente un schéma que le schéma lui même. C’est la philosophie du lemme de Yoneda.
Dans le cadre des schémas en groupes par exemple, il est difficilement concevable de travailler avec le schéma lui même et pas avec le faisceau de groupe qu’il représente.
3) La définition d’une variété différentielle.
- Usuelle : C’est un « bon » espace topologique localement homéomorphe (cartes) à un ouvert de R^n et tel que les changements de cartes soient des difféomorphismes.
-Abstraite : C’est un espace localement annelé localement isomorphe à une paire (U, C(U,R)) où U est un ouvert de R^n.
De nouveau la première définition est infiniment plus intuitive car très très géométrique (géométrique au sens usuel, pas au sens des géomètres algébristes). Pourtant la seconde permet un passage beaucoup plus simple à la définition de schéma.
4) Si N’’ est un R-module plat et N→ N’→ N’’ est une suite exacte courte, alors N\\otimes M→ N’\\otimes M→ N’’\\otimes M est encore exacte courte.

Méthode 1 : à la main, chasse aux diagrammes etc

Méthode 2 : Tor^1(N’’,M)=0 par hypothèse ce qui conclut.
Ici on est dans une situation où la méthode à la main fonctionne toujours, et la méthode abstraite trivialise le problème. Le point clé est que la première méthode ne nous apprend rien d’autre que la réponse au problème.
La deuxième quand à elle nous apprend beaucoup plus : les foncteur dérivées. Pour comprendre la seconde il faut quand même pas mal travailler (construction de Tor ou plus généralement des foncteurs dérivées), mais elle nous offre une nouvelle façon de réfléchir.
5) Si M→ N est un morphisme de R-modules surjectif alors il le reste après tensorisation par n’importe quel R-module.
-Oui ca se voit à la main
-Oui par adjonction avec Hom.

Ici la version abstraite se généralise à tous les foncteurs possédant un adjoint.
Bref il y a pleins d’exemples.

Qu’est ce qui se passe dans tous ces exemples ? Et bien on commence toujours par apprendre via la première définition/raisonnement.
Avec le temps on apprend l’existence d’une version plus abstraite qui nécessite des outils un peu plus sophistiqués pour être comprise.
Une fois comprise, on est persuadé que c’est de cette façon et pas d’une autre qu’il faut réfléchir. Et souvent c’est en effet le cas.
Le problème ne réside pas dans ce passage de nos étude mais dans la transmissions de ce passage. Lorsque l’on veut transmettre un certain savoir (en tout cas en mathématiques), on ment souvent sur les difficultés pour parvenir à tel ou tel raisonnement.
Des fois c’est une question d’égo mais souvent c’est uniquement parce qu’on aurait aimé découvrir les choses de cette manière lorsque nous étions à la place de notre http://interlocuteur.ice .
Et c’est ce deuxième point que je trouve assez problématique. C’est très problématique pour la personne qui vous écoute pour plusieurs points :

-c’est hyper excluant
-tout le monde n’a pas forcement le besoin/l’énergie d’apprendre la version abstraite de tel ou tel concept, quand bien même pour vous c’est l’essence même de ce monde.
-La version abstraite nécessite souvent beaucoup plus d’efforts pour être comprise que la version à la main, et c’est caché quand vous l’invoquez. Il faut être honnête sur les efforts si vous invoquez les bénéfices.
Je pense que si l’on est persuadé que tel ou tel point de vu abstrait est le « bon » point de vu, c’est souvent parce que c’est ce qui nous a donné ce goût pour les mathématiques. Le point de vu abstrait est souvent beaucoup plus excitant mais ce n’est en rien universel.
A titre personnel, toutes mes lectures (de maths) depuis le M1 ont été motivées par un rendez vous avec un prof pour une question où il m’a répondu par présentation d’une « théorie » abstraite au-quelle je ne comprenais rien.
Mais c’est à ce moment précis qu’il ne faut pas idéaliser : en sortant de ces rendez-vous je n’étais pas satisfait ni même content. Je n’avais toujours pas la réponse à mon problème et je me sentais illégitime parce qu’il y avait un gap monstrueux
entre mon petit problème et l’exposé que venait de me faire ce prof.
C’est pourquoi je pense que lorsque l’on répond à une question, il faut d’abord donner la réponse adaptée au niveau de l’ http://interlocuteur.ice , et pas du niveau qu’on aurait aimé avoir à sa place, et ensuite donner la version abstraite.
Mais selon moi il faut donner la version abstraite car c’est elle qui motive l’apprentissage. C’est elle qui donne l’enthousiasme. Il ne faut donc pas l’oublier mais plutôt la mettre sous forme de remarque.
Voilà voilà c’est tout pour aujourd’hui.
Déso pas déso pour les fautes d’orthographes.
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