Des journalistes épuisé·e·s jusqu’au burn-out par le travail acharné pour des sommes dérisoires, les rédactions maltraitantes, les médias (même « de gauche ») qui respectent rarement le droit du travail, la précarisation croissante, l’impossibilité grandissante de dire
des choses intelligentes et de produire un travail de qualité, le cyberharcèlement et les insultes, l’autopromotion obligatoire, les fantasmes sur la profession, les coûts en termes de santé et de vie sociale, etc.
Je suis souvent étonné de la différence entre ce que les gens projettent sur ce métier et les réalités de sa pratique. A partir du moment où tu sors 5 articles par mois sur le web et que tu as quelques followers sur Twitter,
les gens te disent « ça marche bien pour toi en ce moment ». Mais ce qu’ils ne savent pas c’est que ces 5 papiers correspondent dans les faits à 800 ou 1000 euros bruts (payés le plus souvent deux mois après), c’est à dire à peine de quoi payer une chambre en coloc ou un studio
à Paris aujourd’hui, et ce (si on a à cœur de produire des contenus inédits et qu’on prend en compte le temps de veille, de pitch, d’enquête, d’écriture, de corrections, d’autopromotion, de relances administratives, etc.) pour un travail à temps plein sans RTT, sans congés payés,
sans possibilité d’arrêt maladie. Cette illusion est en partie entretenue par les (jeunes) journalistes eux-mêmes, car trop parler publiquement des difficultés du métier c’est quelque part admettre qu’on galère (et donc qu’on est peut-être pas assez bon) voire risquer de passer
pour « quelqu’un de compliqué » qu’on va éviter de faire bosser, et il vaut mieux, en effet, donner l’impression que « ça marche ».
Pour que ce soit clair, je n’écris pas ça pour faire pleurer sur mon sort ni pour parler de mon petit cas personnel, il y a 1000 fois plus à plaindre que moi et j’ai une famille qui pourra toujours me soutenir en cas de besoin.
Mais c’est aussi ça le problème : les conditions économiques propres au métier de journaliste (ajoutées au coût des éventuelles écoles de journalisme car sans école, pas de réseau) font qu’il est aujourd’hui quasiment impossible de se lancer et de tenir dans ce métier si l’on
n’a pas de soutien financier, ce qui pose de gros problèmes de (non)représentativité et d’homogénéité sociale dans les rédactions, et d’exclusion classiste de fait au sein de la profession.
La course effrénée à la pige, obligatoire pour espérer se dégager un micro-salaire, a des conséquences inévitables sur la qualité de l’information produite comme sur les relations avec les personnes interrogées et les sujets traités
– et ce malgré toute la bonne volonté des journalistes en question. Et c’est sans parler de la porosité croissante entre journalisme et communication, à laquelle nombre de journalistes sont contraints de participer parce qu’ils et elles n’ont plus tellement le choix.
Dans une économie des médias très instable qui semble favoriser principalement les médias de droite ou conservateurs (qui sont, semble-t-il, les seuls à s’en sortir à peu près financièrement – et encore même BFM a viré un paquet de journalistes récemment),
il est de plus en plus difficile de faire entendre des voix dissonantes et d’assumer des positions contestataires, progressistes ou émancipatrices (appelez ça comme vous voulez) parce que, mis à part de rares exceptions, ce n’est globalement pas ce que veut la logique du marché.
Si on veut espérer bosser régulièrement, mieux vaut ne pas être perçu·e comme trop militant·e ou engagé·e, ça c’est sympa pour une pige de temps en temps mais pas pour les CDD ou CDI ni les postes à responsabilité
(les différentes affaires récentes ont d’ailleurs bien montré combien les hiérarchies sexistes, homophobes et racistes se perpétuaient au sein-même des rédactions – et on en revient au point évoqué plus haut).
Ce sont juste quelques réflexions sur le tas et je n’ai pas vraiment de solutions à ces nombreux problèmes, mais je crois qu’un début de prise de conscience collective serait plus que bienvenu, parce qu’au-delà des galères individuelles c’est une question profondément politique
si on veut préserver ne serait-ce qu’un semblant de démocratie et de pluralité médiatique. Et en attendant, je ne peux que vous encourager à soutenir les médias et journalistes dont vous appréciez le travail, quelles qu’elles ou ils soient, en vous abonnant (si vous le pouvez)
ou en les relayant ✌️
You can follow @MatthieuFoucher.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

Latest Threads Unrolled: