On m'a demandé mon avis sur ce billet intitulé "Comment communiquer avec des gens qui sont cons?" Comme le titre ne me laisse évidemment pas indifférent, j'en profite pour faire quelques remarques sur le sujet. https://twitter.com/Omar_MalinGenie/status/1293581040410341376
Tout d'abord, je pense que les cons existent. Je ne sais pas si @Omar_MalinGenie le pense aussi ou si son titre est seulement ironique, mais éclaircir ce point me paraît capital pour comprendre quand et pourquoi la communication ne marche pas.
A mon avis, la meilleure analyse du con est celle d'Alain Roger, quasiment tous les autres livres (que j'ai lus) sur la question sont mauvais. http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Idees/Breviaire-de-la-betise
Ce n'est pas le lieu d'entrer dans les détails, mais disons juste que le con n'est pas uniquement, ni même nécessairement, irrationnel. De même, il n'est pas forcément stupide, cinglé ou ignorant.
Mais il a bien quelques tares, disons des vices de caractère. Le con est souvent obtus, surconfiant, content de lui, défensif, susceptible, méchant, impulsif et bruyant. On peut être tout cela sans être con, mais la connerie tend à produire ces dispositions.
Une des conséquences les moins appréciées de la connerie, c'est le temps qu'elle fait perdre à tout le monde. Sans cesse, il faut expliquer au con, corriger le con, éviter le con, attendre patiemment que le con ait terminé ses conneries...
De fait, le temps simplement requis pour identifier un con peut être considérable, surtout si on cumule les innombrables occasions où cette expérience se produit.
Personne, évidemment, ne nous rendra jamais ce temps perdu. Parce qu'il n'y a rien à attendre d'un con, et qu'il y aura toujours des cons, il faut donc s'enlever de l'idée que ce problème peut se résoudre par une meilleure communication.
Si les chercheurs, les communicateurs et les vulgarisateurs ne sont pas entendus, c'est quand même assez souvent par des gens qui ne veulent pas les entendre, ou qui s'en foutent, et pas (ou pas seulement) parce qu'ils s'y prendraient mal.
Je ne vois aucune obligation épistémique ou morale à faire entendre raison à un con, ni même à le rendre un peu moins con. D'abord parce que je suis sceptique sur les possibilités d'y parvenir, mais surtout parce que je pense que c'est son affaire d'être con.
Et le con n'est pas tenu non plus d'écouter la parole scientifique. Dans ces conditions, je pense qu'il faut admettre qu'on se retrouve devant un problème qui n'a pas de solution simple, qui n'en a jamais eue, et qui n'en aura jamais.
Calibrer la communication scientifique pour les cons qui ne veulent rien entendre me paraît une erreur. Il y a plein d'autres gens qui sont accessibles par plein de moyens différents.
Il y a des gens hésitants, sceptiques ou désorientés qui demandent des explications claires et simples, d'autres qui veulent juste être rassurés, certains sont négligents, il y en a des mal informés... Et puis il y a ceux qui sont définitivement innaccessibles.
Pourquoi perdre son temps avec ces derniers? Ils sont certes vociférants, mais ils restent minoritaires. La vie est trop courte pour qu'on soit continuellement frustrés parce que des cons préfèrent croire n'importe quoi.
Je reviens sur le problème des cons en conclusion, mais pour le reste il me semble qu'il nous faut absolument renoncer à l'idée qu'il existerait UNE manière bonne et efficace de communiquer la science.
Chaque approche est susceptible de toucher certaines personnes qui ont des besoins, des croyances et des parcours particuliers. Il faut du pluralisme: des petits résumés, des interviews, des reportages, des vidéos sympas, des longs articles barbants, du dialogue etc.
A chacun d'adapter sa rhétorique selon ses talents. En particulier, je ne crois pas du tout qu'il existe un besoin universel pour le type de conversation cordiale et empathique qui semble aujourd'hui si à la mode dans le domaine de la communication scientifique.
En tout cas moi je ne suis pas psychothérapeute, je ne pense pas que c'est mon rôle d'adapter mon discours au profil particulier de chaque interlocuteur dans le seul but de le convaincre. Ça me paraît même un peu manipulatoire.
C'est aussi une vision assez naïve et franchement douteuse, qui aboutit à cette idée très répandue que si les gens croient des choses fausses, c'est parce que les "élites" communiquent mal ou ne les écoutent pas assez.
Je pense que cette approche "innocentiste" est vouée à l'échec, mais libre à chacun d'essayer. Comme je l'ai dit, il faut du pluralisme, et si on a des gens assez patients et optimistes pour tenter ce genre de dialogue, c'est très bien.
Mais j'ai bien peur qu'on surestime un peu l'efficacité du respect, de l'écoute, de la politesse et de l'empathie quand il s'agit de faire changer les gens d'avis. D'ailleurs, même si ça marchait, on ne ferait à mon avis qu'aggraver le problème.
En effet, le communicateur aurait ainsi rétablit la confiance en se montrant comme quelqu'un, finalement, de "sympa". Or c'est une erreur: être sympa, calme, ouvert au dialogue ne signifie pas avoir raison. Convaincre pour de mauvaises raisons ne devrait pas nous intéresser.
J'en reviens donc aux cons. Je crois qu'il y a une place dans la communication scientifique pour l'antagonisme. Je sais bien que tout ce discours sur les cons donne une impression d'arrogance, de mépris et de supériorité.
Je ne préconise pas forcément l'insulte frontale. Personnellement je préfère le sarcasme, l'ironie, la satire et l'humour en général. Le principe général, c'est qu'on ne rend pas service aux cons en prenant leurs conneries au sérieux.
Etudier scientifiquement l'origine, la formation et la diffusion des idées stupides est une activité passionnante, c'est même un peu mon job. Mais quand on aura mis à jour tous les biais et mécanismes impliqués dans cette affaire, il restera encore et toujours des idées stupides.
Comprendre, expliquer et éduquer sont des facettes incontournables dans la lutte contre les idées stupides. Mais je pense qu'on sous-estime complètement l'ampleur du déblayage qui est permis par la moquerie ou un simple haussement d'épaules.
Songeons au nombre incalculable de conneries monumentales qui sont tuées dans l'oeuf par un simple éclat de rire. Le gain de temps est inestimable, et tout le monde s'en porte mieux.
C'est inévitable. Personne n'aime passer pour un con ou être traité de con. Nous consacrons tous une énergie considérable à nous présenter comme des non-cons, nous voulons passer pour des personnes fiables, informées, pertinentes, perspicaces, originales et intéressantes.
Nous avons honte d'être cons, et c'est un levier qu'on aurait tort de ne pas exploiter. En particulier si on s'aperçoit que l'argumentation rigoureuse, le dialogue apaisé et la résonance empathique ne marchent pas, ou que ça nous prend décidément trop de temps et d'énergie.
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