« Accord historique » pour certains. « Echec de Macron » pour d’autres.

Essayons de raison garder, et de démêler ce qui a été négocié pendant 4 jours et 4 nuits à Bruxelles et finalement approuvé.

Fil (qui risque d’être un peu long).
Tout d'abord, il faut savoir que les 27 ont approuvé ce matin deux choses: le plan de relance + le budget 2021-2027 de l'Union. Les deux sont liés, mais restent deux choses assez différentes. L'un est ponctuel, l'autre est structurel. On va commencer par le plan de relance.
750 milliards d'euros dont 390 de subventions. C'est-à-dire de l'argent qui va être distribué aux Etats selon les besoins liés à la crise économique. Les chiffres sont encore flous, mais cela représenterait plus de 60 milliards pour l'Italie. Plus de 55 pour l'Espagne.
Pour la France, probablement un peu moins de 40. L'Allemagne, aux alentours de 20-25.
En quoi est-ce inédit ? Le remboursement de cet argent se fera en commun, selon la richesse de chacun, et non pas selon ce qu'il utilise. Il s'agit donc de transférer de l'argent des pays les moins touchés à ceux qui sont le plus. Du Nord vers le Sud si nous schématisons.
En 2009, lors de la crise financière, une telle option n'a jamais été réellement sur la table. Nada. Walou.

En ce sens, il s'agit d'un progrès de l'intégration européenne (qu'on soit pour ou contre). Les Vingt-Sept agissent plus ensemble (même si certains y vont à reculons).
Il est vrai que la France va rembourser plus qu'elle ne touchera. A l'inverse, l'Italie et l'Espagne vont être bénéficiaires. Ce n'est pas rien pour ces pays. L'Union organise des transferts pour assurer la viabilité de son espace économique.
Certains y verront un saut fédéral. Il y a du vrai. C'est comme cela qu'agissent les Etats face à des crises (et même au quotidien, en France, les transferts entre régions sont permanents).
Dans le cas européen, il faut préciser que ce mécanisme ne va exister que pour 3 ans, le temps du plan de relance (mais n'oublions pas que la politique régionale, qui existe depuis les années 70, organise aussi des transferts, à hauteur de 50 milliards par an).
Alors bien entendu, c'est moins que les 500 milliards de subv. prévues dans le plan de départ de la Commission. Les pays du nord ont réussi à faire couper 110 milliards. Pour eux, c'est une victoire. Ils ont fait front face au bulldozer franco-allemand, et ont obtenu des choses.
Dans leur combat, ils ont été aidés par le fait que ces décisions doivent être prises à l'unanimité. Avant même le début du sommet, en coulisses, les diplomates se préparaient à au moins 100 milliards de coupes. On reste donc dans la fourchette envisagée.
Mais il n'en reste pas moins que les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l'Autriche et la Finlande, aussi frugaux soit-ils, ont du accepter 390 milliards de subventions. Il y a 10 jours, certains PM disaient encore qu'ils ne voulaient que des prêts.
En cela, Merkel et Macron ont obtenu ce qu'ils voulaient. Avec une enveloppe moindre, mais quand même. Sans volonté politique commune, ils n'auraient pas pu y arriver.
Sur la question du droit de regard des autres pays sur comment chacun dépense l'argent du plan de relance européen, les Pays-Bas n'ont pas obtenu le veto qu'ils réclamaient. Un système de contrôle sera mis en place mais il a toujours été prévu.
Il est juste un peu renforcé, et donne aussi la possibilité à un pays de faire remonter un dossier qu'il juge mal géré, au niveau du Conseil européen (sans plus de précision sur les suites qui seront donnés selon le texte du compromis).
Pour nuancer les réactions en France, il faut savoir qu'en Espagne, même Podemos, allié de LFI au Parlement européen, salue l'accord.
Alors oui, la négociation a été assez moche, voir carrément violente par moment. Mais les Vingt-Sept ne sont pas des enfants de coeur. La solidarité européenne est un principe, les intérêts nationaux une réalité.
Mais si l'Union essaie de se donner les moyens de faire repartir son économie, les coupes effectuées dans le plan de relance pour obtenir un accord posent un autre problème. Que reste-t-il des ambitions post-Covid ? Je m'explique.
Les Vingt-Sept ont coupé tous les financements prévus pour le "l'Instrument de solvabilité" (26 milliards). Il devait permettre de soutenir les entreprises mises à mal par la crise, éviter qu'elles soient rachetées par des concurrents chinois ou américains.
De plus, 30 milliards d'euros étaient dédiés aux investissements pour développer les infrastructures stratégiques de l'Union, renforcer son autonomie face au reste du monde (en produits médicaux par ex, hein). Après 4 jours et 4 nuits, il n'en reste plus que 5,6.
Le programme de Santé ? Des 9,3 milliards, ne reste plus qu'1,6. #oups
Grosso modo, tous les outils imaginés par la Commission pour pouvoir réorienter la politique économique et commerciale de l'Union, ont été sabrés. A mon sens, c'est là que réside la plus grande victoire des frugaux.
Comme le Royaume-Uni auparavant, ils veulent avant tout que l'Union reste un marché. L'intégration, l'Europe puissance, ça les intéresse beaucoup moins. Et surtout, ça leur fait peur. Peur de se faire emmener dans des aventures franco-allemandes.
Comme disait un diplomate la nuit dernière, « il a fallu faire des choix ».
Entracte, avant de passer à la question du budget 2021-2027 de l’Union. Veuillez ne pas trop vous éloigner.
Alors, alors, le budget 2021-2027 de l'Union (ou Cadre financier pluriannuel pour les intimes).

Les Vingt-Sept ont topé pour 1074,3 milliards sur 7 ans. C'est pas fou. En 2018, la Commission demandait 1134 milliards. En mai dernier, elle demandait encore 1100.
Le budget pour la période 2014-2020 (calculé à 27) est de 1082 milliards (en euros de 2018, hors inflation, tout comme le chiffre précédent). Ca baisse donc légèrement.
Aussi, pour augmenter certains budgets dédiés à l'innovation, la transition écologique ou sa cousine numérique, l'UE va de nouveau couper dans les fonds dédiés à l'agriculture et les régions. Environ 12-13% en moins pour chacune. #EtPan
Les coupes dans ces deux politiques historiques de l'UE sont toutefois un peu camouflées par le plan de relance. Les régions récupèrent 45 milliards, la PAC, 7,5 milliards au passage.
Mais cela ne fait que réduire les pertes. Si dans les prochains jours, vous entendez un ministre français, voir un Premier ministre ou un président de la République, dire que le budget de la PAC a été préservé, c'est faux.

En euros "réels", hors inflation, il baisse.
Même si Macron a réussi l'exploit de réduire cette baisse. Il a récupéré 4 milliards d'aides directes pour les agriculteurs européens. Inédit. Normalement, la PAC ne récupère jamais rien, une fois qu'une coupe est proposée par la Commission.
Le fonds de défense, tant réclamé par Paris, est bien acté. 7 milliards sur 7 ans. C'est un progrès mais loin des ambitions de départ (11,5 milliards).

Et à noter que 30% des fonds doit servir à atteindre les objectifs climatiques. #Olé
Au final, c'est comme toujours avec l'Union. On lui demande de faire toujours plus de choses. De la transition écologique, du numérique, de la recherche, de l'agriculture (verte aussi), de l'aide régionale, de la protection des frontières, etc...
... mais quand il faut passer à la caisse, il n'y a plus personne. On ne lui permet que de faire du saupoudrage.
Toutes les grandes déclarations ou montages financiers n'y changeront rien: pour faire une politique publique, à un moment donné, il vous faut du cash. Or, les Vingt-Sept refusent d'en donner à l'UE. #PasToucheAuGrisbi
Chacun à sa raison, mais le résultat est là. Petit à petit, le budget communautaire donne l'impression de s'atrophier.
Voilà, voilà. On va s'arrêter là pour le moment. Il est 16h47. Bientôt l'heure d'aller se coucher.
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