J’ai papoté une heure avec Ibrahim, un Malien très sociable, à la gare de l’Est. Une bonne quarantaine d’années, peut-être cinquante même mais pas de certitudes, je n’ai pas demandé. Au départ, il est arrivé vers moi en me disant que j’avais un beau visage (je n’en peux plus de

Ces histoires. J’ai des rides et tout et tout, c’est du flan, mais passons...). Je lui ai dit que non, merci, pas de drague, que c’était niet mais que l’on pouvait papoter. Pourquoi? Ben tout simplement car il avait l’air d’être une bonne personne et que j’avais du temps à tuer.

J’ai senti que ça lui faisait très plaisir de parler. Il m’a dit qu’il était « sans papiers ». Je lui ai demandé de me raconter son périple et il m’a dit « Tu vas être triste si je te raconte ». J’ai dit que ça m’allait d’être triste. Alors en bref, voilà son récit. Il est parti

Du Mali il y a un peu plus de deux ans. Je ne lui ai pas demandé s’il avait une femme, des enfants, c’était trop intime, je trouve. Il est parti parce qu’il était pauvre, il gagnait 2, 3 euros par jour. Il est parti parce qu’ « en France, il y a tout et que tout le monde a tout »

Mais maintenant il m’a dit qu’il voyait que ça n’était pas vrai. Il est d’abord allé au Maroc où il a travaillé pour gagner de l’argent. Il y est resté plusieurs mois. Ensuite, direction la Libye. Et la Libye a été cauchemardesque. Il m’a dit qu’il avait été esclave. Je lui ai

Demandé ce que ça signifiait parce que finalement, je n’en ai pas vraiment idée. Être esclave, c’est travailler gratuitement pour des gens « méchants » m’a-t-il dit. Lui, c’était pour des travaux agricoles. Et il se faisait frapper. Et même les femmes se faisaient battre et comme

Il m’a dit, tu peux pas les aider car sinon, toi aussi, tu te fais battre. Depuis la Libye a-t-il poursuivi, il croit toujours en Dieu mais ne se sent plus musulman car il ne comprend pas comment des musulmans peuvent faire ça a des musulmans. Et comme il ne sait pas si c’est ça

L’Islam ou si ce n’est pas ça l’Islam, il m’a dit qu’il ne voulait plus qu’un lien individuel avec Dieu.
Après l’esclavage, il a enfin pu effectuer la traversée. Elle a coûté 600 euros et duré 2 jours et demi. Qu’il avait fallu laisser 5 personnes à la mer car elles avaient

Une sorte de grippe intestinale. Je n’y ai pas cru, ça me semble tellement . Peut-être aussi que je n’ai pas envie d’y croire! Les passeurs ne leur donnent ni eau ni nourriture. Il est arrivé en Italie. Périple jusqu’à Paris ensuite parce que pour lui la France, ben c’est la

France, quoi... et que c’est francophone. Paris parce qu’on lui a dit que tout était possible à Paris. Il est arrivé il y a 3 mois. Il y a un foyer où il peut manger du mafé. Un jour, un passant lui a donné 20€ et il a failli s’acheter « un grec » pour sortir de l’ordinaire

Mais il a renoncé car il coûtait 7€ et qu’il préfère économiser. Le foyer fournit des brosses à dents, du savon. Il a un téléphone (une antiquité, genre ceux que j’avais il y a 20 ans!). Des centrafricains lui ont proposé de dormir dans leur logement (par terre, dans le salon)

Pour 150€/mois. Il est content d’avoir ce toit. Il gagne sa vie en montant des échafaudages, dans le bâtiment. Au black. Là, il vient de travailler 10 jours et il attend son salaire car avec ça, il pense , je cite, qu’il va « être tranquille ». Quand on parlait quelqu’un lui a

Téléphoné pour lui proposer de bosser demain pour la journée dans le bâtiment. Il a été arrêté par la police une fois et ils lui ont dit qu’il n’avait pas le droit de travailler mais lui leur a dit qu’il n’allait quand même pas voler. Et que sans travail, il n’aurait jamais de

« Papiers ». Le truc qui se mord la queue
Son plus gros achat, c’est ce vieux téléphone et juste après des baskets dorées et déjà bien usées mais il en était très fier car il a bien insisté, il ne veut pas ressembler à un clochard qui traîne dans la rue. 25€ les baskets.

Il est assez optimiste car il y a plein de chantiers partout et donc, il pense qu’il aura du travail et que bientôt il pourra envoyer de l’argent à sa famille.
Quand il ne travaille pas, il va vers la gare car il aimerait bien y rencontrer l’amour. Une femme lui a proposé de

Venir vivre chez elle mais c’était en Belgique et il a préféré refuser car il trouvait bizarre qu’elle lui propose cela sans le connaitre et avait peur qu’elle le jette à la rue et que tout soit à refaire.

Je lui ai dit, « Je te pose une question directe, ne te sens pas

Obligé d’y répondre ».
« Tu regrettes d’être ici? »
Il m’a dit « oui». « Oui c’est que du combat mais je vais rester ».

Au revoir et bonne chance, Ibrahim.