Pourquoi Alger est tombée?

Une source ottomane/algérienne

Je vais vous proposer une autre perspective sur la prise d’Alger en 1830, bien loin de la politique française et de Charles X. C’est une source qui explique les événements par des causes complètement différentes

Mais d’abord un petit détour: un diplomate autrichien du nom de Ottokar von Schlechta (si si je vous jure, il y a vraiment des gens qui s’appellent Ottokar), en voyage à Constantinople, fait dans son temps libre de la traduction d’ouvrages en persan et en turc.

Trente ans après la prise d’Alger, von Schlechta tombe sur un petit texte intéressant qu’il traduit en français: un récit de la prise d’Alger de la part de l’ex-mufti d’Alger, Hadj Ahmed Efendi. Schlechta dit que c’est “La prise d’Alger racontée par un algérien”

C’est pas faux, mais comme c’est écrit en turc, c’est aussi une source ottomane.

Hadj Ahmed a dû appartenir à l’élite ottomane algéroise car il est parti se réfugier en Anatolie, où il est devenu kaymakam (administrateur local) de Aliaga près d’Izmir.

On peut donc supposer qu’il était d’une famille kouloughlie ou turque. Je suppose qu’il devait être le mufti hanafite, école de droit musulman dominante chez les ottomans (il y avait aussi un mufti malékite, dominante en Afrique du Nord), mais ça reste à vérifier.

Alors, que dit Hadj Ahmed sur la prise d’Alger?

Problème: je ne peux pas lire l’ottoman (les experts qui veulent intervenir sont les bienvenus). Mais comme l’ottoman fait fortement usage de l’arabe et qu’on a la traduction en français, vous verrez, on s’y retrouve.

لكل شيء سبب فاتبع سببا... سبب حسين باشا بسيك

"Toute chose a sa cause, alors cherchez la cause (...) la cause (de la perte d'Alger) est Hussein Pacha."

C'est simple et lapidaire: la conquête, c'est la faute du dey Hussein

Pas la supériorité militaire ou morale des Français, ni la civilisation, ni l'esclavage, mais un problème individuel. Du leadership comme on dirait.

Le dey Hussein n’a pas très bonne réputation (désolé pour les habitants de la commune de Hussein-Dey, à l’est d’Alger).

Personne n'a regretté Hussein.

Le mouvement nationaliste lui a largement préféré Abdelkader: venant de l’intérieur, moins turc, avec plus de légitimité religieuse, et dont en plus la bravoure et les valeurs forcent l’estime des Français.

Mais est-ce pourtant sa faute?

Comme tout événement, la prise d’Alger suscite des débats. On en cherche la cause, hier comme aujourd'hui.

Et comme je l'ai déjà dit, on ne prend pas la parole d'un seul des participants pour aRgent comptant https://twitter.com/ArthurAsseraf/status/1284084620884168705?s=20

Cette règle s'applique également aux participants algériens, ottomans, ou les deux à la fois (comme Hadj Ahmed). Si on lit son texte, on a l'impression que tout est la faute de Hussein qui n'écoute personne.

Lien ici:
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k106281k?rk=21459;2

Mais on peut supposer que l'ex-mufti est en partie en colère parce que c'était son rôle, lui, 'alim ou savant, de conseiller le dey qui ne l'a pas écouté.

Bref, le récit de Hadj Ahmed Efendi, s'il est authentique (on a de bonnes raisons de croire que oui), n'est pas pour autant LA 'perspective algérienne'.

Il y a plein de perspectives algériennes qui donnent des interprétations différentes et contradictoires de la conquête.

à travers la poésie populaire, selon les régions, on trouvera des interprétations très négatives visant les Turcs ou pas, d'autres qui diront que c'est la faute d'Abdelkader, ou que c'était tous les musulmans qui avaient mérités de se faire envahir par leur manque de foi

Un des mythes persistants de l'histoire nationale algérienne est que le peuple était uni et que la régence d'Alger était un état national, usurpé par l'occupation française.

Or, les interprétations de la conquête parlent de division, d'individus, de groupes divergents, de fitna

Ce n’est pas parce que le roi de France a dit qu’il envoie une expédition pour mettre fin à l’esclavage que c’est la vraie raison de son expédition. Mais ce n'est pas parce qu'un mufti dit que c'est la faute de Hussein et de son coup de colère que c'est vrai non plus.

Une des choses les plus difficiles à faire comprendre c'est que la conquête de l'Algérie n'est pas juste un face-à-face France/Algérie qu'on va régler à coups de sommets présidentiels.

Derrière les Etats, il y a des gens, avec des motivations différentes.

بسلامة