On oppose souvent mutualité et sécurité sociale mais on pourrait très bien dire que la sécurité sociale est l’aboutissement d’une forme subversive de la mutualité.

Dans les deux cas, le capital et l’État sont l’ennemi.

Petit fil d’histoire éco (1789 et 1947).
La mutualité est indissociable de l’histoire de la lutte des classes et du développement du capitalisme en France. Elle s’inscrit dans le cadre du conflit capital-travail et propose des solutions variées au cours de son histoire.
Après une période durant laquelle la mutualité a été ambivalente au regard du capitalisme – entre la subversion de l’ordre établi et son acceptation – (1789-1981), elle est devenue une institution accompagnatrice des évolutions du capitalisme (1871-1947).
On peut distinguer 4 périodes :

1789-1852 Révolution et interdiction de la mutualité

1852-1871 La mutuelle d’empire entre subversion et réappropriation

1871-1945 De la républicanisation à Vichy l’intégration à l’ordre établi

1945-1947 La mutualité contre la sécurité sociale
Comme l’a souligné l’historien Éric Hobsbawm, les années 1780 marquent le début d’une double révolution qui ne va cesser de s’étendre : révolution industrielle (d’abord en Angleterre) et révolution politique (en France dans un premier temps).
En France, les institutions traditionnelles de prise en charge des malades sont marginalisées (Église et famille notamment) tandis que la dureté du travail industriel ainsi que l’urbanisation incontrôlée broient les corps comme jamais auparavant.
L’État reste le seul acteur en mesure d’agir mais il le refuse. La Révolution française est une révolution bourgeoise : économiquement, l’État promeut le laissez-passer, laissez-faire ; politiquement, L’État réduit l’espace de la citoyenneté à ceux qui peuvent payer.
Pris dans l’étau entre capital et État, les ouvriers sont contraints à s’auto-organiser pour changer la vie. Ils le font dans le cadre de coopératives mais aussi de sociétés de secours mutuels.
Alors que les organisations ouvrières (syndicats) sont interdites au nom de la liberté du commerce, les mutuelles sont dans un entre deux : elles sont tolérées lorsqu’elles permettent d’éviter les troubles sociaux, elles sont réprimées lorsqu’elles servent de caisse de grève.
Dans un contexte social de plus en plus tendu, sous le Second Empire, le décret du 26 mars 1852 créé un cadre pour les mutuelles avec des mutuelles approuvées et des mutuelles autorisées.
Les premières bénéficient d’avantages financiers et organisationnels en échange de contrôle politique (elle sont sous l’autorité du maire, nommé par le préfet, lui-même nommé par l’empereur), les secondes n’ont aucun avantage mais restent auto-organisées.
Cette évolution n’est pas du goût de tous. Le procureur général de Lyon ne s’y trompe pas et vois dans la légalisation des mutuelles une arme donnée aux ouvriers.
La mutualité est alors entre subversion de l’ordre établi (capital et État) et intégration de cet ordre par la tentative de réappropriation de l’État. La mutualité portait un projet politique d’auto-organisation ouvrière, il est contesté par l’État.
Avec l’épisode de la Commune de Paris, le mutualisme et la branche syndicale (plus radicale) du mouvement ouvrier vont progressivement se séparer. Les premiers étant de plus en plus acquis à l’ordre établi.
La composition sociale des mutualistes ne ment pas : instituteurs, médecins, professions intermédiaires, etc. En se républicanisant, la mutualité abandonne sa radicalité – désormais transmise aux syndicats.
La mutualité devient respectable et participe à la plupart des projets de protection sociale inventés par l’État pour contrer la force du mouvement ouvrier : Retraites ouvrières et paysannes (1910) et lois d’assurance sociales (1928-1930) principalement.
Laroque, ancien directeur de la sécurité sociale, pose une analyse sans fard de la mutualité de la 3è République: elle est devenue « l’instrument d’un nouveau type de paternalisme social ».
Fini l’auto-organisation, voici l’avènement de la bureaucratisation et du contrôle social.
Vichy marque les années noires de la mutualité. La Fédération nationale de la mutualité française explique en 1942 que sa doctrine est parfaitement convergente avec la Charte du travail : il faut accepter la partition capital-travail et négocier pacifiquement avec le patronat.
A la libération la sécu est une institution originale car elle n’est pas nationalisée mais socialisée : ce n’est pas l’État qui gère mais les intéressés eux-mêmes (75% des sièges dans les caisses pour les ouvriers). La mutualité se présente et perd piteusement les élections.
Après des années de paternalisme social, les classes populaires savent qu’elles sont les mieux placées pour savoir ce dont elles ont besoin. Ce n’est ni le cas de L’État ni celui de la mutualité républicaine – qui les suspectent d’être des classes opportunistes et imprévoyantes !
De leur côté, les dignitaires de la mutualité en 1945 refusent radicalement la sécurité sociale. Des ouvriers à la tête d’une institution aussi puissante ? en remplacement de la mutualité qui gérait les assurances sociales depuis 1928 ? C’était inacceptable !
Dans un contexte loin d’être pacifié et unanime en 1945, les classes populaires ont conquis le contrôle de la sécurité sociale. Contre la mutualité, contre les médecins, contre le patronat, contre la CFTC, etc. Et pourtant, la sécu consacre le retour de l’auto-organisation.
Dans un climat de défiance permanent, la mutualité conquiert néanmoins de nouveaux espaces d’activité : les 20% de ticket modérateur, la gestion des caisses de fonctionnaires, etc. La mutualité est sauvée pour des raisons politiques et non économiques.
Traditionnellement, la sécurité sociale est présentée comme la revanche des syndicalistes contre les mutualistes. En réalité, il s’agit d’une revanche d’une certaine forme de mutualité (subversive) face à une autre forme de mutualité (intégrée au capitalisme et à l’État).
Quatre tweets de conclusion :
1. L’état et le capital ne donnent rien et c’est par la force des choses que les mutualistes se sont organisés pour changer l’ordre social. Par peur des bouleversement sociaux violents (révolution), l’État et le capital consentent à des améliorations de la vie matérielle.
2. Après avoir interdit la mutualité, l’État se l’est réapproprié en en changeant le sens. Par le décret de 1852, par la charte de la mutualité de 1898, par les lois d’assurances sociale de 1828-1930. De l’auto-organisation ouvrière contre le capital et l’État à l’intégration.
3. La sécu connait le même processus de réappropriation après 1945 : d’une institution ouvrière, elle devient une institution d’État. Or, la seule façon pour imposer des prestations de bonne qualité est de contrôler politiquement l’institution. https://twitter.com/dasilva_p13/status/1203754363115601920
4. L’enjeu du 100% sécu n’est pas principalement technique (c’est moins cher ?) mais surtout politique (qui décide ?). Un 100% sécu sans contrôle politique de l’institution pourrait se révéler très décevant. https://twitter.com/dasilva_p13/status/1216089170617229313
Pour aller plus loin : https://twitter.com/dasilva_p13/status/1283458945877671936
Ou encore : https://twitter.com/dasilva_p13/status/1267481597172998149
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