Pénible, contraignant voire liberticide... Ce sont les mots qui émergent parfois lorsqu’on nous demande de modifier notre mode de vie pour limiter le changement climatique. Mais ce qu’on fait actuellement est-il suffisant ?
Et sinon, quelles seraient les conséquences ?
#Thread
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Quelle est la situation actuelle ?
Nous sommes déjà dans un monde à +1°C par rapport à l’époque préindustrielle (1850, voir échelle de droite du graphique ci-dessous).
+1°C… Ça semble tellement peu. Et pourtant c’est gigantesque : l’énergie reçue liée au surplus d’effet de serre en raison des activités humaines correspond à celle de 400 000 centrales nucléaires qui seraient dédiées uniquement à réchauffer la planète !
On se dit qu’avec les Accords de Paris, une trajectoire soutenable est engagée. Le problème étant qu’en y regardant de plus près, si on prolonge la trajectoire d’après les engagements pris pour 2030 par les signataires, cela ne limitera le réchauffement qu’à…+3.2°C.
De son côté, la France a établi une trajectoire pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et donc limiter le réchauffement à +2°C. Mais en raison d’efforts insuffisants sur le transport (31% de nos émissions) et les bâtiments (19%), elle n’arrive pas à remplir ses objectifs…
… et ceci dès les premières années (pourtant les plus faciles) en se disant qu’il suffira d’être encore plus efficace par la suite !
Mais est-ce vraiment à nous (1% des émissions mondiales) de faire les efforts et pas à la Chine par exemple ?
Oui, chacun doit faire sa part, car :
1) Il faut penser à compter en plus de nos émissions sur notre territoire, les émissions dans les produits que nous importons.
2) Il est plus logique de regarder l’empreinte carbone par habitant plutôt que juste comparer des pays de tailles très différentes. Ainsi, un français émet plus qu’un chinois (11tCO2/an vs 6tCO2/an).
3) Enfin, il faut regarder aussi les émissions cumulées depuis 1750, dont 33% ont été émises par l’Europe et qui ont permis son essor tandis que la Chine, même avec une population plus importante, n’est responsable elle que de 13% de ce total d’émission cumulées jusqu’en 2017.
Quelles conséquences si on ne change pas de trajectoire ?

Projetons-nous donc dans un monde où nous ne changeons pas de trajectoire, et où nous atteignons +3,2°C vers la fin du siècle.
+1°C, +2°C, +4°C, c’est petit, quelle différence ? Pour comparaison, 4°C c’est l’écart de température moyen qui nous sépare de la précédente ère glaciaire ! Par contre accrochez vos ceintures car l’évolution en cours est 100x plus rapide que la dernière sortie d’ère glaciaire.
Imaginons un été à la fin de notre siècle : la canicule dure depuis trois semaines, le thermomètre affiche 40°C, un peu comme en 2003. C’est pénible, mais c’est désormais cela un été normal. Ainsi, une année sur deux, c’est encore pire.
Les dégâts de la canicule ne se feront pas sentir uniquement sur les personnes, mais aussi sur les bâtiments qui se fissurent (retrait-gonflement des argiles) ainsi que sur les pertes de rendement agricoles.
Au niveau mondial la situation sera encore pire. Augmentation des feux de forêt, de l’intensité des cyclones, des submersions/inondations, des sécheresses. On peut dire que le cycle de l’eau en aura pris un sacré coup. On est loin de la seule conséquence pour les ours polaires.
Cependant, l’impact sur la biodiversité est bien réel. Les récifs coralliens auront tous disparus et n’existeront avec toutes leurs couleurs que dans les images d’archives. Ces mêmes récifs qui hébergent aujourd’hui 30% de la biodiversité marine connue.
L’acidification et le réchauffement des océans impactent toute la chaîne alimentaire marine et les populations de poisson s’en trouvent réduites (exemple : certains planctons auront des difficultés à former des coquilles calcaires ce qui peut impacter leurs prédateurs).
Même si moins dommageable pour la biodiversité que le changement d’utilisation des terres (ex : artificialisation des sols) ou la surexploitation, le changement climatique est tout de même un danger du même ordre que la pollution !
Il faut aussi prendre en compte les boucles de rétroaction, qui vont pour certaines aggraver le problème : fonte du permafrost qui libère du méthane, feux de forêt qui émettent du CO2, acidification et réchauffement des océans qui limitent leur capacité à absorber du CO2, etc.
Là où cela devient vraiment inquiétant, c’est quand nos besoins primaires seront touchés. Ainsi, dans un monde à +3,2°C, l’insécurité alimentaire sera devenue mondiale avec des famines pouvant arriver un peu partout.
Les ressources en eau douce seront aussi menacées, les glaciers servant de réserves d’eau douce (aussi pour l’agriculture) en alimentant les fleuves au printemps/été lors de leur fonte. Ces glaciers auront disparu de moitié dans le monde et même totalement dans certaines régions.
La montée des eaux (en raison de la fonte des glaciers, des calottes polaires et de la dilatation thermique des océans) sera de + de 50cm en 2100. Dérisoire ? Pas pour les 70 millions de personnes déplacées, ainsi que les régions agricoles (comme les deltas) devenues infertiles.
Les réfugiés climatiques seront de plus en plus nombreux, le pire étant probablement pour ceux qui n’ont pas les ressources pour migrer et qui devront rester dans un environnement rendu invivable.
Quand on voit l’ensembles des tensions et des vulnérabilités qui vont se rajouter dans le système, on ne sera alors pas étonné de l’augmentation d’un fléau que l’on souhaite pourtant éviter à tout prix : les conflits armés.
Tout notre développement depuis l’invention de l’agriculture s’est fait dans un climat particulièrement stable. Le changement climatique, ce n’est pas l’apocalypse, mais ça risque de rendre beaucoup moins vivable la seule Terre que nous ayons pour héberger l’humanité.
Avec cette petite fenêtre sur un avenir possible, posons-nous la question à nouveau : maintenant que nous connaissons les conséquences du changement climatique, quels efforts sommes-nous prêts à faire pour éviter que cela se termine comme ça ?
Un grand merci à @fmbreon pour avoir relu mon thread et répondu à mes questions :). Je vous conseille d’ailleurs de le suivre (il est climatologue) si vous voulez en apprendre plus sur le sujet.
Dans les autres comptes à suivre sur le changement climatique :
*Deux autres climatologues : @valmasdel et @cassouman40
*Un caillou qui fait de très bons threads et quizzs 😉 : @laydgeur
*Le collectif Citoyens pour le Climat : @CPLCFrance
En parlant de thread, voici une sélection pour mieux comprendre le problème :
*L’effet de serre : https://twitter.com/laydgeur/status/1134431502815678465
*Le forçage radiatif : https://twitter.com/laydgeur/status/1139905984653090817
*Vapeur d’eau et effet de serre : https://twitter.com/fmbreon/status/1189639242999316488
*Les points de bascule du climat : https://twitter.com/valmasdel/status/1204374046739177472
*La variabilité interne du climat : https://twitter.com/cassouman40/status/1191104824332431362
*La fonte des glaciers : https://twitter.com/CPLCFrance/status/1264996648196939776
Enfin, si vous souhaitez mieux comprendre les mécanismes et les conséquences du changement climatique, le tout sous une forme ludique, vous pouvez aussi participer à un atelier (possible en ligne) de la @FresqueDuClimat : http://fresqueduclimat.org/ 
Envie de connaitre les sources et bases scientifiques derrière ce récit ?
« Non, ça fait déjà pas mal » -> dans ce cas, merci d’avoir lu :)
« Oui, ça m’intéresse » -> Alors on continue !

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*Nous sommes actuellement à +1°C ?
Oui, en moyenne au niveau mondial en comparaison avec l’ère préindustrielle (1850).
Source : https://climate.copernicus.eu/surface-temperature
*Le forçage radiatif (FR) anthropique correspond à la puissance de 400 000 centrales nucléaires ?
Le FR est actuellement de 2,29W/m² (GIEC, AR5), la surface de la terre est de 510millions de km², soit 1200 TWthermique donc 400 000 centrales de 1GWe avec un rendement de 30%.
* Trajectoire des engagements des Accords de Paris à +3,2°C ?
Les informations viennent du « UN Emissions Gap Report 2019 » https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/30798/EGR19ESFR.pdf?sequence=15. Les CDN sont Contributions Déterminées au niveau National.
*La France ne respecte pas sa trajectoire de neutralité carbone ? Une bonne partie des émissions vient des importations ?
Les trois graphiques viennent du rapport Grand Public du Haut Conseil pour le Climat (à lire, très intéressant) : https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2019/09/hcc_rapport_annuel_grand_public_2019.pdf
*Comparaison entre émissions France et Chine
Les empreintes carbone/habitant par pays viennent du site http://www.globalcarbonatlas.org/fr/CO2-emissions (en cliquant sur Type>Consommation et unité tCO2/pers)
Il est indiqué que la Chine est à 6tCO2/hab/an (11tCO2/an pour FR vient du rapport ci-dessus)
*Emissions de CO2 cumulées depuis 1750
Source : https://ourworldindata.org/co2-and-other-greenhouse-gas-emissions
*4°C de différence entre la dernière ère glaciaire et l’ère préindustrielle
Le graphique vient de la présentation suivante : https://fr.slideshare.net/Glaciers/les-alpes-pendant-la-dernire-glaciation-presentation
Le chiffre de 4°C est une moyenne de ce qu’on trouve dans le rapport du GIEC (AR5, WG1).
*Canicule 2003 devient un été standard ?
Je me suis basé sur les projections du site de Météo France pour les étés futurs en France http://www.meteofrance.fr/climat-passe-et-futur/climathd. On remarque que l’été 2003 est à mi-chemin entre le RCP4.5 et le RCP8.5.
Sachant que le +3,2°C que je prends comme référence est même légèrement pire (RCP8.5 donne +4°C et RCP4.5 donne +2°C en 2100, donc la moyenne serait à +3°C). Source : GIEC, AR5, WG1
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/WG1AR5_SummaryVolume_FINAL_FRENCH.pdf
Cet aspect « canicule de 2003 qui pourrait devenir la norme » est évoqué par @valmasdel à 32min38 dans la vidéo suivante (à regarder!) :
Attention cependant, c’est ici un calcul plutôt simple, il faut garder en tête que par rapport au réchauffement global, le réchauffement en France sera plus important et que le réchauffement des extrêmes peut-être supérieur aux moyennes (cf. vidéo ci-dessus).
*Dégâts sécheresse sur les bâtiments ?
Certaines argiles peuvent perdre de leur volume en séchant et gonfler en se réhydratant, ce qui peut avoir des impacts sur les bâtiments. Ce type de conséquence est présente dans le Rapport du GIEC (AR5, WG2).
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/03/WGIIAR5-IntegrationBrochure_fr-1.pdf
*Pertes rendement agricoles ?
Ci-dessous deux graphiques du GIEC (AR5, WG2) sur les pertes constatées sur la période 1960-2013 (à gauche) et sur les pertes de rendement futurs (à droite).
*Augmentation des feux
L’augmentation des sécheresses et des chaleurs sont des éléments favorisant le développement de feux important, comme en Australie !
Source : GIEC (AR5, WG2)
*Augmentation de l’intensité (mais pas fréquence) des cyclones
Un cyclone déjà bien formé puisera plus d'énergie pour se renforcer dans une atmosphère humidifiée au-dessus d'océans réchauffés.
Source : GIEC, Rapport spécial sur les Océans et la cryosphère
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/3/2020/07/SROCC_SPM_fr.pdf
*Augmentation des sécheresses
La perturbation du cycle de l’eau (possible manque de pluie) et l’augmentation de l’évaporation en raison de fortes chaleurs favorisent les sécheresses.
Source : GIEC, AR5, WG2
*Augmentations des submersions et des inondations
Les submersions (mers) sont liées à des évènements cycloniques ou montée des eaux tandis que les inondations sont liées aux crues des rivières et/ou des pluies sévères.
Source : GIEC, AR5, WG2
De plus, les événements de précipitations importantes verront leur intensité augmentée car un air plus chaud peut contenir plus de vapeur d’eau.
*Disparition des récifs coraliens
D’après le Rapport spécial du GIEC sur le réchauffement planétaire de 1°C, une quasi disparition des récifs coraliens est prévue dès +2°C ! https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf
Source sur les 30% de la biodiversité marine : http://www.ocean-climate.org/wp-content/uploads/2015/03/FichesScientifiques_coraux-changement-climatique.pdf
*Acidification des océans
L’acidification est dû à la dissolution du CO2 dans les océans qui crée de l’acide carbonique (GIEC, AR5). L’impacts sur le plancton à coquille est le même que lorsque vous mettez du vinaigre dans votre bouilloire pour enlever le calcaire !
L’impact négatif (en ajoutant le réchauffement des eaux) sur la biomasse marine devrait être particulièrement marqué dans les latitudes intertropicales alors qu’il sera positif près des pôles (GIEC, SROCC).
*Impacts sur la biodiversité
Le graphique vient du rapport de l’IPBES (GIEC de la biodiversité) sur l’évaluation mondiale de la biodiversité : https://ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf
Dans les rapports du GIEC, il y a un graphique intéressant sur la vitesse de migration des espèces vs CC.
*L’impacts des différentes boucles de rétroactions sur le climat
Pour le permafrost, son dégel va provoquer la décomposition d’une partie de la matière organique riche en carbone qu’il contient. Cela augmentera son relâchement dans l’atmosphère (CH4 ou CO2).
Source : GIEC, AR5
*Impact sur la sécurité alimentaire
C’est une conséquence de beaucoup d’évènements vu ci-dessus (canicules, submersion, inondations, sécheresse, etc.). Le graphique vient du Rapport spécial du GIEC sur les terres émergées
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/4/2020/06/SRCCL_SPM_fr.pdf
*Glaciers et ressources en eau douce
Il faut voir les glaciers comme des réservoirs d’eau douce pour beaucoup de régions. La quantification et les impacts sont précisés dans le rapport du GIEC sur les Océans et la Cryosphère.
*La montée des eaux
Trois causes : fonte des glaciers (Alpes, etc.), fonte des calottes polaires (Groenland, Antarctique) et dilatation des océans lorsqu’ils se réchauffent.
La banquise étant de la glace sur l’eau, sa fonte ne fait pas augmenter le niveau de mers !
(GIEC, AR5)
*Les réfugiés climatiques/les conflits armés
Ces tristes conséquences découlent des éléments explicités ci-dessus. Les déplacements liés à la montée des eaux viennent d’une étude citée par le GIEC. Pour 2m de montée des eaux, ce serait 1,8 Milliards de personne !
Source : GIEC
*Le climat stable de l’holocène
Depuis la naissance de l’agriculture il y a environ 10 000 ans jusqu’à aujourd’hui, le développement de l’espèce humaine s’est fait dans une fourchette de température globale stable d’environ 1°C : l’holocène.
Source : https://www.pnas.org/content/109/13/4730
C’est la fin de ce thread, merci 🙏et bravo aux courageux arrivés jusqu’ici 🙂
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