Outre l'histoire des Empires français et de la Restauration, une autre histoire m'a toujours intrigué, à savoir celle de l'Empire du Japon, et plus particulièrement sa construction à partir de 1868 avec le raffermissement du culte de l'Empereur.
Dans un thread en trois parties j'essaierai de vous exposer l'une des bases essentielles ayant favorisée la construction d'un État moderne et centralisé au début de l'ère Meiji à travers l'histoire de la Mission Iwakura se déroulant entre décembre 1871 et septembre 1873.
Il est primordial tout d'abord avant de commencer à aborder les buts et enjeux de la Mission Iwakura de saisir le contexte précédant la mise en place d'une telle mission. Ainsi la période de 1842 (fin du Sakoku ou "fermeture du pays") à 1868 (Le Serment des Cinq-Articles) se pose
Ainsi si le sakoku (qui dura de 1650 à 1842) se définit par une politique d'isolationnisme plus ou moins globale, le Japon n'est pour autant pas hermétique à toute influence extérieure et notamment européenne. Les élites japonaises se renseignent sur les avancées technologiques
occidentales et plus particulièrement néerlandaises via des documents passant par Dejima (micro-île tenue par les Néerlandais à proximité de Nagasaki). Cette méthode d'apprentissage était ainsi nommée rangaku ou "études néerlandaises. L'ouverture à l'Occident est alors naissante.
Néanmoins l'ouverture du Japon est lente et très incomplète à l'orée de la décennie 1850. Souhaitant ouvrir leurs marchés au marché japonais et étendre leur influence commerciale en Asie, les Occidentaux et notamment les États-Unis vont provoquer l'ouverture du Japon au monde.
Ainsi l'envoi du commodore Matthew Perry et de sa flotte dans l'archipel japonais provoque la Convention de Kanagawa (1854) ou la signature d'un des nombreux "traités inégaux" qu'impose les puissances occidentales aux puissances asiatiques. Le Japon s'ouvre peu à peu.
Pourtant il ne faudrait pas non plus affirmer que l'ouverture du Japon ne se base uniquement que sur une ingérence occidentale. Déjà depuis des années des intellectuels japonais, admiratifs de l'avancée technologique occidentale, souhaitent s'en inspirer.
C'est notamment le cas de Yoshida Shôin qui cherche à s'embarquer dans la flotte de Matthew Perry en 1854 afin d'apprendre des Occidentaux. Il échoua et mourut en 1859 seulement âgé de 29 ans non sans avoir influencé de futurs cadres de la Restauration Meiji comme Itō Hirobumi.
De plus si cette ouverture du Japon au monde peut sembler violente et impersonnelle, celle-ci est aussi du fait d'un déclin du shogunat des Tokugawa et de l'apparition de conflits internes à la politique japonaise.
L'avènement d'une bourgeoisie marchande et la lente chute de la société féodale, véritable base du shogunat des Tokugawa, affichaient les prémisses de la Restauration Meiji. De plus, si la Convention de Kanagawa fut signée dès 1854, entamant la période de bakumatsu (1854-1868)
les différents traités signés avec le Japon n'autorisaient pas l'installation d'étrangers dans l'archipel avant août 1859. Ceux-ci, une fois installés, bénéficient d'une exterritorialité large se basant sur les traités de Nankin et de T'ien Tsin signés avec la Chine en 1842-1858.
D'une initiative américaine et d'une implantation anglo-saxonne toujours plus prononcée dans la région, l'ouverture du Japon sur le monde devait provoquer des rapprochements à la fois politiques, commerciaux et culturels.
Un premier "Centre d'étude de l'anglais" ouvre en 1858, suivi d'une première mission diplomatique aux États-Unis en 1860 (cinq autres suivront jusqu'en 1867) sur l’instigation du shogunat. Ce fut la première délégation du Japon qui voyagea à l'étranger depuis deux siècles et demi
Le concert des nations voulant étendre leur influence en Asie voit ainsi de plus en plus le Japon comme une opportunité nouvelle d'extension. Le Japon voit l'ouverture comme un moyen de se développer et ainsi éviter toute colonisation de son territoire comme en Chine.
Le shogunat envoie une délégation en France conduite par Yasunori Takenouchi dès 1862 dans cet effet. Le français commence à être enseigné dès 1863, notamment par des missionnaires. Débutées en 1858 par Traité d'amitié et de commerce entre la France et le Japon, ces relations
devaient s’accélérer avec l'arrivée de Léon Roches à la place de Duschesne de Bellecourt à l'Ambassade française du Japon en 1864. La France cherche alors à être le partenaire privilégié de cet archipel en quête d'un modèle de développement
De cette période d'ouverture du pays toujours plus concrète et croissante au fil des années le débat intellectuel à l'intérieur même du Japon se divise schématiquement entre deux camps. Les pour ou les contre l'ouverture.
Ainsi après un peu plus de deux siècles d'isolationnisme, le Japon voit certains seigneurs locaux contester la présence toujours plus nette d'étrangers à l’intérieur de l'archipel. Cette évolution de la société japonaise permet l’émergence de la philosophie du Sonno Joi.
Basée sur la vénération de l'Empereur et sur une hostilité envers le shogunat qui a ouvert la porte du Japon aux étrangers. Cette philosophie provoque une montée des tensions découlant sur l'Incident de Namamugi, provoquant l'agression de cinq ressortissants britanniques en 1862.
L'expédition punitive menée par les Britanniques en 1863, connue sous le nom de Bombardement de Kagoshima, devait montrer la supériorité militaire des forces occidentales et affaiblir d'autant plus le pouvoir et l'influence du shogunat sur l'archipel.
De ce fait, un croissant et de plus en plus influent mouvement pro-occidental se fait entendre et se matérialise culturellement. Tout d'abord par l'envoi d'étudiants japonais dans les universités occidentales afin d'apprendre de leurs sociétés.
Les plus connus sont les Cinq de Chōshū. Composés de Itō Hirobumi, Inoue Kaoru, Yamao Yōzō, Endō Kinsuke et Inoue Masaru, ils apprennent auprès du professeur Alexander William Williamson à l'University College de Londres à partir de 1863.
Itō Hirobumi, observant la culture occidentale, l'assimile peu à peu, changeant dès lors sa position. Parti fervent défenseur du Sonno Joi et de l'isolationnisme du Japon, il devient un farouche partisan de l'ouverture de l'archipel aux puissances occidentales.
Cette contestation du retard japonais sur les puissances occidentales n'est néanmoins pas que du fait des Cinq de Chōshū. Présent dans la délégation japonaise en France en 1862, Fukuzawa Yukichi s'inscrit dans cette mouvance jusqu'à en devenir l'un des plus grands propagandistes.
Ainsi à son retour du Japon il écrit son œuvre majeure "Seiyō Jijō" ou « Situation de l’Occident » publiée en dix volumes de 1867 à 1870. Le premier volume est tiré à plus de 250 000 exemplaires, preuve de l'attrait concret de l'élite japonaise pour une ouverture sur le monde.
Son credo devient dès lors «Quitter l'Asie et rejoindre l'Europe» ou quitter les influences chinoises pour assimiler une autre voie de développement et affirmer un développement japonais capable de créer un État fort et centralisé capable de faire face aux puissances occidentales
Ainsi si la construction de l’État moderne japonais doit passer par une forme d'occidentalisation notamment dans l'industrie de la soie malgré une proto-industrialisation japonaise (la plus réputée au monde, très appréciée pour sa qualité), la médecine japonaise
s'inspira à la fois de la tradition japonaise du Yôjô (cultiver et entretenir la vie) et des principes hygiénistes occidentaux. Ainsi, en 1864, Matsumoto Ryôjun, médecin inspecteur des armées du shogunat écrit un manuel d’hygiène à destination de l'ensemble de la société.
L'influence du mouvement pro-occidental alla vers une ouverture plus nette avec les puissances occidentales et notamment la France. Représentée par Léon Roches depuis 1864, la France étend son influence culturelle et économique sur l'archipel japonais.
Ainsi, représentés par des figures comme Bernard Petitjean et Louis Furet, les enseignements français couvrent de nombreuses thématiques à la fois politiques, religieuses ou économiques. Chomin Nakae, le futur "Rousseau de l'Orient" fut élève dans une de ses écoles françaises.
Le collège franco-japonais de Yokohama ouvert par Eugène Mermet-Cachon en 1865 (d'un commun accord entre les clans locaux et la France) sort également un certain nombre de cadres de la future administration du Japon de l’Ère Meiji. L'influence française est établie.
La collaboration entre la France de Napoléon III et le shogunat Tokugawa de Yoshinobu se fit également sur le terrain militaire où dès 1867, une délégation militaire de 19 hommes dirigée par le capitaine d’Etat Major Jules Chanoine, part pour le Japon.
La France prend alors parti pour le shogunat face à ses ennemis internes favorables à une restauration des pouvoirs et du culte de l'Empereur. Ces derniers contestent l'autorité du shogunat à la suite des traités inégaux démontrant la faiblesse du shogunat face aux étrangers.
Cette situation, sur fond de rivalité franco-britannique, déboucha au déclenchement de la Guerre de Boshin (1868-1869) et à la bataille décisive de Toba-Fushimi (janvier 1868) voyant la victoire des forces impérialistes face aux forces du Shogunat. La France devait se retirer.
Ce retrait français ne fut pas accepté par tous et notamment par une partie de la délégation militaire française présente au Japon. Ainsi Jules Brunet et quatre de ses sous-officiers (Bouffier, Cazeneuve, Fortant, Marlin), choisirent de rester au Japon et de continuer la lutte.
Continuant le combat dans le Nord du Japon et guidant les dernières forces du shogunat menées Keisuke Otori, Ikunosuke Arai et l'éphémère président de la République d'Ezo (janvier-juin 1869) Enomoto Takeaki, la bataille de Hakodate devait ruiner tout espoir de renversement.
Le shogunat écarté et déjà affaibli dès janvier 1868 laisse sa place à la Restauration Meiji. Le Serment des Cinq-Articles prononcé par l'Empereur Meiji (ou Mutsuhito en Occident) devait officialiser le retour de l'ordre impérial et la construction d'un État fort et moderne.
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