[THREAD] Comme promis, j'ai écrit sur mes années passées à l'Éducation nationale. J'annonce d'emblée : les rageux, les réactionnaires de tous poils seront bloqués. C'est parti. 1/ https://twitter.com/proflambda/status/1281606513841385472
Je m’étais dit que je le ferai. Que j’écrirai sur mes années passées à l’Éducation Nationale. Une forme de bilan qui me permettrait de tourner la page ds un sentiment d’amertume, mais sans aigreur. It’s time, I think. Sinon je ne le ferai jamais.
Je sens que ça va être long. 2/
Je sens que ça va être long. 2/
Très personnel aussi.
J’ai fait des études de lettres sans trop savoir où j’allais mais par simple attirance pour la littérature. Et pis au fil des ans, je me suis bien rendu compte que la voie assez incontournable était l’enseignement. Alors, j’ai pas trop cherché 3/
J’ai fait des études de lettres sans trop savoir où j’allais mais par simple attirance pour la littérature. Et pis au fil des ans, je me suis bien rendu compte que la voie assez incontournable était l’enseignement. Alors, j’ai pas trop cherché 3/
et j’ai passé le Capes. Je me suis vautrée à l’oral. Et pis j’ai commencé à être contractuelle, ds des bahuts chauds de l’Oise et j’ai carrément aimé ça. De façon très présomptueuse je me suis senti investie d’une mission essentielle, ds ces quartiers populaires : transmettre. 4/
Transmettre mon savoir. J’en ai chié, j’ai été méprisée en tant que petite contractuelle par des principaux de collège, mais j’ai voulu continuer.
Quand j’ai eu suffisamment d’ancienneté, en 2012, j’ai pu passer le Capes interne, que j’ai eu du premier coup et haut la main. 5/
Quand j’ai eu suffisamment d’ancienneté, en 2012, j’ai pu passer le Capes interne, que j’ai eu du premier coup et haut la main. 5/
Ça y est : l’institution reconnaissait ma légitimité. Ms surtout, j’étais intimement persuadée que je ferai ce boulot toute ma vie. Que j’étais à l’abri aussi, d’un point de vue financier.
Et puis j’ai été nommée en lycée et j’ai tout de suite été en conflit avec le proviseur 6/
Et puis j’ai été nommée en lycée et j’ai tout de suite été en conflit avec le proviseur 6/
Proviseur à la réputation sulfureuse, comme il y en bcp. Sans entrer dans les détails, j’ai juste vécu une année terrible, et les agissements de cet individu, le fait qu’ils aient été sus et couverts (pour ne pas dire encouragés) par l’institution 7/
sont autant d’éléments qui m’ont littéralement détruite.
J’ai obtenu ma mutation à la fin de cette année et j’ai mis des mois à retrouver un peu de sérénité. Manque de bol, c’est cette année-là que la ministre avait décidé de pondre une réforme géniale, la réforme du collège 8/
J’ai obtenu ma mutation à la fin de cette année et j’ai mis des mois à retrouver un peu de sérénité. Manque de bol, c’est cette année-là que la ministre avait décidé de pondre une réforme géniale, la réforme du collège 8/
dont le ressort est désormais éculé : prétendre innover, imposer de l’interdisciplinarité sans aucun sens pour simplement réduire les heures d’enseignement, dégrader les conditions d’apprentissage, bref faire des économies budgétaires. 9/
Et là, j’ai assisté à la déferlante de collègues favorables à cette réforme alors même qu’elle annonçait des suppressions de postes massives, au nom d’une innovation pédagogique aveugle et à l’idéologie extrêmement dangereuse. 10/
Une nouvelle fois, j’ai obtenu ma mutation, en lycée à nouveau, et j’ai pu échapper à la mise en œuvre de cette réforme inepte. J’ai obtenu un poste normalement accessible en fin de carrière, dans le lycée général de centre-ville du chef lieu de mon département. 11/
Là encore, j’y ai vu l’opportunité de reprendre un nouvel élan, dont je pressentais que ce serait le dernier. Je suis tombée dans un lycée très plan plan, avec des collègues installés et qu’il ne fallait surtout pas bousculer. 12/
On perd 1, 2 classes à la rentrée suivante ? Pas grave. On regroupe les élèves en langue et ils se retrouvent en classe entière, à 35 ? Pas grave non plus. Pis même, on lorgne sur les heures dédiées aux opt°, parce qu’on se les prendrait bien pr fr des dédoublements en maths. 13/
Et la réforme du lycée est arrivée, et comme de prévisible, les collègues n’ont pas bougé. On perd l’occitan et l’arabe ? OSEF. À la faveur d’un départ à la retraite, on ferme le seul poste d’allemand ? OSEF encore. 14/
On supprime un poste de SES et de maths, là encore à la faveur de départs à la retraite ? OSEF toujours. Finies les classes de 1ère et de Terminale ES ou L à moins de 25 ou 30 élèves ? OSEF définitivement. 15/
On va quand même pas boycotter le bac blanc ! Et l’intérêt des élèves alors hein ?
L’individualisme, la résignation, le petit bout de la lorgnette. Parce que l’intérêt des élèves est quand même sacrément mis à mal avec la réforme. Mais c’est pas grave :
16/
L’individualisme, la résignation, le petit bout de la lorgnette. Parce que l’intérêt des élèves est quand même sacrément mis à mal avec la réforme. Mais c’est pas grave :
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On compensera tant bien que mal, avec nos propres moyens. Ça tombe bien : c’est exactement sur ce sens du service public, sur cette conscience professionnelle que comptent les concepteurs des réformes.
Et puis il y a eu la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. 17/
Et puis il y a eu la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. 17/
Ce fameux rdv de carrière. J’ai expliqué qu’imposer 2heures supp hebdo était une hérésie, que la fin des commissaires paritaires une profonde injustice et la porte ouverte au clientélisme. J’ai expliqué que je pensais prendre mes jambes à mon cou. 18/
’ai eu un inspecteur intelligent, ouvert au dialogue qui m’a expliqué qu’il voulait me convaincre de rester. Et naïvement j’y ai cru. Lorsque j’ai découvert son rapport, début juillet, qui me barrait la route à toute forme de promotion accélérée... 19/
j’ai compris qu’il n’y avait définitivement plus rien à attendre de cette institution, qui méprise ouvertement les enseignants intègres et consciencieux. Parce qu’entre nous, en lettres classiques, y a un sacré paquet de branquignoles. 20/
Épuisée de devoir faire le tapin, année après année, pr avoir un maximum d’élèves au risque de voir les heures se réduire ou mon opt° disparaître, épuisée de devoir me battre contre ma direct° pour avoir des horaires d’enseignement décents (pas du 12h à 13h ou du 17h à 18h) 21/
Épuisée de me battre contre une institution qui perçoit mon option comme élitiste, j’ai décidé de rendre le tablier.
Et, à la publication des résultats, vendredi en fin d’après-midi, j’ai pleuré, toute seule, dans le hall de l’aéroport où mon avion de retour m’attendait. 22/
Et, à la publication des résultats, vendredi en fin d’après-midi, j’ai pleuré, toute seule, dans le hall de l’aéroport où mon avion de retour m’attendait. 22/
Je n’avais pas pleuré quand j’ai obtenu mon Capes, alors que j’avais couru après pendant plusieurs années. Vendredi, je n’ai pas pleuré de joie, mais de soulagement. Une chape de plomb s’envolait tout à coup, son poids disparaissait de mes épaules.
23/
23/
Je ne serais plus obligée de continuer à enseigner, de continuer à exercer ce métier qui était devenu une véritable souffrance.
Sachant parfaitement que mon administration m’aurait refusé tout détachement définitif, toute demande de temps partiel, de disponibilité 24/
Sachant parfaitement que mon administration m’aurait refusé tout détachement définitif, toute demande de temps partiel, de disponibilité 24/
ou de rupture conventionnelle au nom de "la nécessité de service", je jubile de savoir que ce détachemt dont je vais bénéficier à partir du 1er septembre ne pourra pas m’être contesté, tout comme mon administrat° ne pourra pas me contester non plus ma probable intégration... 25/
...définitive dans le corps des attachés d’administration.
Je souhaite bien du courage à tous les collègues qui continuent, qui souffrent mais qui essaient de mener la barque : si le navire Éducation Nationale ne sombre pas, c’est exclusivement grâce à votre dévouement. 26/26
Je souhaite bien du courage à tous les collègues qui continuent, qui souffrent mais qui essaient de mener la barque : si le navire Éducation Nationale ne sombre pas, c’est exclusivement grâce à votre dévouement. 26/26