[Thread : pourquoi la "born this way theory" c’est de la merde]

J’appelle "born this way theory" la tendance qui soutient que l’orientation sexuelle est déterminée biologiquement, qu’elle est essentielle et immuable.

N.B. : l'hétérosexualité désigne ici le régime politique.
J’expliquerai d’abord pourquoi je comprends qu’on y adhère puis j’essaierai d’argumenter en faveur d’une théorie constructiviste de l’orientation sexuelle, enfin je dirai pourquoi je pense que non, il n’y a pas de danger à soutenir que l’orientation sexuelle est construite.
1) Pourquoi on y adhère ?

Pour beaucoup d’homosexuel·les de longue date c’est rassurant parce que les théories biologisantes donnent une réponse au « pourquoi » culpabilisant que leur fait porter l’hétérosexualité.
C’est aussi rassurant parce qu’on se dit qu’ainsi, on sera
plus facilement accepté·e parce qu’au fond, « ce n’est pas notre faute ».
C’est plus rassurant parce que ça nous dote d'une façon simple de (se) penser qui va ratifier les paradigmes dominants (comme la sempiternelle prépondérance de l’hétérosexualité ou le sexage binaire).
C’est plus rassurant parce que ça nous fixe une identité qu’on a cherché à fuir pendant longtemps (du fait de l’hétérosexualité).
C’est plus rassurant parce que l’on se dit que la science finira par faire entendre raison aux dominants et qu’on cessera d’être persécuté·e. 🤡
Parce que ça veut dire qu’on n’y peut rien, qu’on est pas contre-nature ni déviant·e, qu’on est simplement différent·e par essence.

Pour toutes ces raisons j’ai longtemps adhéré à cette théorie, renforcée dans ma croyance par les études fallacieuses qui confortent ce mythe.
2) Pourquoi ça n'est pas convaincant ?

Force est de constater que ça ne tient pas vraiment face aux connaissances dont on dispose aujourd’hui. D’abord et simplement, comment une attirance envers un groupe socialement construit pourrait-elle être essentielle et native ?
Puisque le genre est construit, que le genre précède le sexe, et qu'il ne peut y avoir d’antériorité de l’orientation sexuelle vis-à-vis du sexe, comment ne serait-elle pas également construite ?
On relèvera que de toute façon, les volontés de catégoriser le réel en phénomènes
et caractères essentiels est très souvent, pour ne pas dire systématiquement, porteur d’une pensée réactionnaire.
Digression concernant le lesbianisme politique : certes qu’une chose soit socialement construite n’entraîne pas rigoureusement qu'elle puisse être déconstruite.
Cependant, cela suppose une forme d’immobilisme et d'immuabilité de la socialisation qu'il me semble difficile de soutenir étant donné l’épistémè actuel. De plus, mon expérience personnelle me montrant le contraire, j’ai tendance à penser qu’on peut déconstruire sa sexualité.
Fin de la digression.
Avant qu’on ne m’oppose les parties génitales ou je ne sais quelle autre idée biologisante : il existe une infinité de corps et cette conception binaire est éminemment patriarcale, transphobe, intersexophobe, normative et excluante.
(Voir les vidéos « Pénis et/ou clitoris » de @Tzitzimitl, « Le genre précède le sexe » de Christine Delphy, « Des sexes innombrables » de @game_of_hearth, les travaux d’Anne Fausto-Sterling, de Dworkin, L’ennemi principal de Delphy, entre autres.)
Donc même remarque que précédemment : la distinction des corps en deux anatomies archétypiques discrètes est une fiction patriarcale qui sert à l’exploitation de la classe des femmes et déchaîne des violences inimaginables pour s’entériner.
De plus, différencier orientation sexuelle et comportement sexuel me paraît peu pertinent politiquement puisque la matérialité des rapports sociaux découle principalement du comportement sexuel.
Enfin, mon propre vécu m'a montré que l’orientation sexuelle peut changer (et ce,
hors même de l’injonction à l’hétérosexualité puisque j’ai longtemps vécu comme un mec gay).
3) Pourquoi ce n’est pas un danger de réfuter les théories essentialistes, biologisantes et naturalisantes ?

Parce que c’est surestimer la portée de nos discours et notre influence individuelle, parce que c’est penser que la théorie constructiviste d’une poignée de féministes
sera plus instrumentalisée que des bouquins religieux millénaires et des traditions encore plus vieilles, parce que c’est envisager l’oppression comme motivée par la raison logique de l’oppresseur alors qu’elle n’existe que grâce à des structures traduisant des intérêts de classe
et des rapports de force, parce que c’est laisser sous-entendre qu’il serait acceptable de chercher à nous faire rentrer dans la norme hétérosexuelle s’il était possible de nous changer, ou qu’on arrêterait de nous infliger les thérapies de conversion si ce n’était pas le cas,
alors que pour être honnête, je doute pas mal du fait que ça serve à nous faire changer et pas simplement à nous réprimer.
Parce que c’est aussi ratifier le paradigme cishétéropatriarcal du binarisme sexuel et des lectures essentialistes bien conservatrices.
Enfin, je ne peux que vous enjoindre à toujours demeurer radical·e sans jamais vous contraindre à la réception attendue qu’auront les dominant·es face à votre propos : l’important est de dire ce que l’on estime juste, vrai et efficace. Nous avons besoin de radicalité pour gagner.
By the way, avant que l’on attrape ma veste, dire que l’orientation sexuelle est construite veut pas dire qu’elle est choisie. C’est un long processus pas forcément conscient que la déconstruction/reconstruction.
Et ça ne veut pas non plus dire que l’hétérosexualité est la sexualité par défaut « naturellement », surtout pas. Comme les autres sexualités, elle est construite. Elle est juste *socialement par défaut* aujourd’hui. D’où sa prépondérance statistique.

Sur ce, lisez Wittig. ⚢
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