Salutations, aujourd’hui on va faire un exercice très différent de ce que je fais d’habitude:

Du fact checking, concernant le #nucléaire, et notamment l’utilisation d’eau pour le fonctionnement des centrales. Comment ça marche ? Ca pollue ? Ca tue des poissons ?
Je rappelle que je suis diplômé d’un master d'ingénierie Nucléaire, mais engagé par personne et je me pose de sincères questions sur la filiale. Ce diplôme est loin de faire de moi un expert ou quelqu’un à ne pas remettre en doute.
Warning, c’est mon premier exercice du genre, j’ai vraiment fait au mieux, mais il y aura évidemment des faiblesses ici et là, n’hésitez pas, je posterai des correctifs au besoin.
P.S: merci à mon discord qui m’a pas mal motivé pour aller jusqu’au bout.
Ce thread, sourcé et probablement très chiant, fait suite au thread de @LainAnksoo , qui m’a vraiment questionné sur beaucoup de points ! Je l’en remercie, et du coup, j’ai fait mon boulot d’inspecteur et voilà ce que j’en retire: https://twitter.com/LainAnksoo/status/1277907086270234627?s=19
Okay, let’s go.
D’abord, comment on utilise l’eau dans un réacteur nucléaire (ici on va parler du réacteur + turbo-alternateur) ?
Il faut savoir que le tout se divise en 3 circuits: Primaire, secondaire, tertiaire.
L’eau du primaire est l’eau réchauffée par le coeur du réacteur (300°C 55 bar), et est radioactive à cause de son contact avec le coeur.

L’eau du secondaire est une eau réchauffée par l’eau du primaire, qui se transforme en vapeur et fait tourner la turbine (tada électricité !)
puis, grâce à un condenseur, elle se refroidit, redevient liquide et recommence le cycle. Attention. L’eau du secondaire n’est PAS RADIOACTIVE car pas en contact direct avec l’eau du primaire.

Pour le tertiaire, il existe deux cas:
Le circuit fermé ou ouvert:
En circuit ouvert, on récupère de l’eau d’une source (fleuve, rivière, bord de mer), l’eau passe dans les circuits, refroidit le condenseur, puis est retransmis à la source en quasi totalité. L’énergie thermique va donc dans le milieu aquatique (on en reparle après)
En circuit fermé, l’énergie thermique est cédée en grande majorité à l’atmosphère grâce aux aéroréfrigérants (les grosses tours). Une petite part de l’énergie thermique (5%) est filée au cours d’eau proche.
Oui circuit avec tour = circuit FERME, c’est contre-intuitif.
Okay, jusque là c’est pas dur. Maintenant, les questions:
On rejette de l’eau réchauffée, mais c’est grave ? A quel débit ? Y’a de la pollution dans cette eau ? Ca abime les écosystèmes ? Et le débit ? Et la FAMEUSE radioactivité ?
Et sur ce point, @LainAnksoo fait bien de se poser des questions ! Mais, la question principale c’est, que disent les chiffres ?
Déjà, si je puis me permettre, son thread n’est pas du tout clair sur la distinction circuit ouvert et fermé. Si on rejette la chaleur dans l’air, on en rejette très peu dans le fleuve (fermé). Si on en rejette dans le fleuve, c’est qu’on en rejette pas dans l’air (ouvert)
Donc une centrale nucléaire à 3 types de rejets:
- Rejets thermiques
- Rejets chimiques
- Rejets radioactifs (attention, je parle pas ici du combustible ou des déchets hein, je parle des effluents, explication après)
On va détailler ça.
Commençons par le chimique.
Effectivement, en plus de l’acide borique on utilise des produits chimiques pour traiter les circuits contre la corrosion, le tartre, les micro organismes, ou pour de la maintenance. Tout un tas de trucs à énumérer dont de l’eau de Javel.
Toutes ses substances sont triées et diluées au mieux possible, puis rejetées dans le milieu aquatique.
Oh mon dieu, ça veut dire pollution de ouf non !?
Voici des exemples des impacts en concentration des rejets chimiques. Absolument aucune substance ne dépasse les réglementations, et même mieux, elles en sont très très loin.
Vous pouvez vérifier dans les sources.
Donc oui y’a des traitements chimiques, mais est-ce que ça a un impact ? Non et c’est contrôlé et vérifié.

Donc ça c’est nada.
Encore une fois, tout est contrôlé, vérifié et recontrôlé en boucle. Je rappelle que c’est L’ASN qui vérifie que tout est en ordre, qu’il y a des organismes de contrôle et et réglementation, et des sections qui analysent en permanence les impacts sur les écosystèmes.
Aussi, une étude d’impact hyper pointue est nécessaire avant tout projet d’installation nucléaire. Tout y est estimé et contrôlé. Dont les impacts d’utilisation des cours d’eau.
Rejets thermiques maintenant:
Pour le cas d’un circuit ouvert, on rejette intégralement l’eau prélevée au cours d’eau, plus chaude. Encore une fois, de combien de degrés ? Ca a un impact ? C’est grave ?
Et encore une fois, on a des ordres de grandeurs et réglementation strictes.
Donc en gros, en circuit fermé, le réchauffement du cours d’eau n’est pas un problème (souvent de l’ordre d’un dixième de degré). En circuit ouvert, on a des réglementations qui imposent des échauffements maximaux en terme de température max et de différence de temp’ max.
L’ASN peut autoriser des dépassements ici et là dans des cas très précis.
P.S: le détail de chaque limite pour chaque réacteur est dans la source.

Aussi, deux choses: En cas de canicule, la prod’ d’élec peut être amenée à baisser pour ne pas impacter les cours d’eau
et l’écosystème, pour ceux que ça intéressent, j’ai des données sur les canicules 2003-2006.
Alors effectivement, au point de sortie, l’eau rejetée est plus chaude (de l’ordre du degré), avec des systèmes de dilution et de mélanges progressifs. Le détail des rejets thermiques et de leur impact est contrôlé pour chaque centrale via des campagnes d’hydroécologie.
Globalement, voici ce qu’on nous en dit: Pour certaines centrales, parmi celles en circuit ouvert, il existe certains cas ponctuels et locaux d’impacts sur les organismes. Si vous voulez le détail de chaque cours d’eau, voir la source. Aucun impact après quelques dizaines de m.
Allez on continue avec les rejets radioactifs. En gros c’est simple: le réacteur nucléaire forme des produits radioactifs. Une part infime passe dans le circuit primaire, en plus de l’activation de l’eau elle-même par des neutrons du réacteur qui s’en échappent.
Ainsi on retrouve des traces de radioactivité dans les effluents du circuit primaire (que ce soit l’eau elle même ou les produits passés pour entretenir le circuit). Ces effluents sont ultra triés, controlés, et passent par plein de filtre (voir image).
On a des contrôles à chaque étape et avant rejet, à chaque filtre etc…
Les deux gros soucis de radioactivité viennent du carbone 14 et du tritium, quasi impossibles à trier, parce qu’ils SONT du carbone et de l’eau.
Ce qu’il reste des effluents radioactifs sont rejetés (via une cheminée et encore apres controle). Et là vous vous dites : “Quoi mais mais mais, rejeter dans l'atmosphère, ça va tous nous tuer !?”
Nope ! Tout est encore une fois hyper étudié et règlementé (sérieux, c’est abusé de voir le nombre de contrôles, et tant mieux !). La radioactivité étant trop faible pour être mesurée, est calculée et surestimée. Et on en arrive aux conclusions suivantes:
Les doses sont infimes, on est à moins d’un microSv/an de dose. Je rappelle que la réglementation impose une limite de 1 milliSv/an et que les premiers effets stochastiques néfastes arrivent à 100 mSv/an. On est à moins d’1/1000eme de la réglementation.
Et la radioactivité naturelle est de 2.4 mSv/an.
Évidemment aucun effet sur les écosystèmes environnants. Nada.
Conclusion:
Donc on a :
Rejet chimiques: Contrôlé, vérifié, réglementé. Bien en dessous des réglementations et des concentrations naturelles. Très loin d’une “eau toute chlorée”.
Rejets radioactifs: Contrôlés, vérifiés, réglementés. Bien en dessous des réglementations et la radioactivité naturelle.
Rejets thermiques: Contrôlés, vérifiés, réglementés. Quelques cas de perturbations locales mineures de l’ordre du degré, et pour quelques centrales. Aucun impact sur les écosystèmes et la température après quelques dizaines de mètres.
Des contrôles en permanence sur les niveaux thermiques, sur l’écosystème, sur des effets sanitaires. Des analyses mensuelles et annuelles de partout. Une ASN qui vient encore une fois taper sur tout ce qui bouge (et c’est tant mieux).
Concernant les hauts débits d’eau qui transitent par la centrale, je n’ai vu nul part mention d’un quelconque problème lié à ça, et je ne vois pas d’impact possible. Si quelqu’un a des sources, je prends. Et je ne doute pas que s’il y avait un impact, il serait visible.
Quelques points supplémentaires:
Oui des poissons sont aspirés dans les pompes. Ce sont des poissons juvéniles trop faibles pour résister à l’aspiration. Dans des taux faibles et sans impacts.
Il y a même des mesures pour relâcher la majeure partie des poissons emportés (filtres, barrages etc…).
Encore une fois, c’est analysé, réglementé, contrôlé, et des efforts sont faits pour minimiser. On est TRES LOIN d’une hécatombe. Mais effectivement, des poissons sont aspirés
Concernant les quelques chiffres de @lainAnksoo je veux bien des sources, parce que ça m’intéresse aussi. Pareil pour l’accusation que “fessenheim largue plus de radioactivité”.
D’ailleurs je n’ai pas parlé des déchets nucléaires en tant que tel, parce que c’est pas le sujet ici.
Enfin, deux points globaux. Je suis estomaqué par le nombre de contrôle et de réglementation de l’ASN, tout est millimétré. Et quand quelque chose ne va pas, à chaque fois il faut une justification béton. De plus, y’a vraiment un travail sur la TRANSPARENCE
de la part du nucléaire, qui est très sous estimé. Cherchez par vous même, y’a beaucoup de chiffres accessibles au public.
Aussi, il est vrai que la gestion des échanges thermiques est hyper important et complexe dans une centrale thermique. Par contre, il va falloir m’expliquer comment produire énormément d’électricité pilotable sans passer par des centrales thermiques, ça me semble vraiment balaise
En tout cas, j’ai appris pas mal de choses, ma source principale étant https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/producteur-industriel/nucleaire/enjeux/environnement/gestion-de-l-eau/centrales_nucleaires_et_environnement_-_rejets_deau_light.pdf
et mes sources annexes sont aussi reprises dans ce guide, donc tout y est.
Si vous avez des questions, des commentaires, des précisions ou autre, n’hésitez pas. Je me laisse la liberté de poster des précisions.
Dernier point bonus:
Ne JAMAIS utiliser ce genre de graphique. Et surtout sans aucun contexte.

Ca ne veut RIEN DIRE en tant que tel. ca n’a pas titre d’argument, il n’y a aucune quantification. Que signifie un “+”? Niet.
Fin du thread ! Désolé si c'est long.

J'ai vraiment pris BEAUCOUP de temps pour essayer de faire au mieux, et c'était un exercice intéressant et compliqué. Ouvert à toutes remarques/comm' etc...

Voilà voilà
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