ce soir j'étais au téléphone avec mon maître de CP ; il part à la retraite moins de 24h après mon admission au concours de professeur des écoles, et c'est grâce à lui que j'en suis arrivée là

un petit thread plein d'émotions et d'amour sur l'effet maître et l'affectivité 👨🏻‍🏫✨⬇️
quand je rentre en CP, je n'ai que 5 ans et demi et j'ai sauté une classe de maternelle ; curieuse et nourrie de savoir par mes parents, je savais compter, dénombrer, et lire comme une élève de fin de CE1 ⬇️
le jour de la rentrée, mon maître (le seul que j'ai eu de toute ma scolarité très féminine) demande à voir mes parents: je ne peux pas rester dans sa classe, il insiste pour m'envoyer en CE1 le lendemain. mes parents craignent un trop grand écart d'âge et refusent ⬇️
je reste donc dans la classe de ce maître qui fait plein de voix bizarres quand il lit des histoires, qui nous appelle "bonhomme", "princesse" ou "les monstres" ; quand c'est mon tour de lire, il dit "attention, c'est à sélène, ça va aller vite" ⬇️
je m'ennuie un peu, mais pas trop : il me maintient occupée, fait attention à ce que moi et le reste de mes camarades à besoins particuliers soient épanouis au sein de sa classe du début des années 2000. par-dessus tout, je m'amuse et je me fais des amis ⬇️
avec le recul, je réalise que jamais il n'a tenté de me faire travailler seule de mon côté, jamais il ne m'a laissée sans rien faire, et jamais il ne m'a laissée haïr l'école. si j'aime l'école, c'est entièrement grâce à lui ⬇️
je ne sais plus quel mois nous étions quand ma camarade turque et allophone vient s'asseoir à côté de moi. elle passe quelques demi-journées à la maternelle mais quand elle est avec nous, nous lisons ensemble. c'était ma mission: la faire lire ⬇️
je n'irai pas jusqu'à dire qu'elle était ma première élève, mais je n'avais plus à d'apprendre à lire, et elle, elle en avait besoin, pour sa survie dans ce nouveau pays ; je garde d'excellents souvenirs de ces moments privilégiés, un livre entre nous deux ⬇️
j'ai détesté devoir quitter sa classe ; mon petit frère l'a eu l'année suivante, et l'année d'après, il était parti dans une autre école, plus loin dans la ville. il est resté ami avec mes parents, sa fille nous gardait quelques soirs, et nous étions allés dîner chez lui ⬇️
et puis nous avons déménagé, et nos chemins ne se sont pas recroisés avant ma deuxième année de licence durant laquelle je suivait un module de pré-professionnalisation : j'ai passé deux jours dans sa classe de CE1, 13 ans après ma rentrée dans sa classe de CP ⬇️
à la fin de ce stage, le directeur me demande si je compte devenir PE, je réponds à l'affirmative et nous discutons de la beauté de ce métier. plus tard, mon maître qui avait tout entendu me demande "dis, sélène, c'est pas à cause de moi que tu as choisi ce métier ?" ⬇️
je dis un "bah si" immédiatement alors que je n'y avais jamais vraiment réfléchi ; évidemment que c'était de sa faute ! je ne m'en rends compte qu'à ce moment là, et cette conversation me reste : elle m'aide pendant mon master, quand je doute et quand je flanche ⬇️
on me demande en formation de décrire un "enseignant idéal" et c'est son portrait que je dessine ; toutes les idées que mes formateurs ont complimentées viennent des souvenirs de sa classe et de sa pratique. c'est ma plus grande inspiration ⬇️
ce soir mon maître est parti en retraite. je parviens à avoir au téléphone cet homme qui n'a pas de portable et qui est absent des pages blanches. je dis mon nom, il me demande immédiatement si je suis enfin enseignante, et je lui dis "oui, depuis hier soir" ⬇️
il n'a rien dit pendant trois ou quatre secondes avant de lâcher un "c'est formidable" chargé en sanglots. moi aussi je chiale un peu, pour vous dire la vérité. on remarque que je prends sa place, il philosophe sur le cycle de la vie et j'entends ses collègues se foutre de lui ⬇️
il me reparle de ce moment d'il y a quelques années où j'avais confié qu'il était à l'origine de mon choix de carrière, il n'en revient toujours pas, je sens qu'il est sur les fesses. tout allait à peu près bien jusqu'à ce qu'il dise ses mots qui résonneront toujours chez moi: ⬇️
"tu couronnes ma carrière. je suis fier de toi." ⬇️
comment vous expliquer que désormais je peut arrêter de me préoccuper de ce que mes collègues, amis, membres de ma famille pensent de moi et de mon métier: mon maître est fier de moi, et le reste, on s'en fiche 💛
(vous excuserez mes quelques fautes d'inattention, la fatigue, l'émotion et le minuscule clavier de mon téléphone ne font pas un bon cocktail 😅)
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