[Thread]

Ce soir je vais vous raconter une partie de ma vie dont je n’ai jamais parlé ouvertement, mais je pense que c'est important de le faire, histoire de décomplexer un peu.

Alors c’est parti, on va parler soucis de propreté, fuites urinaires et accidents de slip.
C'est tout sauf simple pour moi de le raconter donc je tremble un peu des genoux, mais on y va. Par contre, je vous préviens ça va être long.
Je vois souvent des gens dire à des adultes autistes dont ils ne savent rien : « Mais toi t’es pas vraiment autistes, les vrais ils regardent pas dans les yeux, ils se chient et se pissent dessus… »
(Souvent, on dit ça à des autistes diag tard et qui s’expriment bien à l’oral à première vue. Comme moi)
Moi je lis ça, je me marre et je me dis : mais gars, tu crois que c’était quoi mon enfance ?
Et ouais. Je vais le dire clairement et franchement, une bonne fois pour toutes : je me suis pissé et chié dessus jusqu’à 15 ans. Au moins.
Il m’aura fallu attendre d’avoir 30 ans pour enfin oser en parler et l’avouer.
Je sais ce que c’est que de trouver des petites techniques pour camoufler les dégâts, quand t’es au collège et que tu veux surtout pas te faire griller avec ta tâche de pisse sur le cul.
Par exemple : piquer les échantillons de parfum dans les magazines de ma mère et les vaporiser sur mon futal après avoir noué mon sweat autour de ma taille et prétendre que c’est parce que j’ai trop chaud.
Ou alors planquer les jeans incriminés tout au fond du panier de linge sale pour qu’ils sèchent et faire genre ils y sont depuis longtemps et on ne peut plus distinguer l’odeur à cause des chaussettes.
Bref. Aujourd’hui, je sais que je ne suis pas là seule à avoir connu ça. On est http://nombreux.ses  à avoir connu/connaître ces « petits accidents » comme on dit.
Personnellement, c’est le problème qui a pris le plus de place dans mon enfance. C’était le détail le plus visible et le plus gênant de mon autisme, bien qu’absolument personne ne l’a interprété comme tel à l’époque.
Non, on croyait que c’était un caprice de ma part, que je le faisais pour emmerder le monde. Et plus tard, on a cru que c’était médical. J’y reviendrai.
J’en ai pris des engueulades à cause de ça. Quelques beignes aussi. Sans que ça ne change quoi que ce soit, bien sûr. Je ne le faisais pas sciemment de toute façon. D’ailleurs, je ne faisais pas pipi au lit, mes accidents à moi étaient différents.
Je ne me pissais pas dessus complètement. Je ne me « vidais pas », je n’étais jamais trempée. En réalité, c’est juste que je ne sentais pas quand il était temps que j’aille aux toilettes.
Ça débordait, par vagues disons. Juste assez pour tâcher mes vêtements et que ce soit voyant. Ce n’était qu’une fois mouillée que je me disais : « Ah oups, il faut que j’aille aux toilettes. »
Souvent, c’était parce que j’étais trop absorbée par mes intérêts spécifiques et que je n’avais aucune envie de m’interrompre pour aller aux toilettes. Je me retenais en me disant « j’irais plus tard » sauf qu’évidement ça débordait à chaque fois.
A l’école, c’était différent. Je me retenais toute la journée parce qu’il était hors de question d’aller dans ces toilettes dégueulasses, sans verrou, avec les autres enfants qui grimpaient sur la porte pour t’observer.
Et forcément... Se retenir jusqu’à 17h c’est pas facile, facile. Alors j’avais toujours des fuites, tout. Le. Temps. (Lever la main pour demander à y aller ? Impossible.)
C’était très humiliant de voir les autres enfants s’en moquer ou d’entendre les adultes me hurler dessus. Car après tout, passé un certain âge, j’étais vraiment trop grande pour que ça m’arrive. Et pourtant.
Un peu excédés (et gênés) par ça, mes parents m’ont envoyée consulter un pedopsy afin de comprendre pourquoi je n’étais toujours pas propre à mon âge. Ça commençait à se voir que j’étais un peu bizarre.
Je ne sais pas ce que le premier pedopsy leur a dit. Mes parents affirment qu’il n’avait rien dit sur mon cas. Et tout ce dont je me souviens c’est qu’il m’avait crié dessus et fait peur parce que je ne parlais pas et ne le regardais pas.
Une autre pedopsy m’avait donné un calendrier où je devais coller des autocollants chaque jour : un petit nuage si j’avais un accident, un petit soleil si je restais propre.

Je me suis retrouvée avec un calendrier couvert de nuages alors on a vite laissé tomber hein.
Du coup, sans solution, bah je me faisais juste gueuler dessus quand ça m’arrivait. On pensait toujours que je le faisais exprès. Alors que non, je m’en rendais juste compte trop tard.
Souvent, je me mettais à paniquer, de peur qu’on me crie encore dessus, et je planquais les sous-vêtements souillés dans mon coffre à jouets. L’air de rien.
L’année dernière, après avoir eu la confirmation que j’étais autiste, j’ai compris ce qu’il en était. J’ai expliqué à mes parents que les personnes autistes ont des hypersensibilités mais aussi des hyposensibilités.
Et que dans mon cas, non seulement je me rendais compte trop tard qu’il fallait que j’aille faire pipi ou caca, mais que c’était aussi lié au fait que quand j’avais une passion qui m’occupait, c’était impossible de m’en détacher.
J’oubliais qu’il fallait que j’aille aux toilettes, tout simplement. Alors j’avais des fuites.

Comprendre ça m’a fait énormément de bien. Sans ça, je n’aurais jamais osé en parler.
Quand je lui ai dit tout ça, ma mère m’a répondu, en soupirant : « Si tu savais comme ça nous a pourri la vie tout ça. C’était très dur. »
Sur le moment je n’ai rien dit mais je l’ai pensé. Les baffes c’est moi qui les mangeais, les moqueries c’est moi qui les essuyais, la culpabilité, la honte, l’humiliation... tout ça, c’etait surtout pour moi.
A force, je ne disais plus rien. Je faisais comme si ça ne m’arrivait plus. Mais ça a continué, pendant tout le collège. Jusqu’au lycée même. Mais à ce moment-là, j’étais devenu une championne en l’art du camouflage de preuves.
L’arrivée de mes règles et des protections hygiéniques a aussi changé la donne. J’avais moins de chances de me retrouver avec une tâche directement sur le pantalon quand je portais un protège slip par exemple.
D’ailleurs, pour moi un accident de règles c’était TELLEMENT dérisoire à côté ! Je n’avais même pas honte quand ça m’arrivait, le sang me paraissait si insignifiant, si normal en comparaison.
Une tâche de sang sur le cul, c’était vraiment pas grave. Ça au moins, ça pouvait arriver à tout le monde parmi les gens de mon âge. Avec ça je n’étais pas obligée d’élaborer des stratégies à la Mac Gyver pour éviter les souillures, c’était juste « un truc qui peut arriver ».
Le fait de virer gothique par exemple, ce n’était pas non plus anodin. En effet, quand on porte du noir les tâches... elles se voient moins.
Même si on en parlait moins à la maison, c’était toujours là. C’était juste tu. Et les fois où c’était mes intestins qui me lâchaient, c’était encore plus compliqué. Moins fréquent parce que je m’en rendais compte plus vite mais quand ça arrivait, c’était la fin du monde.
Facile d’imaginer comment on peut se sentir quand on est ado et déjà bien rejetée par les autres et que tout à coup on se retrouve à devoir cacher qu’on s’est un peu chié dessus entre deux cours.
Et si encore,ça n’avait été que l’aspect « embarrassant » du problème, pourquoi pas. Mais c’est allez plus loin que ça. Comme je l’ai dit, mes parents ont fini par penser que c’était un souci de santé plus complexe. Je m’explique.
(Je ne sais pas quel TW mettre, mais globalement on va parler hôpital et actes médicaux pas super)
Story Time. 1999, j’ai 9 ans et cette année-là, mon école organise un spectacle de fin année de grande envergure. Il doit durer deux heures et tous les enfants de l’école y participent. (Je vous jure, il y a un rapport)
Le jour de la représentation, il y a genre toute la ville qui est venue y assister, alors les instits ont la pression. Moi je me sentais très, très mal. Je suis allée voir une instit pour lui dire que je ne me sentais pas bien et que j’avais mal.
Elle m’a gentiment dit de retourner avec les autres, croyant que j’avais le trac sûrement. En fait j’avais 40 de fievre.
Je tiens bon pendant tout le spectacle mais je suis au plus mal. Je tiens à peine debout mais je ne sais pas quoi faire à part suivre ce qui est prévu (les deux heures les plus longues de ma vie).
Quand enfin ça se termine je retourne voir l’instit et lui répète que vraiment j’ai mal. Elle constate ma fièvre, me ramène à mes parent mes dehors et leur dit que j’ai sans doute une méningite. (Il y avait une épidémie à ce moment-là)
Illico : aux urgences. Je passe trois jours à l’hôpital et il se trouve qu’en fait j’ai une pyélonéphrite. Une infection urinaire qui a dégénéré en attaquant les reins.
On me met sous antibiotiques et hop, retour à la maison. Sauf que...

Vu que j’ai la poisse, je choppe une autre infection urinaire à l’hopital (nosocomiale) qui resiste aux antibiotiques.
D’après ma mère, il faudra presque un an avant que je ne guérisse de cette infection. Pourquoi je dis d’après ma mère ? Parce qu’à partir de là, je ne me souviens de rien. Il a fallu me le raconter.
Enfin si, je me souviens avoir pris plein de médicaments différents, pendant très longtemps, d’avoir pissé dans des bocaux et fait des prises de sang. Mais concernant les médecins et les visites à l’hôpital : impossible de m’en rappeler.
Et pourtant, ma mère m’a dit que j’en ai vu tout un bataillon de médecins ! Pour une raison bien précise.
Voyant que je ne guérissais toujours pas et croyant bien faire, mes parents ont dit aux médecins que j’avais de très gros soucis de propreté et qu’ils se demandaient si mon problème d’infection persistance n’avait pas un lien avec ça ? Qui sait ?
Après c’est parti en vrille. De ce qu’on m’a dit, j’ai l’impression qu’on a joué aux apprentis sorciers avec moi.
Un médecin a dit à ma mère que le problème venait peut être d’un rein qui avait une fuite (???) je ne pense pas que c’était ses mots, mais un truc comme ça. Que le problème d’écoulement venait d’un rein.
S’en sont suivi les examens chelous. Ma mère m’a raconté qu’un médecin a demandé à ce que je pisse devant lui pour regarder comme sortait le jet et que j’ai refusé. Il m’a apparemment gueulé dessus puis ma mère l’a insulté avant de me traîner hors de là. J’en ai aucun souvenir.
Ensuite, un autre a voulu pratiquer une opération qui consistait à faire passer un liquide dans mon rein pour faire je ne sais quoi, en précisant : « Par contre c’est possible que ça lui flingue le rein il faudra peut être faire une greffe après. »
Ma mère a flippé et à pris le temps de réfléchir. Heureusement, un de nos proches était médecin et lui a dit de ne pas le faire, que mon rein allait très bien, que c’était inutilement dangereux. Elle a donc refusé.
Le médecin l’a traitée de mauvaise mère irresponsable et lui a dit : « Vous allez voir, elle va vous emmerder et faire des infections urinaires toute sa vie. Ça va pourrir la vôtre. »
Guess what ? Il avait tort. J’ai fini par guérir une fois trouvé le bon antibiotique. Mais de tout ça, j’ai gardé une trouille bleue des hôpitaux (même si je ne me rappelle de rien) et une culpabilité monstrueuse lié à mes accidents de pisse.
J’ai bel et bien continué à me pisser dessus, mais j’étais terrifiée a l’idée qu’on me perce à jour.
Ce n’est qu’arrivée au lycée, avec mon masking +++ et mon atroce peur du rejet que je suis devenu une experte. Et ça s’est calmé peu à peu.
Je dis bien « calmé » parce que eh... devinez.

Ça m’arrive encore.
Évidemment pas dans les mêmes proportions que quand j’étais petite (c’est pour ça, arrêtez de faire des comparaisons entre les enfants autistes et les adultes autistes, parce que c’est logique qu’on apprenne des trucs au cours de notre vie en fait)
Maintenant je sais y faire MAIS... Il suffit que je sois un peu trop à fond dans ce que je fais (écrire ce thread, par exemple) pour oublier que faire pipi, manger ou dormir c’est important et que mon intérêt spé peut attendre cinq minutes.
Et si par mégarde mon corps ouvre les vannes avant que j’atteigne le trône bah écoute. Je fous tout à la machine, je grommelle et je me change. Basta.
Il aura fallu un diagnostic et beaucoup de temps pour que j’ose parler de tout ça. C’est pas évident à 30 ans d’admettre que : « Bah ouais je me suis pissé dessus jusqu’à 15 ans et des fois ça m’arrive encore, tu vas faire quoi ? »
C’est pas comme si on était pas au courant que OUI, C’EST GÊNANT. C’est pour ça que je voulais en parler. C’est honteux, c’est tabou, mais vous savez quoi ? Bah ça arrive. C’est jamais légitime de se moquer de nous pour ça.
J’aurais aimé que quelqu’un me raconte ça quand j’étais ado. Avec un peu de légèreté, pour dédramatiser le truc. Savoir qu’on a le droit d’être traité avec égard même si on s’est déjà fait dessus à un âge où c’est considéré comme étrange.
Pour celleux qui sont concernés : ça ne veut pas dire que vous êtes sales. Vous avez droit au respect. Et je parle en tant qu’autiste mais c’est valable pour tous les gens qui ont ces soucis.
J’aurais bien partagé des tips pour les enfants et ados à qui ça arrive mais j’étais tellement la Bob le bricoleur de la pisse moi... Je sais pas si mes conseils auront quelconque utilité.
Au cas où : des fringues/sous-vêtements de rechange dans le sac, toujours. Ça tranquillise. Ensuite, des serviettes hygiéniques/protège slips pour limiter la casse. Puis réservez vous des horaires précises pour aller aux toilettes, comme ça vous y penserez.
Et pour les parents qui passeraient par là : si votre enfant est concerné, inutile de l’engueuler/læ punir. Ça changera rien à part faire peur et créer de la culpabilité. Alors que c’est plus gênant pour ellui que pour vous, je vous assure. Iel a pas besoin de ça en plus.
Juste, surveillez ses passages aux toilettes, ritualisez le truc. Demandez si iel y est allé.e régulièrement, rappelez le lui. Et si faire lâcher un intérêt spé est compliqué, essayez d’amener cet intérêt spé à la salle de bain.
Voilà, je termine là ce thread très perso (a vrai dire c’est la première fois que j’en parle en public et ça soulage un peu) en espérant que ça déculpabilise des gens qui seraient passé.e.s par là aussi.

Coeur sur vous.
Autre petit conseil que j’ajoute au thread (si vous en avez d’autres, n’hésitez pas à les partager)
https://twitter.com/nohecate/status/1278792520072171520?s=21 https://twitter.com/nohecate/status/1278792520072171520
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