Chad Haga : Au nom du père.

Le 2 juin 2019, le coureur de la Sunweb a obtenu sa première victoire individuelle WT, lors du contre la montre du Giro 2019, à Vérone. Victoire qu’il a immédiatement dédiée à son père.

Voici l’histoire
#Thread

D’abord les sources. Je vous encourage à aller voir le blog que tient Chad Haga. Des multiples talents qu’il possède, celui de l’écriture n’est certainement pas le dernier

Chad Haga est issu du Texas. Enfant, il pratique le piano, activité qui l’amène à jouer lors de différents offices religieux (ses parents Chris et Faith, tous deux catholiques, sont très croyants). En parallèle il commence à pratiquer le BMX puis le VTT avec son frère.

Vers 14 ans, les frangins veulent se rendre à la montagne. Son père en profite pour acheter un VTT à son tour. D’après sa femme : “Quelque soit le sport, Chris voulait devenir membre de l'équipe pour passer plus de temps avec eux. Et également s'assurer de leur sécurité (17)

Une première pas très glorieuse pour le paternel, que raconte Chad: “je me suis frayé un chemin à travers un tronçon de piste. Derrière moi, j'ai entendu un dérapage, un bruit sourd, , “outch”, puis le bruit de feuilles bruissantes. Ensuite mon père a attendu dans la voiture”(18)

Pas découragé, il insiste et voilà les trois se mettant maintenant au vélo de route :“Mec, on était un groupe de noobs” (18). Puis les garçons commencent à faire des courses. Comme tant d’autres parents, Chris se transforme alors en soutien logistique et devient aussi photographe

En 2010, Chris commence à tousser. De plus en plus fort. De plus en plus souvent, aussi.

“Un soir, je suis rentré très tard d’un trajet en voiture et mon père m'a accueilli et m'a expliqué que sa pneumonie persistante était causée par une grosse tumeur dans son poumon. Une semaine plus tard, j'ai appris que la tumeur était cancéreuse” (18)

Son père, alors âgé de 50 ans lui annonce un cancer du poumon de stade 4, le plus sévère, avec des taches sur le cerveau et d'autres organes. Pourtant, ironie malheureuse, Chris Hada n’a jamais fumé de sa vie.

En 2011, Chad Hada est en dernière année de sa licence en génie mécanique. Plutôt que de rejoindre le marché du travail à l’issue de son stage, il voudrait devenir cycliste professionnel. Mais il est tiraillé par la situation de son père :

“Je regardais mon père souffrir de ses traitements de radiothérapie et de chimiothérapie, et de ce qu'ils faisaient subir à son corps. Je regardais le cancer, qui tentait de briser son corps, renforcer sa foi en Dieu. Vous voulez parler d'un modèle? (18)”

Texas Instruments, entreprise où il effectue son stage souhaite l’embaucher. En même temps une équipe continentale, Kelly Benefit Strategies-OptumHealth, souhaite sa venue. Il appelle ses parents, évoque l’équipe, puis annonce qu’il accepte le poste chez Texas Instrument.

Sa mère témoigne: “Il n'a pas demandé l'avis de son père sur ce qu'il devait faire, mais Chris a senti qu'il le voulait. Apparemment, notre fils n'a pas pu trouver le courage de faire ce changement de carrière après que nous lui ayons fait passer 4 années à l'université.” (13)

Chris dit alors à a femme : “Je ne veux pas que Chad passe le reste de sa vie à se demander: ”et si? ” À cause du cancer, je ne réaliserai probablement jamais mes propres rêves, je ne profiterai pas de la vie, de la retraite….

“ ...Il a son rêve de devenir un cycliste professionnel, je ne veux pas qu’il laisse passer une opportunité unique. Il est en pleine forme physique et rien ne l'empêcher de voyager. » (13)

Il rappelle alors son fils

“J'ai travaillé 27 ans, ici, pour ma retraite, et maintenant il n’y a plus de garantie que je l'atteigne. Mais toi, tu peux courir avec ton vélo, dès maintenant. Le travail au bureau sera toujours là à ton retour. Va faire tes courses. " (7)

Sa carrière est ainsi lancée par le paternel :”Il était mon plus grand fan. Mes courses étaient une évasion pour lui alors qu'il luttait contre le cancer. Il enregistrait toutes les courses, les regardait et les suivait au travail. C'est son cancer qui m'a poussé à courir “(7)

En 2014, il signe chez Giant-Shimano. En avril 2015, la famille apprend que son père est débarrassé de la maladie : “je me suis retrouvé à pleurer parce que mes bras n'étaient pas assez longs pour traverser l'océan et embrasser ma famille. J'ai pris un vol de dernière minute” (6)

Mais comme il l’écrira plus tard: “l'océan Atlantique n'est jamais plus grand que lorsque la nouvelle de la résurgence du cancer arrive sans vergogne.(6)”.

Le 6 septembre 2015, ses parents lui annoncent au téléphone le retour de la maladie

“Je l'ai caché à mes coéquipiers, je ne voulais pas les abattre. J'étais reconnaissant envers mes lunettes de soleil et ma tendance au silence, de sorte qu’ils n'ont pas remarqué le moment où je suis “tombé en panne”, à l’entraînement au Québec, après avoir appris la nouvelle”(6)

“Des informations comme celles-ci, comme je l'ai appris au fil des ans, peuvent m'affecter de deux manières: soit elles renouvellent ma motivation et ma passion pour ce sport,, soit elles me plongent dans des dilemmes existentiels. Cette fois, c'était cette dernière” (6)

“j'étais submergé de doutes… pourquoi tout ça? Passer toute l'année loin de ma famille, mes amis, en espérant que ces relations puissent survivre à 10 mois d’absence, pour quoi faire? La futilité de la course à vélo n'est jamais plus claire que lorsqu’on l’oppose au cancer. (6)

"Lorsqu'on me demandait ce que je ferais de mon temps à la maison, je répondait «VTT». Ça évitait le : "Eh bien, deux jours après mon retour, je conduirai mon père à la chimiothérapie parce que ma mère sera bloquée après son opération de l'épaule." (6)

Pour faire face, Chad Haga, qui s’en était éloigné pendant son adolescence et la vingtaine, retourne à la religion. Todd Henriksen ancien coureur et fervent catholique, organise des séances de prières pour les coureurs, la veille de courses aux Etats Unis.

Fin 2014 Chad haga est mis en contact avec Henriksen. La conversation se transforme en conversations téléphoniques régulières et au cours de l'année, Haga commence à lire la Bible et à aller à l'église.

Le 24 janvier 2016, en Espagne, une partie de l’équipe Giant Alpecin est violemment percutée à l'entraînement. Chad Haga en sort fortement blessé, une cicatrice et 97 points de suture, qui parcourent son corps, du nez jusqu’au sternum.

Meurtri sur son lit d’hopital, il en a assez : “J’en étais certain, je ne ferais plus jamais de vélo de route. J'en avais officiellement fini avec le sport. Je voulais juste me marier et profiter de la vie avec Kate - mais surtout pas revivre ça. “(24)

Une réaction à chaud qui contraste avec la suite : “j'ai réalisé que j'avais un choix à faire. Soit me vautrer dans ma misère en me demandant constamment: "Pourquoi moi?" Ou alors reconnaître à quel point j’étais béni. Ne pas avoir eu de commotion cérébrale était un miracle” (24)

Sa bonne humeur revenue, il tweete sur son séjour à l'hôpital, ce qui lui vaut cette analyse à propos de son accident:” Il doit y avoir un moyen plus simple d’obtenir de nouveaux abonnés. Je dois étudier cela “

En un temps record, il récupère et retourne sur le vélo. A l'issue de la première étape du Giro 2016, un contre la montre individuel, il termine 12e, puis fond en larmes. "Ce jour-là, j'ai eu l'impression d'être à nouveau un cycliste . "(1)

Après le Critérium du Dauphiné, toujours en 2016, il reçoit un appel alarmant : Son père va mal.

Il rentre aussitôt qu’il peut. Il arrive à temps pour vivre les derniers jours de Chris

“Le 25 juin, mon héros a été libéré de la douleur de ces six ans passés à lutter contre le cancer. Il était entouré de sa famille, faisait même des blagues pendant sa dernière heure de conscience” (25)

La phase de deuil commence alors :”je choisissait des itinéraires tranquilles sur les routes rurales que je connaissais si bien. Je laissais mes jambes faire ce qu'elles voulaient. Parfois j’avais du mal à voir la route à travers les larmes, mon corps tremblait de sanglots.“ (25)

Mais comme en Espagne, l’optimisme reprend vite le dessus chez Chad Haga. Il se tatoue (au grand désarroi de sa mère) sur le bras, la phrase suivante : “eternity gained, only life remains”, issue d’une chanson de Demon Hunter, un groupe de metalcore chrétien

“Cette assurance d'une éternité au ciel, garantie par le Christ, couplée à l'urgence de bien vivre cette unique vie, est ce à quoi mon esprit s'est accroché dans les deux moments les plus difficiles de ma vie (4)

Une semaine après son décès, à la minute près, Chad et son frère sortent le vélo de route de leur père. Sa mère raconte : “Leur désir était que leur père, bien qu'absent de corps, puisse les accompagner pour une dernière balade…

...Mes fils ont fait un tour de quartier avec son vélo, chacun portant l'un de ses maillots préférés. Puis Shane a pris le vélo de Chris pour un voyage jusqu'au lac, un itinéraire commun à eux trois. Leur père vivait dans l'esprit et l'héritage qu'il leur avait transmis…

...Chris aurait vraiment apprécié la belle balade matinale avec ses garçons.” (15)

Une ellipse de 3 ans, et nous voilà à Vérone, lieu du Contre la Montre final du Giro 2019. Chad Haga aurait dû le terminer rincé du travail qu’il aurait fourni pour Tom Dumoulin. Sauf que, voilà, ce dernier a abandonné dès 5eme étape. Du coup il s’est économisé au maximum.

Il passe le début de la matinée, dans sa chambre, à étudier le parcours du jour, à en scruter les moindre recoins, avant d’aller les reconnaître directement sur place. Puis il s’élance sur la rampe de lancement.

“j'avais l'impression de piloter un jeu vidéo, les virages apparaissaient exactement comme je les avais visualisés tant de fois” (1).
Mais la douleur se fait de plus en plus dure et les deux derniers kilomètres paraissent alors interminables.

“je me suis demandé si je faisais ça pour un simple top dix. Puis j'ai pensé à ma mère, ma femme, mon frère. J'ai pensé à mes amis et collègues. Mais j'ai surtout pensé à mon père qui n’avait jamais cessé de croire en moi.

Je pouvais bien souffrir encore 2 minutes! ” (10)

Il réalise le meilleur temps. Qui ne sera pas battu derrière. Il vient de remporter une victoire de prestige. Il ne retient pas ses larmes :

“Je savais que lorsque le succès viendrait, les larmes viendraient aussi immédiatement.
il s'est sacrifié, pour me donner cette opportunité. Il n'est pas là pour voir ça et c'est très triste. Mais cela montre que tout son sacrifice et son soutien n’était pas vain” (21)

Mais vous l’avez compris, chez Chad Haga, l'apaisement et la joie succèdent vite à la tristesse,: “Je me suis imprégné de la cérémonie de remise des prix, en partageant un moment avec mon père, qui faisait certainement grand bruit avec ceux à portée de sa main, au paradis” (10)

Devenu père, il sillonne le monde avec un nouveau compagnon : “J'ai repris le matériel photo de mon père. C'est une façon amusante de passer du temps libre, et chaque fois que je lève l’appareil photo, je pense à mon père” (4)

#Fin