BREVES D’ETABLES
Dans notre job, on est amené à rencontrer pleins de personnes, toutes différentes. On s’énerve sur certains, on rigole avec d’autre et parfois, on s’y attache.
Ça vous dit de comprendre pourquoi ? Allez, je vous fais de la place dans ma bagnole, montez !
Dans notre job, on est amené à rencontrer pleins de personnes, toutes différentes. On s’énerve sur certains, on rigole avec d’autre et parfois, on s’y attache.
Ça vous dit de comprendre pourquoi ? Allez, je vous fais de la place dans ma bagnole, montez !
Aujourd’hui c’est prophylaxie. L’étudiant qui devait s’en charger a eu un petit souci et ne peut pas assurer la journée, c’est moi qui hérite du bébé. Ça m’emmerde un peu, je me suis luxé l’épaule une semaine avant mais bon, la tournée est pas trop chargée, ça devrait le faire.
Tout se passe bien, les gars ont l’habitude, ça va assez vite. J’ai même le temps de voir 1 bête ou 2, le fameux « tiens, tant que t’es là… ». Je suis content, je fais mes prises de sang, pas besoin de réfléchir, je suis en sécurité… Et surtout, je finis chez René et Odile.
René et Odile, c’est des éleveurs de charolaises. Rien de bien rutilant, ça doit pas dépasser les 50 mères, mais bon, un joli petit élevage, des jolies bêtes, toute plus douces les unes que les autres. C’est pas compliqué, chez eux je pique au cul des vaches, pas une qui bouge !
J’aime bien aller chez eux parce qu’après, y’a le gouter ! On va coller les étiquettes sur les tubes de sang, autour d’un petit café avec une part de gâteau ! Bichonné le véto ! Et c’est surtout l’occasion de discuter et moi, ba… j’aime bien ça…
« Attend, je vais te faire un vrai café, on m’a offert une cafetière italienne pour noël, il est drôlement bon. T’aime bien le clafoutis ? »
Ok, là on va être bien…
Ok, là on va être bien…
Ils me parlent de tout. De leur départ à la retraite qui doit être proche. Mais bon, les différents jeunes qui veulent reprendre sont bloqués par les banques. Donc pour l’instant ils continuent, le temps que ça se décante.
Pas simple de s’installer, surtout en charolaises, les banques connaissent le bouzin, c’est pas très porteur comme bidoche. Ils m’apprennent qu’elle a perdu 1€ du kilo en moins de 10 ans, ce qui est juste énorme. Je savais pas. Ça me déprime un peu.
Une des raisons qu’on leur a sortie, c’est que la charolaise noircie avec le temps. Donc les gens n’en veulent plus. Faut du rouge. Et puis on mange plus de pièces pour pot au feu, donc ça finit en steak haché, pas très cher. Et ça, les investisseurs le savent.
Alors on trouve ça triste, limite scandaleux que des jeunes motivés n’aient pas le droit de s’épanouir la dedans. Et on dérive, lentement, vers les habitudes alimentaires des gens. L’import, les prix, le gaspillage…
Ça René, il a du mal. Voir son petit-fils ne pas finir son assiette ça le chagrine. Et il sait que dans une autre famille, c’aurait été poubelle ! La bouffe ça se respecte bon sang! Même si ça vient d’ailleurs, même si elle a rien couté…
« Tu te rend compte, les gens partent aux sports d’hiver mais ça les emmerde de trop dépenser pour se nourrir ! Bon, après, y’a des types qui travaillent comme des dingues juste pour pas crever la dalle, là ok, faut baisser les couts pour eux… »
Ils sont comme ça René et Odile, ils sont généreux, ultras gentils et n’oublient pas de penser aux gars dans le besoin. Mais bon, ça les rends quand même un peu tristes de voir qu’il y’a plus grand monde pour manger ce qu’ils font…
Et puis on se dit que c’est con, parce qu’on a de la bonne bouffe en France, qu’on a une sécurité alimentaire assurée, qu’on soigne bien les bêtes mais qu’on importe de la merde juste pour avoir de la bidoche pas chère…
Parce que bon, René et Odile, ils les aiment leurs bestioles. Ici la durée de vie d’une vache c’est 15-16 ans, voire plus. Elles sont toutes super dociles, même le taureau s’approche de toi juste pour que tu le caresse. Et quand faut se séparer d’une, ba ça leur fout le cafard.
Odile me parle d’une euthanasie qu’on a fait la semaine dernière. Bassin pété. La vache était tellement maternelle, qu’elle s’allongeait sur le flanc pour que son veau puisse la téter. A ce moment-là, ses yeux brillent, deviennent humides, la voix flanche.
Ça s’empire quand ils évoquent le jour où ils verront partir leur troupeau, le jour de leur départ à la retraite, de la maison qu’il vont peut-être quitter. Alors, connaissant la pudeur paysanne, je change de sujet, rapidement. Et parle d’avenir.
J’évoque le tournant qu’on est en train de vivre. Que les gens vont un jour se rendre compte de la beauté de notre agriculture. Que tout ça, c’est juste des bonnes choses, et qu’on y reviendra. Il faut juste croiser très fort les doigts.
Ils sont d’accord avec moi. Parce qu’on est fait dans le même moule. Celui de la passion de notre métier, de l’amour des bêtes et de la fierté d’appartenir à ce monde. On est probablement trop optimistes, mais c’est parce qu’on ne peut pas croire que tout ça puisse disparaître…
Il est midi et quart. Je prends congé, avec mon habituel « allez, au plus tard possible ! ». J’ai passé 10mn au cul des vaches, 1h au café. Mais qu’importe.
Il faut parfois prendre le temps de perdre du temps.
Il faut parfois prendre le temps de perdre du temps.