Tiens aujourd'hui on a parlé du racisme anti-roms, ça me fait penser au fait que quand j'aurai pas la flemme, je vous raconterai la fois où j'ai dormi dans un hôtel désaffecté au fin fond du 95 avec des gens expulsés de leur bidonville quelques jours avant
Ou "La réalité derrière le mythe de "L'État paie l'hôtel aux roms expulsés des bidonvilles".
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Février 2013, 5h du matin, un bidonville dans l'Essonne dans lequel je me rends régulièrement est réveillé par la police et les bulldozers. Informé la veille, je suis sur place. La technique, c'est que les policiers forment une immense ronde humaine autour du campement
et avancent petit à petit en resserrant le cercle, arrachent les portes des baraques, et chaque personne qui se trouve sur le chemin est interpellée puis parquée sur un parking de l'autre côté de la nationale. Une fois que tout le monde est dégagé, les machines réduisent tout
en morceaux. Ça va très vite, dans l'après-midi tout ça n'était plus qu'un lopin de terre, les débris des baraques qui tenaient encore debout le matin avaient déjà été évacués
Bref, moi j'avais déjà plusieurs numéros de portables des personnes avec qui j'étais le plus pote, j'en ai récupéré quelques autres, car vient ensuite ce dont on va principalement parler : le fameux "hébergement à l'hôtel" des familles expulsées qui fait tant polémique
Déjà, ils et elles n'en profitent jamais dans leur ensemble. Il y a un tri. Parfois sur des critères tels que "familles avec enfants d'abord", mais parfois de manière arbitraire (premiers arrivés premiers servis) ou alors on les laisse décider entre eux.
Bref, tout ça se fait je ne sais trop comment, car je ne suis plus là lors du processus. Deux ou trois jours plus tard, j'envoie quelques SMS pour savoir où ils sont.
J'apprends alors que les familles sont dispersées à travers la région. Alors que tous les enfants étaient scolarisés à Ris-Orangis ou Grigny (91), certains sont envoyés à Montrouge (92), ou à Saint-Denis (93), dans le 77, ou vers Pontoise (95)
L'année scolaire des enfants est donc stoppée en plein milieu, elle ne reprendra pas, c'est déjà un scandale mais c'est un autre sujet. Je commence à faire un tour des "hôtels" grâce aux adresses que les familles m'envoient.
Premier hôtel à St-Denis, le seul à peu près "vrai" hôtel de la liste. Deux familles y ont été envoyées. L'hôtel a l'air d'être ouvert au public, il y a des clients. J'y passe très peu de temps, mais ça a l'air convenable même si on est très loin du luxe imaginé par certains
(on est sur du sous-Formule 1 au pied du périph)
Je me rends ensuite à Montrouge voir une autre famille. Il s'agit en réalité d'un vieil hôtel désaffecté dans un immeuble de ville. À moitié en ruines. "L'établissement" est tenu par un homme assis sur une chaise qui enchaine les clopes dans ce qui reste du hall
J'apprends que cet homme demande une cinquantaine d'euros en liquide tous les jours à la famille sous peine d'être dégagés. Alors même que le département est censé payer l'hébergement. Il est violent envers une femme hébergée là aussi (mais qui ne venait pas du même endroit)
Aucune des portes n'a de verrou. Certaines ne ferment même pas. Tout est dans un état lamentable. Il y a des cafards partout. Des fils dénudés au mur.
Et cet ""hôtel"" n'est qu'un avant-goût. Une après-midi, Je me rends à une autre adresse. À Saint-Ouen-l'Aumône, dans le 95. Dans une zone industrielle. Fallait prendre un rare bus jusqu'en bout de ligne depuis la gare pour y accéder. On est au milieu de nulle part
C'est un hôtel désaffecté de la chaine Balladins. 6 ou 7 étages. Le truc est à moitié en ruine. Un escalier en colimaçon (vous savez, les escaliers d'évacuation en fer sur le côté de certains bâtiments, avec des portes coupe feu) était au sol
Et les portes coupe-feu des couloirs qui donnaient sur le feu-escaliers étaient manquantes. On avait donc des couloirs qui donnaient sur des trous. Sur le vide. En plein hiver. Avec des enfants qui circulent.
Là aussi, l'hôtel était tenu par un couple marchand de sommeil qui sortait d'on ne sait où. Là encore, ils réclamaient de l'argent aux familles. L'homme passait sa journée aussi à fumer des clopes et boire, torse nu, derrière le comptoir d'accueil en ruine du hall
Encore une fois aucune porte de chambre ne fermait. Certaines étaient manquantes ou remplacées par des planches de bois. La literie était moisie. Des cafards et araignées là aussi. La plupart des vitres étaient cassées. Je répète qu'on était l'hiver.
Du coup j'ai passé la soirée là-bas, c'était complétement trop tard pour le bus, donc j'ai partagé un lit là bas avant d'aller le lendemain travailler à l'Assemblée Nationale lol.
J'ai même vu le député-maire à l'origine de l'expulsion dans les couloirs, j'ai eu envie de le 1v1.
Bref ce faux hôtel, loin de tout, était particulièrement difficile à vivre pour les familles, car en plus de tout ce que j'ai décrit, se pose un problème majeur : manger. Inutile de préciser qu'il n'y avait pas de restaurant inclus dans l'hôtel mdr
Là où dans leurs bidonvilles, chaque famille a un poêle ou des plaques, et peut préparer des marmites pour 12 avec pas grand chose, elles se retrouvaient dans des chambres dépourvues de tout équipement permettant de cuisiner, et à 40 min en bus du premier supermarché.
Résultat, la plupart des parents se privaient tout simplement de nourriture pendant des jours pour payer des sandwichs triangle à leurs enfants, c'était tout simplement la seule solution.
Je me souviens de cette fois où me rendant compte qu'un ami habitait pas loin de l'hôtel de Montrouge, j'ai proposé au père de venir chez lui préparer un gros plat pour la famille. Leur spécialité familiale, une grosse marmite de poulet dans du bouillon avec des nouilles.
En cuisinant, il s'était rendu compte qu'il connaissait pas bien les proportions et le temps de cuisson et avait concédé qu'il devrait quand même plus souvent aider sa femme à faire la cuisine.
Bref, voilà la réalité derrière les "hôtels tous frais payés" post-expulsion qui font dire à votre oncle que c'est scandaleux et que ça va, la vie, tranquille ?
Et il s'est passé ce qu'il se passe à chaque fois dans ce cycle. Dès le lendemain de l'expulsion, certains commencent déjà le repérage pour reconstruire ailleurs. Les premières baraques du nouveau bidonville sont en général debout en 3 semaines.
C'est ce qu'ils ont fait. Un nouveau bidonville s'est formé le mois suivant. Puis, un an plus tard :
(et rebelote. Les "hôtels", la reconstruction, le nouveau bidonville encore ailleurs, etc, etc, etc)
(fin)
nb. Ça change pas grand chose mais je précise, j'ai recherché des trucs à propos de l'hôtel de St-Ouen-l'Aumône, j'ai dit 6 ou 7 étages en réalité il y en avait 3.
Ça fait 7 ans, certains souvenirs étaient flous. En plus ce jour là j'avais plus de batterie donc pas de photos.
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