Petit récit personnel : L. est une élève que j& #39;ai eu lors de ma toute première année d& #39;enseignement en PEP4 après mon stage à l& #39;IUFM #Vieille
L. était en 4e Aide et soutien (j& #39;avais aussi les 3e d& #39;insertion, & du latin alors que j& #39;étais Lettres Modernes, bref #Bizutage).
Après m& #39;avoir prévenue qu& #39;en cas d& #39;urgence, il suffisait de crier très fort pour qu& #39;un surveillant arrive, l& #39;adjointe m& #39;avait dit que si je tenais une année ici, je pourrais enseigner n& #39;importe où !
Elle m& #39;avait donné quatre conseils : 1) ne pas porter de bijou de valeur, 2) ne jamais laisser mon sac à main sans surveillance, 3) ne pas venir en voiture (pour éviter les pneus crevés)...
... et 4) dernier conseil et non des moindres, cacher absolument tout sur ma vie privée.

Evidemment avant mon tout premier cours, le discours avait fait son effet : j& #39;étais terrorisée...
J& #39;accueille donc en cette rentrée de septembre 2000 ces 4e Aide et Soutien dans ma salle en étant crispée et désagréable au dernier degré. Le fameux "il ne faut pas sourire avant Noël" qu& #39;on m& #39;avait appris à l& #39;IUFM avec un tailleur pantalon bleu ridicule qui grattait.
Je ne prends absolument pas le temps de les accueillir : j& #39;ai bien trop peur d& #39;eux pour les regarder. Je les fais s& #39;asseoir et je commence donc tout de suite avec l& #39;étude du poème qui me semble le plus à même de poser ma stature professorale : Demain dès l& #39;aube.
Je lis une première fois le poème et je commence à l& #39;expliquer presque avec de la colère dans la voix : petit à petit, j& #39;entends renifler, je lève enfin les yeux de ma fiche de préparation et je vois N. et F. pleurer à chaudes larmes.
J& #39;ai un temps d& #39;arrêt, je ne sais pas quoi faire de ces grands gaillards qui ne sont pas côte à côte qui pleurent. Les autres les regardent gênés et L. me regarde avec haine. Je lis dans ses yeux que j& #39;ai fait beaucoup de mal avec ma lecture. J& #39;ai honte de ce que je lis en elle.
Je fouille dans mon sac, je sors deux mouchoirs en papier et je les pose devant les garçons, sans rien dire, en continuant mon cours. N. cache son visage dans ses bras et F. me regarde avec gratitude. Les yeux de L. ne reflètent plus le même sentiment. Elle lève la main.
"Vous savez Madame, nous on est en 4eAS, vous donnez pas trop de mal avec vos textes d& #39;intello là. Des trucs faciles, ça suffira." Les autres guettent ma réponse : elle est prête depuis le jour où j& #39;ai décidé de faire ce métier.
"La littérature, c& #39;est surtout pas un truc d& #39;intello ! ça ne parle que de la vraie vie : l& #39;amour, la haine, le pouvoir, la famille, la mort et... la bouffe dans mon cas !". Elle rit de bon coeur... Ils font tous comme elle.
"Mais pourquoi vous vous vannez toute seule Madame !" "C& #39;est la différence entre l& #39;humour et la méchanceté. Il faut savoir se moquer de soi-même pour rire avec les autres et non contre eux".
En moins d& #39;une heure j& #39;ai déjà enfreint toutes les règles : j& #39;ai laissé mon sac sans surveillance, j& #39;ai parlé de moi, j& #39;ai souri et j& #39;ai fait pleurer mes élèves. L. vient me voir : "F. c& #39;est le fils du boulanger, sa mère est morte d& #39;un cancer cet été... c& #39;est normal qu& #39;il chiale.
Mais N. c& #39;est mon cousin, même si ma tante elle s& #39;est pendue, il a jamais chialé. Alors allez-y mollo avec votre littérature : un vrai mec chez nous, ça n& #39;a pas le droit de pleurer... sinon j& #39;suis embêtée, je crois que je vous aime bien..."
J& #39;ai retrouvé L. l& #39;année suivante en 3e d& #39;insertion. Elle ne m& #39;a jamais oublié. Elle m& #39;a envoyé un message quand elle a eu son bac, quand elle s& #39;est mariée, quand elle a eu son premier fils puis ses jumeaux.
ça fait quelques semaines que le métier est un peu dur pour moi : ne pas voir les élèves, ne pas voir les collègues, se dire qu& #39;il faudra sans doute enseigner avec distance à la rentrée...
Et miraculeusement hier soir, j& #39;ai eu un petit message pour me demander une précision orthographique. Elle m& #39;a avoué ensuite qu& #39;elle cherchait un prétexte pour savoir si ça allait avec le COVID. J& #39;ai eu les larmes aux yeux...
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