Thread : analyse du manuscrit de Sana'a (et autres sources) par Florence Mraizika

En 1972, des ouvriers yéménites ont découvert par hasard un des plus vieux Coran du monde dans le plafond d’une vieille mosquée à Sana’a
Malgré ce que prétendent certains apologistes musulmans, ce Coran présente des différences importantes avec la version dite Uthmanienne.

Il témoigne d'un processus en formation.
Florence Mraizika est doctorante en Histoire, à l’Institut des Hautes Etudes de la Sorbonne, diplômée en araméen et hébreu à l’université de Jérusalem

Les screens ci-dessous sont extraits de la publication : « les derniers shahid (témoins) de la composition du culte islamique »
Les manuscrits de Sana’a, datés de la 2nde moitié du 7eme s, seront comparés avec le manuscrit de Berlin WE 1913, du 8eme s, qui ressemble à la vulgate actuelle

Ce dernier présente lui-même de nbreuses traces de réécritures, ratures, et traces de plusieurs auteurs successifs
Avis de François Déroche, expert en codicologie, sur les 2 versions :
« Le manuscrit de Sana’a n’est pas une simple corruption du Coran d’Othman mais d’une forme indépendante.

Quand on compare les deux versions, on a l’impression de deux traditions qui se chevauchent et le manuscrit de Sana’a montrerait la fin de l’une d’entre elles »
Bref rappel du contexte historique :

-Le 2nd Calife, Omar, aurait conquis Jérusalem : donné son nom à une porte de la ville, à une mosquée, et aurait occupé le mihrab de David pour y légiférer
-Muawi’ya, 1er Calife Omeyyade, dont des documents officiels comportaient des croix, avait choisi pour lieu de prière le Mont des Oliviers, et l’esplanade du Temple pour les allégeances
1 : Inscription grecque dans les bains de Hammat Gader, 662 : "Au temps du serviteur d'Allah, Muawiya, le commandeur des croyants"

2- Pièces Omeyyades avec croix
3- Pièces avec Menorah
-Vers 684, durant une décennie, une guerre civile oppose Abd el Malik (Calife Omeyyade, bâtisseur du Dôme du Rocher, Jérusalem) et Abdallah IbnZubayr (« Calife » rebelle) à La Mecque

C à ce moment que l’identité islamique va se constituer, et se distinguer des autres religions
Le manuscrit de Sana’a est aujourd’hui une des plus anciennes traces de cette époque charnière.

Le texte parle beaucoup par ses absences : il manque des mots, des versets, mais aussi des sourates.
1-Le culte du Ramadan n’apparait pas dans le codex, les verset 2-187 à 218 sont absents

L’unique occurrence du mot « ramadan » est visiblement réécrite

Rapprochement possible entre le ramadan et une pratique juive locale
2-La Sourate 9 présente plusieurs traces de réécritures, ajouts et ratures

9-73 à 75 est un ajout

Des mots sur le combat contre les mécréants et « les hypocrites se proclamant musulmans » sont manquants.
Le verset 9-80 ne conditionne le pardon qu’à la seule croyance en Allah : absence du Messager.

Sur la couche supérieure, donc postérieure, le verset 9-18 remplace la Zakat par le Jihad.

D’une manière générale, toutes les injonctions au combat sont sur la couche supérieure.
F. Mraizika note la syntaxe problématique du verset 9-31

Le verset est traduit habituellement :

« ils ont pris leurs rabbins et leurs moines, ainsi que le Christ, fils de Marie, comme Seigneurs en dehors d’Allah »
Mais littéralement, le verset se lirait plutôt :

« Ils ont pris leurs rabbins et leurs moines comme Seigneurs en dehors d’Allah, et du Messie, fils de Marie »
3-La sourate 33 est composite :

Le bloc le plus ancien est 33-55 à 71, le reste fut ajouté par la suite
4-La mention du prophète :

Les passages qui mentionnent « Mohamed » ou « la Mecque » sont absents ou ajoutés.

D’une manière générale, les versets mentionnant un « triomphe sur les autres religions » n’existent pas dans les manuscrits anciens : 61-9, 9-33, 61-9.
« L’occurrence rare de « triomphe sur toutes les religions » est le fait d’une relecture plus tardive puisqu’elle infère un combat final de l’Islam qui a besoin d’au moins 100ans pour se différencier »
Les versets 48-24 à 29, et 49-1 à 12 sont absents du manuscrit

Verset 9-48 : tout se passe comme si la prière réservée à Dieu avait subi un ajout tardif englobant Mohamed.

En épigraphie, l’allusion au prophète est absente :
5-La sourate 5 est absente des manuscrits, mais on trouve sur le Dôme du Rocher des inscriptions similaires aux versets de celle-ci.

Cette sourate semble accompagner la construction du Dôme.
Les 1eres pièces de monnaie avec la mention de Mohamed font également leur apparition … car, dans le cadre de la guerre civile qui oppose Abd el Malik à Abdallah Ibn Zubayr, il s’agit de développer une nouvelle rhétorique religieuse.
Le terme « musulman » n’était jusqu’alors pas utilisé en tant que disciples d’une nouvelle religion, et absent du Dôme.

Et les inscriptions du Dôme sont bien moins virulentes envers les chrétiens que celles du Coran final, ce qui suppose des ajouts postérieurs à cette date
6-Sourate 3 :

Le slogan de la Oumma islamique répété en 3-104, 110, et 114 ne figure ni dans les anciens manuscrits, ni sur les inscriptions du Dôme :
7-Hétérogénéités et anomalies sur les séquences cultuelles dans les codex :

Quelques mots et versets manquants :
1ere colonne : codex 8eme siècle, WE 1913

2eme, 3eme et 4eme colonnes : manuscrits de Sana’a, 7eme siècle
Conclusions de Florence Mraizika :

-Grande continuité thématique dans la sous couche des manuscrits de Sana’a

-La Vulgate actuelle procède à un remaniement politique de textes anciens, avec interpolations, découpage, greffage, et agencement aléatoire
-On peut visualiser une intensification de la polémique anti chrétienne jusqu’à après 700.

-La mention du prophète n’apparait que plus tardivement
-Du fait de la « fitna » (guerre civile), le nouveau pouvoir se met, en catastrophe, sous l’égide de l’ex prédicateur surnommé Mohamed, grand-oncle de son rival, Abdallah Ibn Zubayr.

-Avant cela, il n’y avait pas la conscience d’appartenir à une nouvelle communauté
-Les Califes, fixateurs du prophétisme, post mortem, de l’antique prédicateur de la fin du monde, se réfèrent progressivement à Abraham pour créer « le din » comme un nouveau pacte de « l’Oumma » avec Allah.

-Cette période charnière se situe de 640 et 700
Quelques screens des manuscrits de Sana'a :
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