"Sensitivity reader" - Pourquoi je ne peux pas blairer le terme et pourquoi je pense qu'on en a besoin. UN THREAD. ⏬
1- Pourquoi je ne peux pas blairer le terme ?
Parce que je ne suis pas là pour ménager la "sensibilité" de mes lecteurs. Si vous ne voulez pas être heurté dans vos convictions, que vous soyez un gentil progressiste ou un gros facho, passez votre chemin et allez lire Oui Oui.
Les mots ont un sens. Généraliser l'emploi d'un terme qui laisse entendre qu'il faut ménager les petits sentiments des gens pour faire de la bonne littérature, ça me parait effarant. J'espère que le français "démineur éditorial" prendra le dessus.
2- Pourquoi je pense qu'on a besoin de démineurs éditoriaux ?
Tout simplement pour faire des bons bouquins. Je lis régulièrement des livres, par exemple, dans lesquels les personnages féminins sont ridicules, et ce (là est le point clef :) SANS QUE L'AUTEUR L'AIT VOULU.
On ne parle pas de livres caricaturaux ou provocateurs, mais de bouquins réalistes qui deviennent tout d'un coup tout pourris parce que l'auteur s'est cru, dans son omniscience fantasmée, dispensé d'un travail de recherche. Interroger les personnes concernées permet non seulement
de ne pas insulter son lecteur (ce qui ne mange pas de pain, surtout quand on parle de populations qui s'en prennent régulièrement plein la gueule par ailleurs) mais d'améliorer son écriture. Je donne souvent l'exemple de Face au Dragon, mon roman dans lequel l'héroïne est noire
pour dire : "J'ai un perso qui vient du moyen-âge, j'ai interrogé des experts pour ne pas dire de conneries. Je ne vois pas pourquoi je ne ferai pas le même effort pour un perso noir."
[Aparte : ma consultante (terme que j'ai utilisé à l'époque) m'a finalement fait assez peu de remarques sur mes biais de blanche... par contre j'avais commis une énorme maladresse en abordant le sujet de la dyspraxie. Une phrase qui se voulait bienveillante mais était en
réalité parfaitement insultante. Merci à une personne concernée de me l'avoir signalé, m'évitant à la fois de blesser des gens sans le vouloir et de me taper la honte en faisant ce qui relève, dans mon métier, d'une faute professionnelle.]
Bref : nous sommes influencés par la société dans laquelle nous vivons, même si nous sommes trèèès intelligent et avons une graaande personnalité. Je suis blanche, j'ai forcément des biais racistes que j'ignore. Ecouter les concernés n'affaiblit pas la créativité, AU CONTRAIRE :
ces informations vont nous permettre de l'enrichir ET, quand nous provoquons ou heurtons des sensibilités, de le faire intelligemment, avec les billes pour défendre notre choix.
3- Est-ce que je pense qu'il y a des risques associés aux démineurs éditoriaux ?
Oui. Je pense qu'il est naïf d'imaginer qu'il n'y aura aucune auto-censure ou trouillardise éditoriale si l'emploi se généralise. (On voit déjà un coté très lisse et/ou gros sabots dans des séries
américaines, me semble-t-il.)
MAIS.
- Déjà, entre ça et une palanquée de bouquins racistes/sexistes/homophobes/blindé de fake news, j'ai fait mon choix.
- Ce risque ne me semble pas à craindre sur le long terme, une fois que nous aurons appris à bien employer ce nouveau métier.
Conclusion :
Auteurs : bossez sur vos biais, prenez du recul, faites des recherches auprès des gens qui savent même si vous vous croyez super humanistes et gentillous, ça fait partie de votre BOULOT.
Addendum : je n'ai volontairement pas parlé de la représentativité qui, si elle me semble importante dans mon travail, me parait plus relever d'un souci de parole donnée aux auteurs concernés que de travail sur soi des auteurs "dominants".
//FIN//
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