Le caporal stratégique ou le confinement de la connerie

L'expression "caporal stratégique" a été popularisée en 1999 par le général Krulak, du Corps des Marines américains. Pour être juste, l'idée lui en avait été soufflée par un colonel des Troupes des Marine un peu plus tôt.
Le caporal stratégique décrit le fait que dans un contexte à la fois médiatisé et complexe l'action d'un seul soldat à l'échelon le plus bas peut faire office d'"aile de papillon" et provoquer des bouleversements. Et quand on parle d'action, on parle surtout d'action négative.
En soi, ce n'est pas obligé. Plein de soldats font des choses sympas ou même admirables mais cela a beaucoup moins d'échos. L'esprit humain est ainsi fait qu'il s'intéresse surtout au train qui n'arrive pas à l'heure. Peut-être parce qu'il est plus sensible au problèmes possibles
Ce n'est pas un concept révolutionnaire. Tout chef en opération a peur de la "connerie". Exemple : deux marsouins sortent une nuit en douce d'une base et rentrent un peu "émus" en se disant "Tiens, et si on passait par la zone minée pour rentrer discrètement ?".
En l'occurrence, la chance les a sauvé (au moins des mines). Notons au passage que "connerie" désigne à la fois l'acte lui-même que l'état d'esprit que le conçoit.
Il y a des degrés dans la connerie, depuis la bagarre dans un bar qui suscite un incident diplomatique (vécu aussi)
jusqu'à la connerie, et on y revient, d'ampleur stratégique, disons, pour être dans l'actualité, une connerie de "classe américaine". Celle-ci implique presque toujours la violence, et plus précisément la violence injuste et/ou disproportionnée.
Quelques années après l'article de Krulak, l'engagement US en Irak en livrait un florilège depuis les paras tirant sur la foule à Falloujah en 2003 jusqu'au massacre de Bagdad par Blackwater en 2007 en passant par celui d'Haditha et bien sûr les exactions d'Abou Ghraïb.
Encore ne s'agit-il là que des cas les plus graves et connus. Les conneries meurtrières américaines, et les conneries tout court, ont en réalité été innombrables surtout au début de l'engagement. Elles ont fourni évidemment un gros moteur à ressentiment et nourri la rébellion.
Les soldats sont porteurs de la force. Un fantassin comme un pilote de chasseur-bombardier porte sur lui de quoi tuer plusieurs dizaines de personnes. Il lui faut parfois prendre des décisions rapides au sein d'un environnement dangereux et rarement clair.
Je cite souvent, car il m'a marqué, ce cas où je dois décider tout de suite de la vie ou de la mort d'un homme à 50 m de moi que je soupçonne fortement d'avoir tiré à l'instant sur un marsouin. Je décide finalement de le laisser vivre et de l'avertir par un tir au-dessus de lui.
Rétrospectivement, j'ai eu raison puisque la menace s'est arrêtée là. Mais j'aurais pu tout autant avoir tort s'il avait recommencé et réussi cette fois à tuer un de nos soldats. Peut-être que quelqu'un d'autre placé dans les mêmes conditions, aurait privilégié la sécurité.
En juillet 2007, placé dans une situation similaire mais avec des moyens plus puissants, un équipage d'hélicoptère Apache abattait froidement 18 personnes dont beaucoup de civils. La mission était filmé et comme pour Abou Ghraïb la diffusion des images amplifiait l'horreur.
Car l'esprit est aussi sensible très à ce qu'il voit, à l'image. Voir a des effets beaucoup plus puissants que le simple fait de savoir. On peut savoir qu'il y a eu un millier de cas , cela reste plus abstrait (et plus c'est grand plus c'est abstrait) qu'une seule image.
Ajoutons enfin un phénomène bien connu des réseaux sociaux : un événement a d'autant plus d'écho qu'il conforte un sentiment ou pire une croyance préexistants. Par l'orientation préalable de nos capteurs, on aura plus de chance de voir les infos que l'on a envie de voir.
Rappelez vous le négatif l'emporte sur le positif. On peut s'indigner du comportement indigne de membres d'une institution que l'on apprécie par ailleurs mais l'impact et la diffusion seront plus importants dans le camp hostile, qu'il vient conforter.
Tout cela nous donne une équation du caporal stratégique (oui ça se prononce comme "cirque")
C x I x R x C où C est la connerie initiale, I l'image de la connerie, R sa diffusion dans les médias et réseaux et enfin C qui désigne un contexte initiale défavorable.
La meilleure manière apparemment de ne pas avoir de connerie est de ne rien faire, mais l'inaction peut produire aussi de nombreux effets pervers, en laissant par exemple le contexte à l'influence ennemie.
D'un autre côté, si on agît il surviendra statistiquement des conneries
Le tout est de faire en sorte que la valeur du CIRC soit aussi proche que possible de zéro.
Ce sera l'objet d'un autre chapitre. PAUSE.
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