Bon du coup je reviens un peu sur un aspect du problème soulevé ici : c'est quoi notre problème exactement dans notre communication et pourquoi persiste-on ? https://twitter.com/UnMondeRiant/status/1264982281883652098
Il y a quelque temps, j'avais présenté un passage de "La formation de l'esprit scientifique" de Bachelard qui collait encore à notre situation actuelle. J'ai la flemme de rechercher le fil en question, je m'en vais donc ré-synthétiser son propos.
Dans les premiers chapitres, Bachelard faisait la comparaison de la "vulgarisation" entre l'ère pré-scientifique (ante XVIIIè) et l'ère scientifique plus moderne du XXème siècle.

Il a illustré son propos avec l'exemple du tonnerre, décrit par l'abbé Poncelet.
Dans son livre, ce dernier proposait une explication savante au phénomène du tonnerre, encore à son époque objet de mythes, de craintes et de superstitions.

Pour introduire son œuvre, il a choisi une voie intéressante : celle du dialogue.
En effet, il a débuté par une longue introduction en se mettant à la place de l'individu qui allait lire son livre, avec toutes les craintes qu'il avait à l'égard du tonnerre. Ça a été son plus long chapitre, pour montrer que ce qu'il savait avant tout, c'était le sentiment
du lecteur vis à vis du tonnerre. Ainsi, il a installé un climat de confiance et d'échange, à travers un texte - ce qui n'est pourtant pas le moyen privilégié pour le dialogue - pour qu'ensuite on soit plus réceptif à ce qu'il a à nous proposer.
Dans un exemple plus frais, il y a ce super article de @CNQTheorie que je vous conseille fortement. L'idée est là, avec une démarche plus concrète ! (plus globalement, lisez tous ses articles) https://twitter.com/CNQTheorie/status/1265698205649567745?s=19
Cette démarche "vulgarisation" a fortement évolué avec le temps, et Bachelard l'a bien décrit par la suite, pas forcément dans le bon sens. Elle se pare d'une volonté de diffusion du savoir scientifique au plus grand nombre, mais dans les faits en lisant un peu plus ces œuvres
on se rend finalement compte que la majeure partie s'adresse en fait à un public déjà érudit. Ce qui n'est pas vraiment de la vulgarisation du coup, m'voyez. Il y avait plus de jargons techniques, la plupart des vulgarisateurs étant des scientifiques eux-mêmes, le contenu donc
inadapté si on n'a pas un minimum de capital culturel. Un des exemples les plus typiques que j'ai en tête est Stephen Hawking.

Ses livres de vulgarisation sont à mon sens très intéressants, mais sur le plan "démocratisation du savoir" c'est lamentable.
Même en rééditant "Une brève histoire du temps" de manière plus accessible au grand public avec "Une belle histoire du temps" bin ça reste un contenu pechu sur fond de storytelling ma foi tout de même sympathique à lire.

Et c'est un problème qui se retrouve beaucoup ajd.
En voulant communiquer "les sciences", sans s'inscrire réellement dans une démarche professionnelle de vulgarisation, on finit par ne communiquer que son érudition. Comment s'étonner de rencontrer un public peu réceptif à notre message si on creuse la distance qui nous sépare ?
Parce qu'en effet, connaître des choses techniques ne nous permet pas pour autant de bien communiquer dessus. Encore une fois, ce n'est pas pour rien s'il existe des formations et des champs disciplinaires spécifiques traitant de ces questions. https://twitter.com/DrBaratin/status/1263129450121748480?s=19
Pourtant si on s'inscrit dans une démarche rationnelle de communication du savoir, on devrait opter pour les moyens qui permettent de parvenir effectivement à nos objectifs : une démocratisation de l'esprit critique. Donc se rapprocher de ceux qui s'y connaissent non ?
Et également, entre autres, se rapprocher de l'histoire critique des sciences et techniques ? Alors pourquoi persiste-on dans l'échec ?

Plusieurs choses.
D'abord, on ne remarque pas assez nos propres biais. En croyant œuvrer pour la démocratisation de "notre savoir", on ne fait que démocratiser "le fait qu'on sait". Et surtout le fait qu'on ne cherche pas à savoir ce que sait la personne en face.
En faisant des recherches sur le Lyme chronique pour une vidéo, on s'est rendu compte qu'on ignorait totalement l'ampleur des motivations des personnes qui disaient être atteintes. En les lisant et en les écoutant, on était impressionné par leurs connaissances techniques.
Car oui, ceux qu'on cherche à débunker sont armés intellectuellement. Deal with it. Ils en connaissent sûrement bien plus que beaucoup sur les techniques chromatographiques et les analyses immuno. Mais on préfère se concentrer sur leur irrationalité.
L'autre point, c'est que bien souvent on ne se rend pas compte du rapport de force politique à l'origine de certaines croyances. J'ai parlé déjà des platistes américains mais c'est la même chose avec le Lyme chronique (et d'autres).
En communiquant comme on le fait, on creuse le gap qui nous sépare, participant du surcroît à amplifier ce qu'ils dénoncent : un sentiment de domination perpétré par des institutions (ici sanitaires) n'oeuvrant pas toujours pour leur bien.
Car oui, en leur faisant comprendre qu'ils font perdre du temps avec leurs explications imaginaires (je force le trait exprès), n'attendons pas d'eux qu'ils réagissent avec la même rationalité que nous. Donc ne faisons pas semblant d'agir pour l'esprit critique avec ces méthodes.
(J'ai conscience des conditions d'exercice des professions du corps médical qui n'aident pas, mais j'encourage à garder tout de même ces choses en tête, notamment ce lien de domination, si on veut améliorer l'efficacité du "primum non nocere".)
Cela cache autre chose de plus grave à mon sens, ce fait de délibérément montrer la distance intellectuelle des profanes.

Avec ce genre d'image par exemple.
Ça, ça fait sourire, d'accord. On ne fait pas de la science par sondage d'opinion parce que regardez il y a encore des géocentriques (alors que ça ferait le plus grand bien un peu de relativité des référentiels, m'enfin vidéo incoming à ce sujet 😬).
On est loin de l'abbé Poncelet.

Ce genre de message qu'on retrouve souvent sur nos réseaux participe du développement d'un autre message politique plus inquiétant : les gens sont trop bêtes pour prendre des décisions par et pour eux-mêmes. Regardez, la preuve.
Et c'est vrai qu'en soi, si on est partisan du "décider pour les non-sachants" on a peu intérêt à adhérer à l'humilité épistémique.

Je ne dis pas qu'on suit tous cet objectif politique non plus - avant qu'on ne me taxe de complotisme - mais on lui donne du grain à moudre.
Parce qu'il faut conclure et laisser le temps de développer la question avec plus de littérature (parce que je n'en sais pas plus que ce que je partage ici) voilà une synthèse :
Nous échouons à communiquer comme il faut parce qu'on ne se rend pas forcément compte qu'on ne cherche pas à communiquer. Le temps laissé à l'analyse de la situation et à l'adaptation du discours au public ciblé est totalement occulté au profit d'un confort assez individuel.
L'exemple récent de Raoult est encore typique : à jouer sur le terrain de la technicité, en s'étonnant chaque minute des entorses aux standards de notre chère science, on s'étonne nous-mêmes de ne pas avoir la voix qui porte assez et on se fatigue.
Mais si on se met dans des états pareils en opérant une analyse des actions du professeur en se référant à nos règles de disputatio scientifique, on est forcément voué à l'ulcère. Once again : il ne s'adresse pas à ses pairs, donc évidemment qu'il s'en fout des règles.
Et c'est la même chose en cherchant constamment à souligner l'irrationnalité des gens sans vraiment s'intéresser à l'origine de leurs idées. On ne peut pas se réclamer d'une mouvance de promotion de la pensée critique alors que dans les faits on alimente une distinction sociale.
(Note : je ne parle pas forcément d'empathie émotionnelle. Ne pas tout réduire à la cognition et se pencher sur les autres facteurs qui expliquent certaines croyances, ça ne signifie pas "être un bisounours")
Communiquer à chaud, comme l'ont fait beaucoup de vulgarisateurs d'ailleurs en s'appliquant sur l'aspect purement technique, est loin de correspondre, à mon sens, à l'idéal de la vulgarisation. Mais ça n'engage que moi.
Donc si on veut "mieux" (selon l'objectif hein toussa) communiquer notre savoir, rapprochons-nous de ceux qui savent comment pourrait-on communiquer notre savoir. Et entre temps, je pense qu'un peu d'introspection ne nous ferait pas de mal.
Cordialement*

* : débizou
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