Comme promis la semaine dernière, et pour passer à des sujets plus intéressants, parlons du prix des jeux et du rapport entre prix d'un jeu physique et prix d'un jeu digital. En dernier tweet je mettrai un unroll.
Du prix des jeux donc. J’écris au fil de l’eau, il y a sans doute des coquilles. Soyez cléments 😊
En fait, quand on parle du prix des jeux, on prend souvent le problème à l’envers : on voit un AAA à 45 euros dans un hypermarché et on pense que c’est cela le bon prix, le juste prix.
Mais en réalité, le prix le plus bas, s’il est intéressant pour le Gamer, n’est pas nécessairement le juste prix d’un jeu. Celui qui a du sens.
Même si le secteur évolue à marche forcée avec des offres comme le GamePass ou des produits en free to play comme Fortnite…
... ce secteur a été structuré il y a des années, sur un modèle simple : des jeux vendus à prix premium, sans micro-transaction ou cosmétique quelconque, des jeux physiques, vendus dans un réseau de distribution physique.
C’est en partant de cet historique qu’il faut appréhender la question du prix; sur cette base : un jeu physique vendu à prix premium comme seul business modèle, et écoulé dans une distribution physique. C’est cette base que s’est construit le principe de ce prix proche de 70€.
Avec ces 70€, la chaîne de valeur du secteur du Jeu Vidéo estimait qu’elle pouvait rémunérer de façon plus ou moins juste les développeurs, les éditeurs, les consoliers et les distributeurs...
... tout en tenant compte des coûts liés à la mise sur le marché des produits (droits éventuels fabrication, logistique, marketing, etc.).
C’est pour cela que vous avez souvent entendu dire que le bon prix d’un AAA se situe à ce niveau-là, c’est parce qu’il permet de faire vivre l’écosystème.
On notera au passage que certains jeux ont été proposés à des prix inférieurs, de 20 à 40€, simplement parce qu’ils coûtaient moins cher à développer (AA par exemple).
Mais partons sur ce prix facile à retenir de 70€. Le bon prix pour un AAA dans l’environnement très «physique» dans lequel il s’est imposé.
C’est le bon prix pour la filière, il permet de continuer de générer de la valeur pour tous, et aussi de ne pas faire du Jeu Vidéo un produit culturel bradé.
La responsabilité des acteurs du marché a donc été, et est toujours, de défendre cette position. Notamment face aux hypermarchés qui « bradent » les jeux et ne permettent plus une juste rémunération de la chaîne de valeur, mais représentent un danger plus grave.
Cette politique de prix bas pratiqués par les Hypermarchés - qui utilisent le jeu vidéo comme une bouteille de soda, c’est-à-dire comme un produit d’appel – est en effet dangereuse.
Dangereuse parce qu’elle induit le consommateur en erreur, en lui faisant penser que le juste prix est à 45€, alors que la seule logique de ce prix, c’est la logique d’un distributeur qui ne se soucie pas du secteur du jeu vidéo.
Pour schématiser : en pratiquant un prix de 45 euros et en faisant penser au consommateur que c’est le bon prix, le consommateur ne comprend plus pourquoi on veut lui faire payer 70€ pour défendre une filière complète.
Le risque, c’est que psychologiquement et économiquement, le consommateur attribue à un jeu une valeur de 45€. Alors que pour que le secteur soit en bonne santé, le « juste » prix est à 70 euros.
Croyez bien que les hypers se moquent de l’avenir du jeu vidéo, des studios, des développeurs. Les jeux ne sont qu’une référence parmi les millions que propose un hypermarché.
Première conclusion donc : le prix le plus bas, même s’il est tentant, n’est pas le plus sain pour le secteur du JV, sa diversité, sa création et la rémunération de tous les gens qui y travaillent.
Installer un prix psychologique de 45 € dans la tête du consommateur est un danger à moyen terme pour tous les vrais amoureux du jeu vidéo. Globalement, cela abaisse la valeur du produit, du marché, et donc le met à terme en danger.
La différence entre le 45 et le 70€ réside souvent dans la marge du distributeur mais aussi dans les deals complexes qui peuvent exister entre éditeurs et distributeurs.
Et vous comprenez bien que si un hypermarché accepte de perdre sa marge sur un AAA, c’est pour vous faire remplir votre caddie chez lui plutôt que chez son concurrent.
Pour un indépendant ou une chaîne spécialisée dans la vente de jeux video (Micromania en France, Game en Angleterre, etc), cette différente entre 45 et 70 euros c’est ce qui lui permet de vivre.
C’est pour cela que le « bon » prix, le prix « juste » pour le secteur, celui qui permet au secteur de rémunérer tous ses acteurs, est plutôt autour de 70€ pour un AAA. (je me répête je crois).
On pourrait prendre l’exemple d’une baguette : préférez-vous payer votre baguette 1€ chez votre boulanger ou 70 cents dans un hypermarché, hors considération de goût.
Ou votre bouteille de vin chez un caviste qui vous donnera un conseil, qui fait vivre toute une filière derrière lui, pour 15€ ou la même bouteille à 12€ dans un hypermarché ?
C’est une vraie question, elle est double : vous pouvez être contraint financièrement et dans ce cas la recherche du meilleur prix est nécessaire, mais c’est aussi un choix de société.
A savoir, préférez-vous vivre dans un monde où l’hypermarché assèche toutes les chaînes de valeur : l’agriculture, l’élevage et même le jeu vidéo en pratiquant une culture de prix bas, ou bien avoir une consommation raisonnée.
Je n’ai pas la réponse, et chacun se fera son propre avis. (le défaut de ce que je dis est que l'occasion est, je trouve, une bonne chose sur le plan sociétal, même si ça n'est pas positif pour les éditeurs et les studios).
Revenons à nos moutons : un prix juste autour de 70€ pour rémunérer l’écosystème.
Et puis est arrivé le digital, avec la question légitime : pourquoi devrais-je payer un jeu digital au même prix qu’un jeu physique ?
Les arguments avancés sont souvent :
Premièrement: je peux revendre mon jeu physique. Compréhensible pour le Gamer, mais moins pour le développeur, le studio ou l’éditeur.
Ils ne sont pas rémunérés sur la 2ème vente que fera le distributeur : quand vous revendez votre AAA à un distributeur qui va le revendre en occasion ensuite, la seule entité qui gagne de l’argent, c’est le distributeur.
Deuxièmement: 2Je possède mon jeu. C’est un argument qui est discutable : possédez-vous toutes les chansons que vous écoutez sur votre smartphone, ou tous les films que vous regardez sur Netflix ?
La propriété (et je ne parle pas des collectionneurs, qui sont un cas à part) est elle aussi centrale dans notre société qu’elle l’a été? Les gens achètent moins de voitures, ils les louent, etc.
La propriété a une valeur dans la logique de revente mais sinon elle a aussi ses écueils : pour Xbox, si vous avez acheté une version digitale d’un jeu sur 360, il est à vous et même si vous avez revendu votre console...
... ou qu’elle ne fonctionne plus, vous pourrez certainement y jouer sur une X Series.
On est dans la propriété digitale. Il est aussi à noter que les jeux prennent de la place, et que dans les habitats urbains on en a de moins en moins.
On peut enfin ajouter qu’on peut partager son jeu avec un autre compte ou l’emmener virtuellement avec soi quand on passe d’un lieu à un autre puisque la propriété est attachée à un compte.
Mais passons ces arguments, la vraie question n’étant pas là: pourquoi le prix des jeux digitaux a-t-il plus ou moins été fixé à 70€ ?
En fait, quand le digital est arrivé, il est arrivé progressivement, il ne représentait qu’une petite part des ventes et pour protéger la distribution physique, le marché a adopté une uniformisation des prix entre le digital et le physique.
C’était un moyen de protéger la distribution physique, les chaînes spécialisées et de manière générale la présence du jeu vidéo dans le paysage urbain, dans la vie des gens, dans les rues, dans les zones commerciales.
Et un moyen de protéger les négociations entre les éditeurs et les distributeurs physiques qui auraient pu se sentir agressés par des prix trop bas.
C’est très important pour les acteurs du marché : il faut rester visible, et donc soutenir les distributeurs physiques. Pour un consolier, qui vend du hardware, c’est encore plus vrai. On ne télécharge pas une console, même si on peut désormais l’acheter en ligne.
Il y a d’autres raisons, mais globalement ce même prix de 70€ entre les 2 versions vient généralement de là, il aurait pu être de 60€ par exemple, mais cela se serait fait au détriment de la distribution physique. Elle joue un rôle important, moins qu’hier, mais qui reste utile
Ce prix de 70€ a donc une triple vertu, il rémunère la chaîne de valeur, il « protège » les distributeurs physiques, et il empêche la dévalorisation du produit jeu vidéo, qui ne doit pas être bradé. Les amoureux du JV seront d’accord avec moi. Enfin j'espère :)
Avec le temps, la situation s’est compliquée : les ventes digitales sont désormais supérieures aux ventes physiques (raison de plus pour essayer de protéger les distributeurs restants), mais surtout les modèles économiques ont beaucoup évolué.
Désormais un jeu peut être disponible dans un abonnement pour quelques euros par mois, voire être gratuit et (bien) vivre de ses micropaiements.
Bref les cartes sont rebattues et c’est un vrai challenge pour les acteurs qui étaient habitués à un seul business model de AAA à 70€, on voit bien qu’un Fortnite ou un GamePass dévore leur temps de jeu et à terme leur ventes.
C’est un vrai challenge pour les éditeurs qui n’ont pas su évoluer.
A cela s’ajoutent les questions de coûts des serveurs, qui s’accroissent à mesure que les ventes digitales augmentent et que de nouveaux types de jeux plus gourmands émergent.
On peut imaginer que la part qui revenait hier au distributeur physique reviendra après demain au financement de serveurs.
Nous vivons un moment intéressant, une économie complète s’est construite depuis des années sur un prix premium uniformisé...
... elle s’effrite sous les coups de boutoirs des nouveaux modèles économiques à la Fortnite, des abonnements, des ventes de jeux toujours plus digitales, des serveurs plus nombreux.
Mon avis humble est que comme pour le disque, un modèle physique subsistera, mais qu’il sera plutôt très minoritaire et dédié aux collectionneurs.
Si on fait un parallèle avec le monde du disque : ceux qui achètent des vinyles d’un côté, et ceux qui sont abonnés à une offre de musique en streaming de l’autre.
A l’origine il n’y avait qu’une question, celle du prix des jeux digitaux, retenez que c’était surtout destiné à protéger une filière qui en a besoin.
Et que le bon prix n’est pas toujours le plus faible, les éleveurs et les agriculteurs le savent bien (je ne compare pas les situations, ce n’est qu’un exemple).
Enfin, j’ai toujours pensé que les jeux étaient chers sans l’être. Une place de cinéma coûte 10-15€, pour 2h. Un jeu coûte 70€ mais vous offre souvent plusde temps de jeu, voire bcp plus, GTA par exemple, ou FIFA. Au temps passé, le JV est un loisir compétitif.
Voilà, j'espère avoir répondu à la question. Questions welcome, mais pas trop :)
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