Je voudrais vous parler d'une grande dame qui s'appelle Jeannette, pour la mettre un peu à l'honneur.
Jeannette était agricultrice du temps où elle était active, avec Jean son mari.
Jean s'est tué dans un accident de la route, en rentrant de cueillir des cèpes dans les Landes.

Jean a laissé derrière lui 4 enfants, et Jeannette. L'aîné, à 14 ans, a dû quitter l'école pour aller travailler et subvenir aux besoins de sa famille. Il s'est lancé dans un apprentissage de charpentier, son deuxième prénom étant Joseph...

Jeannette vivait avec 3 vaches, 2 connards de béliers, une vingtaine de canards et autant de moutons. Et 4 ou 6 hectares de champs, et un Massey Ferguson.
Avant Noël elle gavait ses canards, prenaient les 15 plus beaux foies et allait les vendre à la Moutète.

Elle améliorait son quotidien, en achetant quelques biscuits et du chocolat notamment, ses pêchers mignons.
Elle élevait aussi 2 ou 3 cochons, et organisait la pélère en hiver, les jours de Tournoi des 5 Nations.
Les hommes, après l'abattage, partaient voir le match ensemble.

Jeannette a 4 enfants, et beaucoup de petits enfants, et des arrières petits enfants.
Quand le plus grand des petits enfants partait à l'armée, elle lui achetait le chocolat où il y avait des animaux sur les carreaux.
C'était sa richesse à elle.

Elle a commencé à avoir son "premier" argent quand elle a pris sa retraite et transmis à ses deux fils et deux filles son petit patrimoine: quelques champs, un ou deux bois de faible importance, et la vieille ferme.
Ça a amélioré son quotidien: du bon fromage, des biscuits etc

Son aîné vit à 12 mètres de chez elle, la deuxième à 600m, la troisième et le quatrième à 900m.
Elle a rangé le tracteur vers ses 80 ans je crois, et sa Supercinq à la même époque. Un pauvre type avait eu le malheur de ne pas s'arrêter alors qu'elle venait de griller un stop.

Heureusement rien de grave, mais elle a compris qu'il valait mieux qu'elle sous traite les courses.
Il y a 5 ou 6 ans, sa belle-fille l'a découverte en plein soleil, allongée au sol au fond du jardin. Son fémur s'était brisé 4 heures avant, entraînant sa chute. 4h de calvaire.

Là par contre, une frayeur immense. Jeannette était déshydratée. Elle a été transportée par les pompiers, a été guérie. Mais depuis, dans sa maison elle est restée tapie. Sûrement peur de retomber.
Mais elle fait sa vie chez elle, de sa cuisine à son lit. Du lit à la cuisine.

Dans la cuisine il y a son poêle à bois à côté duquel prend place son grand fauteuil. Elle y regarde la télé, toute la journée. À côté, il y a un gaz et en dessous une poêle avec un peu de graisse blanche, épaisse. Elle sert quand qq'un lui amène un cèpe ou une tranche de jambon.

Là il faut la voir quand quelqu'un lui amène un cèpe : elle sort son opinel, elle hume le champignon et se le coupe avec un soin religieux. Pendant ce temps elle se chauffe la graisse, s'attrape un morceau de fromage. Elle coupe de l'ail, se fait amener du persil et se régale.

Elle a un petit-fils, c'est son chouchou. Il sort du boulot, il chope un fraisier, un hibou, un palmier, un saucisson, ça dépend. Il se pointe chez Jeannette, et ils se font un cap à cap. C'est leur rituel, c'est impressionnant à voir.

Jeannette fonce vers ses 95 ans au mois d'août.
Elle a toute sa tête.
Si on lui demande comment elle va, elle répond : comme une vieille, j'ai mal partout (en roulant les R).

Avant hier, en se levant de son fauteuil, Jeannette a essayé de choper son déambulateur, mais ça ne s'est pas passé comme d'habitude. Son fils, dans la grange, l'a entendu crier. Il a couru, ça fait 30 ans qu'il avait pas couru. Et il a trouvé Jeannette parterre.

Jusqu'à hier midi et que le médecin vienne, elle avait mal partout. Le docteur a décidé de la faire transporter à l'hôpital.
Résultat: double fracture du bassin, fracture du poignet, hématome à la tête, et bronchite.
Elle a été isolée et se retrouve seule. Et elle souffre.

Alors j'ai posé une semaine de vacances, parce que Jeanette habite à 850 kilomètres de chez moi, et que mes parents (son aîné) sont bouleversés. Je vais descendre dimanche ou lundi, avec les enfants, parce que Jeannette, c'est leur "petite mamie".

On ne peut pas la voir, et on ne forcera pas. Mais quand elle verra que les infirmières lui amènent des galettes caramel au beurre salé elle comprendra...
Et puis, je paierai un fraisier à son chouchou, @davidsar, pour perpétuer le rituel.
Forcément on est un peu inquiets.

Mais Jeannette s'est toujours accrochée. Son mari a été prisonnier plusieurs années en Allemagne. Sa jambe est passée dans l'égrennoir à maïs. Sa clavicule est restée dans un virage et son solex de l'autre côté.
Elle m'a sauvé la vie quand j'étais en train de me noyer dans 1 mare

Elle a sauvé la vie de @davidsar avant l'arrivée du SAMU après une vilaine piqûre de frelon.

Non, Jeanette, notre mamie, c'est vraiment une sacrée femme