[drogue] Aujourd’hui c’est... Mardi-acetyl-morphine (DCI de l’héroïne, nom commercial déposé par Bayer). Pour l’occasion on va parler de la grande pénurie d’héroïne en Australie dans les années 2000.
J’en profite pour vous renvoyer vers @AddictionSuisse qui a publié pas mal de docs «point de situation COVID» très pertinents. C’est dans leur bibliographie que je suis tombé sur ce chouette papier datant de 2004 faisant le bilan des causes et conséquences de la pénurie de 2001.
C’est un chouette document qui mêle habilement histoire, réflexions sociales sur les trafics, et observe la drogue sous l’angle médical et judiciaire. Avec quelques rappels intéressants.
Il faut plusieurs facteurs pour qu’un trafic de stupéfiants fonctionne: une filière pour alimenter le marché, des usagers potentiels, des forces de l’ordre corruptibles, et un syndicat du crime pouvant placer ses membres à des endroits stratégiques de la société.
Curieusement, malgré l’introduction de l’héroïne en Australie dans les années 60 par les troupes US de passage pour la guerre du Vietnam, le produit séduit peu. Ce sont surtout les filières de la prostitution d’Asie du Sud Est qui vont faire fleurir ce marché dans les 70/80ies.
Dans les années 90 les fonds pour la lutte contre le trafic de drogues diminuent, et le peu d’argent à disposition sert à lutter contre un autre trafic: MDMA et ecstasy.
Depuis 1995, l’opinion est secouée par le décès d’Anna Wood, 15 ans, cf. photo. Cette jeune fille décède après avoir pris de l’ecstasy lors d’une rave party. La police concentre alors son activité contre la vente de MDMA/ecstasy, et délaisse les autres produits.
C’est l’âge d’or pour le trafic d’héroïne en Australie. Jusqu’au début des années 2000, quand les talibans prennent le pouvoir en Afghanistan, premier producteur mondial d’opium.
Pendant la première guerre d’Afghanistan, les combats contre les soviétiques détruisent les champs. Le monde agricole se tourne massivement vers l’opium pour vivre et survivre, avec l’aide de la CIA, qui finance le matériel et aide à exporter.
En 2000 c’est différent. La production d’opium est interdite par les talibans, et le monde agricole suit le mouvement. La production s’effondre, et ça aurait pu durer. Sauf que la deuxième guerre d’Afghanistan débute. Et la production d’opium reprend (ah bah bravo Niels!).
Début 2001, l’héroïne se fait rare en Australie, en particulier en NSW, SA et VIC. Le temps pour se procurer de l’héroïne et son prix augmentent. Sa pureté en revanche diminue. Et les saisies se font rares. La faute à la guerre en Afghanistan?
Le rapport conclut qu’il a fallu plusieurs facteurs en synergie pour en arriver là: trop d’offre donc peu de profit et un effondrement du prix de l’héroïne à la clé, l’augmentation brutale du budget des douanes australiennes, et peut être un soupçon de géopolitique.
L’Australie ne dépendait pas de l’Afghanistan, et l’Europe n’a pas subi de pénurie à cette époque. Peut être que le stock australien a été vendu en partie à la Chine pendant cette periode, sans certitude. Une fois de plus, corrélation ne veut pas dire causalité.
Quant aux effets de la pénurie sur les usagers, on observe deux populations se détacher: d’un côté les jeunes, peu attachés à la substance, et les anciens qui ne se voient pas consommer autre chose.
Les jeunes usagers semblent s’être tournés vers les stimulants, et on a constaté chez eux davantage de crimes violents, et une augmentation des hospitalisations pour troubles psychotiques aiguës. Peu de ces usagers ont continué à consommer des substances en IV.
Chez les anciens, plus attachés à l’héroïne, la situation se péjore. Nombreux coupent l’héroïne injectée avec d’autres produits qu’ils maîtrisent moins, notamment des comprimés de benzodiazepines. À la clé, abcès, endocardites et autres écueils liés aux mauvaises injections.
Contrairement à ce qu’on a vu au début de notre pandémie, la demande de soins en addictologie a diminué chez les australiens. Seule la demande de stimulants prescrits à augmenté. Le groupe d’experts n’arrive pas comprendre cette évolution, plutôt contre intuitive.
Quelles conclusions tirer de cette expérience? L’héroïne est une drogue aussi dangereuse que le tabac et l’alcool, et en diminuer l’accessibilité a permis de diminuer le nombre d’overdose. En revanche, cela a provoqué des prises de risques plus fréquentes: mauvais matériel etc.
Le trafic ne s’est pas arrêté et il a pris une autre forme, d’autres filières se sont créées.
Au final, bloquer l’accès à une substance a eu un effet aigüe positif, mais délétère sur le moyen terme par les prises de risques engendrées. Et aucun impact sur le trafic en général. Avec un retour à la norme après quelques années.
Les auteurs concluent en rappelant qu’il est probablement impossible de reproduire une telle expérience, et que cette crise reste multifactorielle et difficile à analyser (bah bravo Niels, 120 pages pour en arriver à further researches are needed 🙄).
Personnellement j’en garde une certitude: peu importante l’endroit et la situation, le seul soin toujours utile reste la réduction des risques. C’est tout pour moi, merci de m’avoir lu, et n’oubliez pas, don’t shoot alone!
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