Suite au très bon thread de @BenjiLAREDO sur le LCOE, je propose d’éclairer quelques éléments clefs sur les coûts du nucléaire : le coût du parc actuel, le tarif de rachat d'Hinkley Point C et les futurs mécanismes de financement du nucléaire.
#Thread https://twitter.com/BenjiLAREDO/status/1264349888848048129
Partie I : Le parc nucléaire actuel

Ça tombe bien, il y a justement un rapport rédigé en 2014 sur le sujet par une autorité indépendante de référence : la Cour des Comptes. Regardons ce qu’il contient.
Ce rapport, très complet, donne comme coût du parc actuel 62€/MWh pour une durée de vie estimée à 50 ans avec la décomposition suivante (on verra dans la suite à quoi correspond chacun des intitulés).
Les dépenses d’exploitation (27€/MWh) correspondent au coût du personnel, l’achat de combustible, les consommations externes (pièces de rechange, frais logistiques…), les impôts et taxes et les fonctions centrales et support.
Le loyer économique (20€/MWh) correspond au coût d’investissement initial pour la construction des centrales + la rémunération du capital investi (à un taux de 7,8%) répartit sur la durée de vie (comme si c’était un « loyer » que paierait EDF).
Les investissements de maintenance (10€/MWh) correspondent au Grand Carénage (4Mds€/an investis sur la période 2014-2025) : rénovation de gros composants, maintenance « normale » d’exploitation, dispositifs post-Fukushima et autres investissements de sûreté.
Les provisions pour les dépenses futures, que ce soit pour le démantèlement (1€/MWh) ou la gestion des déchets et du combustible usé (4€/MWh, y.c. Cigéo). Bien que suscitant beaucoup d’inquiétudes, on remarque finalement que ces deux postes sont mineurs dans le coût global.
A ce sujet, la Cour écrit d’ailleurs : « l’impact d’une augmentation de ces dépenses futures sur le coût de production du kWh est limité, de l’ordre de + 2,5 % pour une augmentation de 50 % du coût du démantèlement et de + 1 % pour le doublement du devis de Cigéo. »
Certains ont peut-être déjà entendu la SFEN communiquer sur un coût « cash » de 33€/MWh. Pour l’obtenir, elle additionne les dépenses d’exploitation aux investissements, ce qui donne 36€/MWh (à l’arrondi près), auxquels elle retire :
-2€/MWh au titre de l’optimisation faite sur le coût du Grand Carénage (-10Mds€ sur 12 ans)
-1€/MWh au titre du plan d’économie d’EDF visant à réduire les coûts d’exploitation
D’où le 33€/MWh, qui peut servir pour se rendre compte du coût de production d’un parc amorti.
En revanche, pour établir un tarif d’accès au nucléaire comme l’ARENH, c’est bien l’ensemble des coûts qu’il faut retenir d’après la CRE. A ceci près que pour le loyer économique, on ne prend en compte que la part non encore amortie.
Ainsi, un calcul d’un tarif ARENH mis à jour correspondrait à : Dépenses d’exploitations + Investissements + Provisions pour démantèlements et déchets + (15 ans restants d’exploitation/50 ans de durée de vie moyenne) x Loyer économique. Soit environ 48€/MWh.
Partie II : le tarif d’achat d’HPC

Regardons maintenant ce qui se passe du côté du nouveau nucléaire, en particulier pour les EPR. Encore une fois nous avons de la chance ! Il y a un rapport du National Audit Office (Cours des Comptes anglaise) sur le coût d’Hinkley Point C.
Hinkley Point C est une paire d’EPR (2x1630MW) construit par NNB (partenariat EDF et CGN, groupe nucléaire chinois) en Angleterre destinée à produire 7% de l’électricité locale dont la construction a commencé en 2017 et devrait s’achever en 2025 pour la première tranche.
Le coût de construction de la paire est estimé à 18Mds£ (désormais réévalué à 22Mds£, peu important pour la suite). Les centrales bénéficieront d’un Contract for Différence (CfD) qui leur garantit un tarif d’achat à 92,5£/MWh (105€/MWh) pour les 35 premières années.
Ce mécanisme (similaire à ce qui se fait pour les EnR) sert à assurer un taux de rémunération du capital (c’est à-dire de l’investissement) de 9%. Ce taux correspond au revenu exigé par les actionnaires et créanciers du projet compte tenu du risque de celui-ci.
Le niveau important du CfD (tarif d’achat garanti) est donc en grande partie lié à la rémunération des financeurs du projet. Ces intérêts sont d’autant plus importants que le nucléaire est une industrie à coûts fixes avec des temps de construction relativement importants.
D’ailleurs, le NAO a fait des simulations pour savoir quel serait le niveau du CfD suivant le taux de rendement attendu par les investisseurs. Pour un taux de 2% (taux « sans risque » auquel peut emprunter un Etat) cela donnerait un CfD de l’ordre de 15£/MWh !
Cette dernière valeur vient nous rappeler que le CfD n’est pas un coût. Le coût d’HPC ne serait pas de 15£/MWh. C’est juste que son coût serait devenu tellement bas qu’il n’y aurait pas vraiment besoin d’un tarif garanti, la vente de l’électricité sur les marchés suffirait.
Pour parler en coût de centrale et non en CfD (qui n’est en plus que sur les 35 premières années), j’ai calculé le coût du MWh produit par HPC suivant le taux de rémunération du capital (≈taux de financement). On retrouve bien la dépendance analysée par @BenjiLAREDO.
Le NAO affirme d’ailleurs que si le gouvernement avait financé le projet à un taux de 2%, le coût de construction aurait pu être multiplié par 5 (sachant qu’on part déjà d’un coût de construction à 10Mds€/tranche !) avant d’égaler les coûts d’HPC du schéma actuel.
Fort de ce constat, le NAO envisage d’autres mécanismes de financement et de partage de risques (tous portés par EDF/CGN ici, sauf le risque marché sur les 35 premières année) pour optimiser le coût pour la société anglaise.
Partie III : Les futurs mécanismes de financement du nucléaire

Tout d’abord il faut être conscient que le rendement exigé par les investisseurs et créanciers (ou coûts du capital) sera très dépendant du risque pris, ce n’est donc pas juste une histoire de financement.
Concrètement, quels sont ces mécanismes de financement/partage de risques alternatifs ? Plusieurs pistes intéressantes sont envisagées par le NAO :
- Un financement entièrement Public (à 2% donc), ce qui donne un CfD à 15£/MWh mais cela fait porter tous les risques sur l’Etat et alourdit sa dette, ce que ces derniers cherchent souvent à éviter.
-Un partenariat public-privé (PPP) où l’Etat anglais rentre à 50% au capital du projet (en se finançant à 2%) tandis que l’investisseur garde son rendement sur sa part (9%) ce qui a été fait pour l’Eurostar ou Thameslink (RER de Londres) et donne ici un CfD à 55£/MWh.
-Un modèle Regulated Asset Base (RAB) dans lequel le consommateur paye dans sa facture une partie dès la construction (y.c. les surcoûts). Ce partage des risques fait baisser le taux de rendement attendu par le constructeur. Cela donne un CfD à 55£/MWh.
La différence financement/partage de risque apparait clairement entre le PPP et le RAB. Dans le PPP, on met surtout en avant le taux de financement attractif de l’Etat à 2%, tandis que dans le RAB, il n’y pas de financement de l’Etat.
En revanche, le fait de partager les risques de la construction avec les consommateurs d’électricité fait naturellement baisser le rendement exigé par les investisseurs privés. Ce mécanisme a aussi l’avantage de ne pas creuser la dette des Etats.
Ce n’est pas explicité dans le document du NAO, mais tout ce qui peut permettre des financements à taux réduits comme des mesures d’un #GreenNewDeal qui comprendrait le nucléaire ne peut qu’aider !
Enfin, même avec un partage des risques et un financement réduit, un investisseur privé (EDF ou autre) ne demandera jamais 0% comme coût du capital car un projet n’est jamais sans risque.
Conclusion :

Le coût du financement est effectivement la clef d’un nucléaire compétitif, comme on le constate sur l’exemple d’HPC, d’où les mécanismes envisagés pour le futur nucléaire anglais (RAB+CfD)
Ne pas oublier que le temps de construction est aussi une variable clef, et pour ça il faut se servir du REX de Flamanville (cf. rapport Folz) pour 1) Simplifier le design/constructibilité et 2) utiliser une supply chain remise à niveau
Un autre moyen d'optimiser les coûts est de faire des programmes de plusieurs centrales de même technologie. Cela permet d'avoir un effet de série et de baisser les coûts, c'est ce qui a été fait pour le parc actuel.
D'ailleurs, parlons d'une centrale construite pour un temps/coût raisonnable car le niveau d'industrialisation est élevé : l’EPR de Taishan (Chine). On n’en parle pas souvent, mais son tarif de rachat final est de...56€/MWh!
Merci d’avoir lu 🙂, pour aller plus loin :
-Coûts de démantèlement par @Astrochnis : https://twitter.com/AStrochnis/status/1101495094165889026
-Article sur le mécanisme RAB par @maxcordiez : https://www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/le-financement-des-futures-centrales-nucleaires-britanniques
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