En 1977, Didier Piganeau a 23 ans et il étudie le droit à Poitiers. Mais derrière cette façade d’une affligeante banalité, Didier est beaucoup plus que ça : il n’est rien de moins que le Roi de Basoche, couronné sous le nom de Didier Ier. #Thread
Si vous n’avez jamais entendu parler de la Basoche, rassurez-vous : c’est tout à fait normal. C’est une blague de potaches, une vieille institution d’Ancien Régime qui, il est vrai, avait son propre « Roi » que quelques étudiants farceurs ont ressuscité pour s’amuser.
Hors périodes de partiels, les activités de la Basoche sont assez bien résumée par la devise officielle du Royaume : « Boire Bite et Bien » — c’est-à-dire qu’ils partagent leur temps entre beuveries déraisonnables et réalisation de « gags intellectuels et paillards ».
Quant à Piganeau, il n’est devenu Roi de Basoche que parce qu’il est arrivé dernier à la réunion qui devait décider du nom du futur monarque. Du coup, sa petite amie Dominique (devenue sa femme depuis), s’est évidemment retrouvée Reine.
Bref, le Royaume de Basoche, son Roi, sa Reine, son Grand Plumitif, son Barde officiel et la poignée de joyeux lurons avinés qui le composent, ne sont rien de plus qu’un prétexte amusant pour picoler entre les partiels en montant des canulars plus ou moins élaborés.
Pour le jubilé d’argent d’Élisabeth II, par exemple, ils se sont fendus d’un télégramme officiel : « IMPOSSIBLE TO COME AND HAVE TEA WITH YOU BECAUSE EXAMS — STOP — CONGRATULATIONS — BOIRE BITE ET BIEN ».
Bizarrement, le gouvernement de Sa Majesté n’a pas répondu. Mesquinerie ou défaillance de la Poste, on ne saura jamais.
Et c’est là que nos joyeux lurons, dans un moment de sobriété tout à fait relatif, apprennent que Jean-Bedel Bokassa, jusqu’alors Président de la République de Centrafrique, s’apprête à se faire couronner Empereur sous le nom de Bokassa Ier (le 4 décembre 1977).
Alors là, c’est du lourd.

Bokassa, c’est l’archétype du dictateur à l’africaine : parfaitement mégalomane, le type pratique assidument la torture et les exécutions sommaires et, de crypto-socialiste, s’est récemment découvert musulman comme son copain Kadhafi.
Signe particulier, toutefois, Bokassa est francophile (et donc soutenu par les gouvernements français de l’époque) et c’est notamment un immense fan de Napoléon Bonaparte.

D’ailleurs, dans l’idée, le couronnement de Bokassa, doit être un remake du *Sacre de Napoléon* de David.
Alors forcément, même si les centrafricains crèvent la dalle, ça doit être une débauche de faste absolument démente : 5 000 invités, 10 000 pièces d’orfèvrerie, couronne d’or pur décorée de 7 000 carats de diamants, trône monumental...

Bref, ça donne ça :
Et comme Bokassa tient absolument à réunir un parterre d’invités prestigieux et que pas un seul chef de gouvernement n’a l’intention de participer à cette farce grotesque, les petits gars de la Basoche sentent qu’il y a un coup magnifique à jouer.
C’est le Grand Plumitif qui s’y colle : rédiger une lettre sur papier à entête du Royaume pour souligner l’importance historique de la Basoche et signaler à Bokassa qu’il serait de bon ton que le Roi et la Reine (i.e. la petite copine de Piganeau) soient invités.
Signée par Didier Ier et adressée à Bokassa himself, la lettre commence par « mon cher cousin ».

Parce que pourquoi pas.

Évidemment, personne n’imagine ne serait-ce qu’un instant que cette lettre puisse finir ailleurs que dans une corbeille à papier.
Sauf que non : un mois et demi plus tard, c’est ce même Grand Plumitif qui découvre avec stupéfaction qu’ils ont reçu une réponse de l’ambassade de Centrafrique à Paris et que, dans la lettre de l’ambassade, il y a une invitation au nom de M. et Mme Didier Ier.
Forcément, c’est le branle-bas de combat : on organise immédiatement une réunion du Conseil du Roi (autour d’un apéritif, comme il se doit) pour décider de la suite à donner aux évènements.
Après quelques verres, une décision est prise : il n’y a pas d’exams en décembre et donc, ils vont appeler l’ambassade pour se plaindre de ne pas avoir reçu de billets d’avion.

Parce que pourquoi pas.
Un truc bien, au Royaume de Basoche, c’est que le temps entre une décision du Conseil et sa mise en application est remarquablement court ; en l’occurrence, le temps nécessaire à Didier Ier pour tendre le bras et attraper le téléphone situé derrière le comptoir.
C’est donc un Roi de la Basoche plus imbibé d’alcool qu’auréolé des attributs de la majesté qui tombe sur un préposé de l’ambassade et commence à s’inquiéter officiellement de questions de protocole et de billets d’avion.
Et là, re-surprise : ça passe crème. Le gars au bout du téléphone explique que Sa Majesté n’a aucune raison de s’inquiéter, que tout est prévu et que deux billets d’avion les attendent, lui et sa Royale épouse, à Orly-Ouest, ce vendredi-même.

On est mardi soir.
Le lendemain matin, après avoir dessaoulé, Didier Ier se dégonfle un peu et rappelle l’ambassade pour leur expliquer que la Basoche n’est pas exactement un royaume au sens habituel du terme.

Réponse : « Écoutez Monsieur, nous savons très bien qui nous invitons. » #Ok
Pire encore : on lui annonce que leur vol est avancé et qu’ils décollent pour la Centrafrique dans moins de 24 heures. Problème : Dominique, la Reine de Basoche, n’est au courant de rien.

Didier Ier lui promet donc un week-end à la campagne. #TktBB
C’est comme ça que le couple royal accompagné du Barde officiel du Royaume se retrouve sur la route pour Paris après avoir tout juste trouvé le temps de récupérer une tenue de soirée que le Roi de Basoche portera avec une cape et une faluche.
Sauf que voilà, une fois arrivés à Orly-Ouest, pas la moindre trace d’un vol pour Bangui. Persuadés qu’ils se sont fait avoir (et un peu soulagés quand même que cette histoire prenne fin), ils se dirigent vers le parking pour rentrer à la maison.
Sauf que là, Didier Ier aperçoit un jeune africain enveloppé dans un manteau de fourrure et coiffé d’un chapeau melon. Pour rigoler un dernier coup, Didier rappelle son Barde et va se présenter : « Bonjour, je suis Didier Ier, Roi de Basoche. »
Réponse du gars : « Ah ! Enchanté : je suis le Prince d’Éthiopie. »

C’est *vraiment* le Prince d’Éthiopie. Didier vient de tomber sur Zera Selassie, le petit-fils d’Haïlé Selassié et actuel chef de la famille impériale d’Éthiopie.
Or, Zera Selassie est bien embêté : il doit, lui aussi, se rendre au sacre de Bokassa et ne sait pas à qui s’adresser.

Ce n’était donc pas une blague.

Voilà donc le Prince d’Éthiopie, le Roi et la Reine de Basoche et leur Barde qui partent à la recherche du vol pour Bangui.
Et ils finissent par le trouver sauf qu’aucun billet n’est prévu pour Didier Ier et son épouse. Ce dernier s’apprête à jeter l’éponge mais le Barde se rebiffe et fait un scandale : la possibilité d’un incident diplomatique est même clairement évoquée.
Derrière le guichet, on décide donc logiquement que l’affaire est du ressort de l’ambassade ; laquelle ne tarde pas à pointer le bout de son nez et — très sournoisement — demande à Didier Ier s’il a une carte de visite à présenter pour appuyer de ses royales prétentions.
Coup de bol : Didier en a une et même plusieurs ! Il se trouve que son père avait eu l’idée géniale de lui en faire fabriquer un stock pas plus tard que la veille.

Voilà donc Didier et Dominique devenus tout à fait officiellement Roi et Reine de Basoche et embarqués à bord.
Arrivé à Bangui, c’est une véritable noria de berlines de luxe qui viennent acceuillir les (vrais) invités. Didier Ier et Dominique, quant à eux, restent en plan à l’aéroport pendant une bonne heure avec trois dizaines d’autres invités.
Fort heureusement, c’est le Ministre de l’Intérieur de Centrafrique lui-même qui vient à leur rescousse : il débarque dans une R16 blanche accompagnée de 3 minibus.

Évidemment, Didier Ier a le réflexe de déposer ses valises dans un des minibus.
Sauf que ça n’est pas une façon de traiter le Monarque de Basoche : le Ministre, après avoir fait récupérer les valises et ouvrir la portière de sa voiture, s’adresse à Didier en ces termes : « Majesté, la voiture est pour vous » — et lui monte dans le minibus.
Et c’est parti pour 5 jours d’un faste délirant qui n’a d’égal que le kitch insurpassable des décors et le bazar total de l’organisation.
On avait promis à Didier une réception princière et il l’a eu : villa privée, voiture particulière avec chauffeur, sentinelles au garde-à-vous, personnel aux petits soins, téléphone en ligne directe avec le Ministère de l’Intérieur… La totale.
Didier et Dominique assisteront donc au couronnement de l’Empereur Bokassa et quand quelques invités un peu curieux viendront leur demander s’ils sont vraiment Roi et Reine de Basoche, ils se contenteront de confirmer. C’est passé crème.
De retour en France, Didier et Dominique se sont mariés. Il faut dire qu’avec un mari de ce genre, elle avait assez peu de chance de s’ennuyer (et on ne sait jamais… si un autre dictateur se fait couronner empereur…). #Fin
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