Aujourd'hui, j'ai fondu en larmes en sortant de garde.
C'est l'occasion de vous raconter ce qu'a été la crise du covid dans mon service ⬇️.
J'étais en vacances au ski la semaine où tout a commencé à accélérer, je suis revenue 2 jours puis j'ai été diagnostiquée COVID+. J'ai eu 2 semaines d'arrêt maladie, au cours duquel mon service a fermé. Mes co-internes ont du se précipiter pour vider le service en une journée.
Pour reprendre : quand je suis partie, l'hôpital fonctionnait normalement, et quand je suis revenue 3 semaines plus tard, l'hôpital était en train de se prendre la vague.
Pendant ce temps, nous on s'était organisés pour exposer le moins de monde possible.
On tournait 1 semaine sur 2, à 2 internes (pour 4 internes au total). On faisait donc une garde 1 jour sur 2, et l'autre semaine on se retrouvait confinés chez nous.
Dès la première semaine où je suis revenue, on ne prenait même plus en charge nos propres urgences.
On devait transférer tous les patients que l'on voyait aux urgences. Tous exceptés les urgences vitales immédiates et les patients sans converture sociale. Je n'ai pas mis les pieds dans un bloc opératoire pendant un mois. J'y reviendrai un peu après.
Du coup étant au chômage technique, il a été décidé que l'on aille en réanimation pour appeler les familles des patients de réa. Je l'ai extrêmement mal vécu, n'étant jamais passée en réanimation pendant l'externat, j'étais totalement perdue au staff.
C'est à dire que des fois je ne comprenais même pas si le patient se dégradait ou s'ameliorait. J'ai appris au téléphone par une famille qu'un patient était intubé mais réveillé conscient et communiquant (je ne savais même pas que c'était possible...).
Je ne me suis jamais, mais alors vraiment jamais, sentie aussi nulle et incompétante. Gérer les questions et la détresse des familles sans rien y connaître, c'était un vrai calvaire pour moi. J'avais des montées d'angoisse au moment de les appeler.
J'ai essayé d'en parler. De dire que je ne m'en sentais pas capable, que j'aurais préféré aller faire ASH ou AS ou IDE dans un autre service. J'avais même fait la formation paramed de picpus. Mais non on a continué à aller en réa pour téléphoner.
Puis est arrivé la première garde où j'ai commencé à voir les dommages collatéraux du covid. Je suis retournée au bloc pour une colite ischémique qui avait mal depuis des jours durant chez elle mais "qui ne voulait pas déranger".
Alors on a peu à peu repris l'activité d'urgences.
Pendant ce temps on continuait à aller en réa, et parallement on devait faire nos urgences qui arrivaient en torche (= stade beaucoup plus avancé / grave).
Quand la crise du covid a commencer à s'atténuer, on a fini par arrêter d'aller en réa. C'était un vrai soulagement.
Mais depuis, mon service n'a pas rouvert. Il y a 2 semaines, on nous a octroyé 6 petits lits dans le service de gynéco (sur les 14 habituels).
Et depuis, l'arrivée de patients lourds ne s'est pas arrêtée. On a eu une épidémie d'angiocholites, pancréatites, cancers en occlusions, tumeurs du pancréas... Tous ont des symptômes qui ont débuté il y a 1 à 2 mois. Et biensur les "petites" pathologies ont recommencé à venir.
Alors on en fait quoi de tout ce petit monde ? Non parce que je vous le dis en 1000 : les 6 places qu'on nous a gracieusement données ne suffisent pas. Surtout qu'autant vous dire qu'un cancer en occlusion reste plus longtemps qu'une appendicite à l'hôpital.
Tous ces patients on n'a pas d'autre choix que de les héberger. Donc depuis 1 mois et demi, on doit quémander des places dans d'autres services pour hospitaliser nos patients (service n'ayant pas du tout l'habitude des pathologies digestives donc moins sécurisant).
Donc quotidiennement, depuis 1 mois et demi maintenant, le travail de l'interne c'est d'appeler les autres internes, les infirmières, etc, pour savoir où il y a de la place.
Donc tous les jours on nous appelle pour dire "c'est quand que vous reprenez vos patients? Parce que j'ai besoin du lit pour un autre", ou encore "vous vous débrouillez mais vous le sortez de chez nous".
Et c'est toujours l'interne qu'on appelle car notre cadre est à la retraite.
Alors je ne m'en rendais pas compte, mais ce matin, quand l'interne d'ortho m'a appelée pour savoir si je comptais faire sortir des patients, j'ai eu les larmes aux yeux. Je me suis sentie submergée. On tourne a une quinzaine de patients éparpillés dans 4 unités différentes.
Qui ont des pathologies lourdes, beaucoup de stomies en urgence, et on doit faire des bilans et demander une multitude d'examens etc. Et ça dure depuis 1 mois et demi. C'est ingérable. Et c'est dangereux. Pour les patients, pour nous, pour les IDE... pour tout le monde.
Alors quand je suis sortie de garde, que j'ai relâché la pression, j'ai fondu en larmes.
Je me dit depuis plusieurs semaines qu'on prend mal nos patients en charge, et je culpabilise du fait qu'on les rejette de partout dans l'hôpital.
Et même si je sais que ce n'est pas de ma faute si mon service est toujours fermé, même si je fais le maximum pour les patients...
Je n'ai pas fait médecine pour considérer le patient comme une marchandise dont on veut se débarrasser. Ce système est un rouleau compresseur qui nous broie dès le début. On me l'avait dit. Mais je ne pensais pas que c'était aussi insidieux et sournois.
You can follow @Clemence_Mrl.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

Latest Threads Unrolled: