Je viens d'apprendre que le "solitary confinement" dans les prisons US vient d'une croyance des Quakers comme quoi laisser les individus seuls avec une Bible leur permettrait de se repentir. On leur a bien donné tort là non ?
Ca a commencé en 1829, dans une prison de Philadelphie (fondée par les Quakers, Philadelphia signifie "amour fraternel".Ils étaient pacifistes, pour la tolérance religieuse et l'abolition de l'esclavage). Anyway, le confinement solitaire a vite été abandonné au vu des résultats
A savoir, démence, suicides, incapacité à réintégrer la société. En 1934, la prison d'Alcatraz ouvre ses portes. Elle comporte une aile appelée "D Block", où les détenu.e.s ne peuvent presque jamais sortir de leurs cellules, ou avoir un quelconque contact entre eux.
Une cellule de ce block est appelée "The Hole", en raison du trou qui se trouve sur le sol. A l'exception de ce dernier, la cellule est uniquement faite de béton : pas de fenêtre, pas de barreaux. Les détenu.e.s y sont nu.e.s, et nourris de pain et d'eau.
Alcatraz ferme ses portes en 1963, l'année où le centre pénitentiaire de Marion, Illinois, ouvre les siennes. Dans les années 70, on assiste à une incarcération de masse, suite à une criminalisation des comportements et à un abandon progressif de la liberté conditionnelle.
Ce processus va de paire avec une désinstitutionnalisation des personnes atteintes de troubles mentaux - on laissait les personnes malades sortir des hôpitaux psychiatriques, seulement aucun soutien ou traitement n'était prévu.
On assiste alors à un abandon total de la notion de réinsertion. Vous vous souvenez de la prison de Marion ? En 1983, la mort de 2 gardes dans deux incidents distincts pousse le directeur à prononcer un lockdown : un confinement d'urgence.
Les détenu.e.s sont enfermé.e.s dans leurs cellules 23h/24 : un concept est né. Quelques années plus tard, la prison de Pelican Bay le confirme, en devenant la première "supermax prison" : elle est entièrement dédiée au confinement solitaire de ses détenu.e.s.
Elle est située au fin fond des bois, ne dispose pas d'une cour, d'une cafétéria, de salles de classe ou de boutiques. En 1995, dans Madrid v Gomez, un juge fédéral énonce que les conditions de détention à Pelican Bay sont à la limite de l'humainement tolérable.
Cependant, il ne trouve aucune base constitutionnelle pour fermer ou faire modifier les règles de la prison. De cette même année à 2005, soit 10 ans, le nombre de personnes détenues en confinement solitaire augmente de 40%.
En 1999, selon un rapport du département de la Justice, plus de 30 prisons ont des infrastructures de type "supermax" à travers le pays, et les taux d'enfermement peuvent dépasser les 20% de tous les détenu.e.s.
En 2005, Daniel P. Mears, prof à l'université de Floride, produit une étude selon laquelle 40 des 50 Etats comptent des prisons équipées avec des infrastructures "supermax". Pour la même année, on compte plus de 80 000 personnes placées en confinement solitaire.
Et ces chiffres ne comptaient ni les lieux de détention des mineur.e.s, des prisons locales (au sein même des Etats) ou des centres de détention des migrant.e.s. Evidemment, les minorités (raciales, ethniques, ou les mineur.e.s détenu.e.s dans des prisons pour adultes)
sont plus susceptibles d'être enfermé.e.s, les placements en CS sont arbitraires, aucunement contrôlés, et font très souvent suite à un comportement non-violent. (dans environ 85% des 13000 placements en CS dans l'Etat de NY chaque année).
Le California Code of Regulations, qui énonce les raisons pour lesquelles un.e détenu.e peut finir en CS, en compte 27, dont certaines sont très vagues :
-tatouer les autres détenu.e.s/posséder du matériel de tatouage
-posséder 5$ ou plus, sans autorisation
-auto-mutilation ou tentative de suicide "dans le but de manipuler autrui"
-arrêt de travail ou participation à une grève,
-l'incitation, la participation ou la tentative à de nombreuses autres infractions que je ne listerai pas ici, l'important étant de retenir que tout acte
peut, sous question d'interprétation, entraîner un placement en CS. je vous en place un dernier :
-"une perturbation sérieuse des opérations de l'établissement"
On ne peut pas faire plus flou, et n'importe quel juriste vous dira que plus un texte est flou,
plus il est liberticide. Aussi, n'importe quel.le détenu.e considéré.e comme un.e possible membre de gang (les délations anonymes sont prises en compte 🙃) sont placé.e.s en CS pendant une durée de 6 ans.
Ainsi, on estime que la moitié des personnes placées en CS en Californie ne sont à l'origine d'aucune infraction.
Accrochez-vous, c'est pas fini. Une étude de 2012 Treatment Advocacy Center estime que 350k personnes atteintes de troubles mentaux sévères sont en prison, contre 35k seulement dans des hôpitaux psychiatriques.
Ainsi, beaucoup d'entre eux/elles entrent en prison à cause d'infractions mineures, et se voient prolonger leur sentence à cause de leur comportement, dû à des troubles mentaux non traités. Si on ajoute à cela le fait que les hommes sont surreprésentés et dans les prisons,
et dans les cas de troubles mentaux non diagnostiqués, on comprend les chiffres de Human Rights Watch. Selon ces derniers, 1/3 à 1/2 des détenu.e.s placé.e.s en isolation souffriraient d'un trouble mental.
Vous avez entendu parler d'ICE ? C'est le service qui arrête des gens à la frontière parce que leur seul crime a été de vouloir la traverser. En plus d'enfermer les gens dans des cages et de séparer les enfants de leurs parents, ils n'échappent évidemment pas aux règles
de placement abusif en confinement solitaire. Selon un rapport de 2012 (promis, les sources seront à la fin du thread), voici les raisons pour lesquelles les personnes détenues par ICE peuvent finir en confinement solitaire :
-regarder la télé en espagnol on television,
-essayer de traduire l'anglais pour un.e autre détenu.e
-se plaindre à propos de la qualité de l'eau (!!)
-avoir une couverture en trop
-jouer aux cartes au lieu d'assister à la messe
Je finirai simplement ce thread en disant que la Cour Suprême des US avait déjà condamné l'isolation des détenu.e.s dans une décision de 1890. Et que Alexandre de Tocqueville & Gustave de Beaumont la décrivait comme "fatale à la santé des détenu.e.s", en 1833.
Enfin, elle est décrite comme une "altération lente et quotidienne des mystères du cerveau, incomparablement pire que n'importe quelle forme de torture physique", par Charles Dickens, en 1842. Il complète : "aucun homme ne devrait pouvoir infliger ça à l'un des siens".
Je précise que l'article de Longreads, dont je me suis le plus servie, date de 2016, l'année de l'élection de Trump. Malheureusement, je pense que son administration désastreuse a fait grimper les chiffres en flèche, surtout ceux d'ICE.
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