C'est parti : Voici donc venir un long thread qui, de manière un peu provocatrice, vise à expliquer les freins méthodologiques qui me font botter en touche lorsqu’on me demande régulièrement : « Alors, ce clergé ? Il était sage ou pas ? »
Cette réflexion avait fait l’objet d’un chapitre liminaire de ma thèse, mais n’avait pas été publiée. Thread et twitter oblige, je simplifie, j’élague et ne suis donc pas exhaustive.
1/28 Commençons déjà par le commencement et l’analyse de ce dont on parle. Le clergé du XVIIIe siècle n’est pas chose facile à délimiter et présente des frontières évanescentes. Entrer dans le clergé se fait donc par palier (tonsure, ordres mineurs puis majeurs).
2/28 A partir de quand se détermine-t-on comme ecclésiastique ? Les policiers qui arrêtent des individus qu’ils qualifient comme tels enregistrent parfois un jeune homme de…15 ans.
3/28 Les ordres majeurs, pourtant, censément irréversibles et irrévocables marqueraient la véritable entrée dans le clergé, du moins séculier, à 25 ans. Or ce seuil n’est pas perçu comme tel dans les archives policières.
4/28 La chasteté cléricale ne coule pas non plus de source. Tt d’abord parce qu’elle s’est imposée tardivemt, et encore sous la forme de l’interdiction au mariage (Latran II 1139) ; ensuite parce que cette interdic° est régulièremt remise en cause tt au lg des siècles postérieurs
5/28 De surcroît, à partir de quand estimer que cette continence sexuelle est obligatoire ? De l’entrée au Grand séminaire (soumise à l’obtention d’une attestation de bonnes mœurs délivrée par le curé de paroisse de naissance) ?
6/28 De l’ordination ? De la prononciation des vœux solennels ? De l’« entrée en religion » pour le clergé dit régulier (lors même que ces vœux peuvent théoriquement être annulés au bout de cinq ans ?)
7/28 Quelle(s) définition(s) donner de la sexualité/des sexualités puisque l’usage de ce terme est anachronique : il n’apparaît qu’au siècle suivant et dans un contexte médical ? (cf. S. Steinberg (dir.), Histoire des sexualités, 2018)
8/28 Faut-il par défaut appliquer artificiellement nos représentations de la sexualité sur le XVIIIe siècle ?
9/28 Quelles nuances faire entre chasteté ? continence ? virginité ? (cf A. Cabantous, F. Walter, Les tentations de la chair. Virginité et chasteté, 2020)
10/28 Si la précision lexicale est de mise dans les travaux universitaires, le chercheur se heurte à une bien plus grande latitude de choix de mots pour désigner les ecclésiastiques : le terme « abbé » est utilisé à toutes les sauces, l’archive mélange fonctions et qualités.
11/28 Venons-en à présent aux sources.
12/28 Les sources sont imparfaites. Tout d’abord parce qu’elles sont presque inexistantes. L’historien n’accède bien souvent qu’aux sources judiciaires. Or la justice est le dernier maillon d’une chaîne de tentatives d’accommodements qui ont échoué.
13/28 Ces tentatives de temporisations (à l’amiable, en infrajudiciaire, voir bientôt les travaux HDR d’ @Annedeparis9 ) ne sont que peu accessibles. La justice est un aveu d’échec.
14/28 Cf Véronique Demars-Sion sur les Femmes séduites et abandonnées au XVIIIe siècle, 1991 : l’autrice donne deux exemples de prêtres faisant pression sur leur maîtresse pour qu’elles taisent leur liaison, inventent un père fantoche et pour l’un, formule des menaces de mort.
15/28 Il existe une forte « distorsion entre la criminalité réelle et la criminalité enregistrée » (B. Garnot, Crime et justice aux XVIIe et XVIIIe siècle, 2000), une « part du vide » (A. Farge, 1981)
16/28 Sur une accusation telle que celle-là comme bien d’autre, l’ecclésiastique a tout intérêt à dissimuler sa turpitude, sa victime également, et la communauté paroissiale aussi : la permissivité à l’égard des dérèglements du curé est réelle.
17/28 Outre ces obstacles, n’oublions qu’on sait aussi mentir sous l’Ancien Régime. Tte accusa° ne signifie pas culpabilité. E. Wenzel (Le Curé des Lumières, 2006) narre la calomnie dt est victime un curé par le véritable fautif de la grossesse d’une servante : le curé voisin.
18/28 Evidemment cette part du vide archivistique tient également aux conditions de conservation : manques, destructions, qualités matérielles de la source.
19/28 Dans mon cas, une partie de mon corpus se fonde sur environ 900 dossiers de flagrants délits d’ecclésiastiques avec des filles publiques à Paris. Les archives étaient conservées à la Bastille en double exemplaire : celui de l’inspecteur et du commissaire.
20/28 La prise de la Bastille entraîne l’éparpillement et le vol des pièces. Si une partie est récupérée (Ms. B.Arsenal), une autre publiée (D.Darimajou, La Chasteté dévoilée…, 1790), une autre est perdue, comme le montre la comparaison entre l’exemplaire inspecteur/commissaire.
22/28 Le dépouillement des archives du parlement de Paris et notamment des poursuites en appel, illustre cette évaporation : des affaires judiciaires traitées en dernière instance n’apparaissent pas en première instance dans les dossiers conservés.
23/28 Cette impossible histoire de la déviance sexuelle du clergé tient encore, comme nombre de recherches à l’éclatement archivistique de son objet d’études. Il faudrait dépouiller les dossiers des archives départementales (conservés et cotés !)
24/28 Même à l’échelle de Paris, les sources sont éparpillées entre Archives nationales (Parlement de Paris, Archives du Châtelet), BiblI historique de la ville de Paris, Bibli de l’Arsenal (embastillés et archives policières y compris dossiers des sodomites), etc.
25/28 Enfin, le travail oblige à se méfier des effets de source. Concernant Paris, la capitale s’étant dotée d’une institution policière efficace et bureaucratique, les flagrants délits y sont davantage possibles qu’ailleurs (voir V. Milliot).
26/28 Un contexte particulier, tel que les extrêmes tensions politico-religieuses au mitan du siècle entre jansénistes et jésuites, monarchie et parlement, monarchie et Église, comme l’intransigeance de l’archevêque peuvent braquer le projecteur sur le clergé…
27/28 …traqué puis enregistré par les instances policières à chaque fréquentation de prostituée, sur une période de deux décennies, donnant l’impression d’une intense pratique du sexe tarifée spécifique à la période (effet de loupe).
28/28 Voilà, en un mot comme en cent, pourquoi il est impossible d’aboutir à un chiffrage de la déviance sexuelle du clergé au XVIIIe siècle et pourquoi je continuerai à botter en touche à la question de la quantification d’une déviance sexuelle du clergé.
Fini ! Maintenant, tout autre sujet : le Magicien d'Oz avec les lutins ! J'irai voir vos réactions après !
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