Et si on parlait un peu du prix des consoles? Je vais essayer de partager quelques réflexions.
Disclaimer : je n’ai jamais été impliqué dans des discussions sur le prix des consoles à sortir, ni chez Microsoft, ni chez Sony, ni sur les stratégies de lancement.
Ces quelques pensées reflètent simplement des réflexions personnelles, des hypothèses, basées sur mon expérience dans le jeu vidéo, depuis 15 ans.
Je n’ai pas travaillé sur la prochaine génération de consoles lorsque j’étais encore chez Microsoft. Mon niveau d’information est donc le vôtre, voire moins, si vous bénéficiez « de sources dans l’industrie ».
Je vais essayer de rassembler quelques éléments pour répondre aux questions que vous me posez parfois. Encore une fois, c’est très personnel, fondé sur 15 ans dans le jeu vidéo, et cela n’a pas valeur d’évangile. Prenez-le ainsi.
J'écris au fil de l'eau, désolé s'il y a des fautes de frappe.
Le prix d’une console est quelque chose qui est à la fois simple et très complexe à fixer. Simple parce qu’en tant qu’industriel vous connaissez à peu près ce que vous coûte la console.
Complexe parce qu’il ne s’agît pas seulement de quantifier les coûts et d’ajouter une marge pour avoir le prix le plus pertinent pour le marché.
D’ailleurs, la partie « simple », à savoir les coûts, est probablement devenue plus complexe avec la pandémie que nous vivons depuis plusieurs mois et qui impactera l’économie pour quelques mois encore...
... et potentiellement jusqu’au lancement des consoles (on voit certaines grandes entreprises décider de maintenir le télétravail de leurs salariés jusqu’en janvier 2021).
On peut ainsi imaginer que le coût des composants et de tout ce qui se trouve dans la console, voire le coût du travail pour la produire, ont évolué depuis l’automne dernier.
Si un constructeur avait en tête des coûts projetés de 100€ (on va prendre des chiffres factices, puisque nous n’avons aucune donnée – sauf pour la PS5, puisqu’elle est sortie en 2018, selon certaines sources), ce n’est plus forcément le cas aujourd’hui.
Ce qui coûtait 100€ en décembre, coûte potentiellement 102 ou 105€ aujourd’hui. Voire plus, ou moins, mais il est probable que cela a évolué dans un contexte pandémique où beaucoup de cartes sont rebattues.
De la même façon, il est probable que le coût des transports sera impacté, probablement à la hausse, et ce quelle que soit la solution adoptée (bateau, train, avion).
On le constate, le 100€ estimé en décembre sera peut-être finalement 110€ dans les mois à venir, lorsque les chaînes de production des consoles vont commencer de produire des unités.
On peut d’ailleurs imaginer, et j’ai l’impression que les rises de parole le laissent présager que si les consoles seront bien disponibles au moment prévu (entre le 1er et le 30 novembre 2020, selon moi), elles ne seront pas nécessairement disponibles dans les quantités prévues,
ou suffisantes pour le marché (chaînes de fabrication plus rares, mises en route plus tardivement, logistique depuis l’Asie plus complexe, etc.).
Ce qui est rare a tendance à être plus cher, mais je ne pense pas que cela influera sur le coût. La rupture est la logique d’un lancement, et vice versa.
Le prix d’une console au lancement, c’est un peu comme les tables de la loi, on ne le change pas tous les 15 jours après avoir lancé le produit.
Vous le voyez, même la partie simple est devenue un peu plus compliquée ces derniers mois.
Reste la partie la plus complexe : une fois les coûts pris en compte, quel est le bon prix pour le marché ? Et là encore, ça devient vraiment très complexe. Beaucoup de facteurs entrent en jeu dans la décision :
Votre place sur le marché et vos ambitions. La place de leader que vous avez à défendre ou à conquérir. La dépendance de votre entreprise au jeu vidéo (est-ce un enjeu crucial comme pour Sony, ou simplement un enjeu important dans un ensemble plus global, comme pour Microsoft)?
Vos habitudes en termes de marge, les attentes des investisseurs et de la Bourse, où votre entreprise est cotée, les attentes des consommateurs, les habitudes des consommateurs. Et bien d’autres encore.
On m’a déjà posé la question de savoir si les pays étaient consultés : oui, en général un pays comme la France est consulté, mais ce n’est qu’une voix parmi d’autres, et pas la plus importante. En effet, la situation est différente selon chaque pays.
Pour vous donner un exemple : le responsable de Playstation au Japon domine largement face à Xbox, il n’a donc pas besoin d’un prix très agressif pour maintenir son hégémonie.
En revanche le responsable de Xbox en Espagne, où la part de marché de Xbox est significativement inférieure à Playstation, a intérêt à avoir un prix agressif pour sa console… mais son collègue polonais, qui domine le marché, n’a pas la même nécessité.
Les pays sont donc la plupart du tems consultés, mais de mon point de vue, et c’est très personnel, ils ont peu d’influence sur le prix final dans un monde globalisé.
En effet, le prix d’une console est devenu global. Ce n’était pas forcément le cas il y a 20 ans, mais aujourd’hui, via Amazon par exemple, vous pouvez en théorie acheter votre console en Angleterre, en Espagne ou en Allemagne si elle est moins chère.
Les corporations communiquent donc désormais sur un prix global, qui peut varier à la marge pour des questions de change.
Du reste, et il faut avoir cela en tête, ce n’est pas le constructeur qui fixe le prix de la console. Les prix sont libres. Le constructeur donne donc une indication de prix, par exemple 100€ et les distributeurs sont ensuite libres de fixer leurs prix.
C’est pour cela que le consommateur peut se retrouver face à des consoles à 95€ par exemple chez un distributeur qui a choisi d’être agressif pour gagner des parts de marché.
A ce stade, nous avons donc des constructeurs qui connaissent à peu près le coût des consoles à fabriquer, avec une probable différence à la hausse liée à la pandémie ; et des constructeurs qui savent qu’ils vont devoir fixer un prix unique, et pertinent pour le marché.
Qu’est ce que la pertinence d’un prix sur le marché ? Cela dépend principalement de votre stratégie, de votre approche du business (voir mon thread sur la profitable share), de la concurrence et du prix attendu par les consommateurs, notamment.
Le prix attendu par les consommateurs est quelque chose d’assez simple à fixer si vous connaissez le marché, et les constructeurs le connaissent bien.
Si les consoles se vendent entre 100 et 200€ depuis 20 ans sur le marché (je rappelle que je prends des prix fictifs), ils ne vont pas proposer une console à 400€.
On pourrait donc imaginer que les consoles à venir seront dans les fourchettes de prix des derniers lancements, entre 400 et 600€ si on se fonde sur le passé. Ca, vous vous en doutiez.
D’ailleurs, démarrer très tôt la communication sur les aspects techniques permet aussi de préparer le consommateur à un certain niveau de prix : en faisant étalage des capacités des futures consoles, les constructeurs légitiment en amont les prix à venir.
L’historique du marché donne donc une première fourchette. A cela les constructeurs ajoutent les variables stratégiques :
Est-ce que je veux être agressif et que je suis en phase de conquête, et jusqu’où suis-je prêt à aller pour cela (où jusqu’où les investisseurs/la Bourse me suivront-ils), ou est-ce que je préfère préserver une marge élevée quitte à vendre moins de consoles…
... ou bien encore suis-je prêt à tout pour défendre ma position de leader ?
C’est sur ces points précis que se jouent la grande bataille, le grand jeu de poker menteur. Aucun des acteurs en présence ne veut être dépositionné par rapport à l’autre en termes de prix.
Il y a donc une forme d’attentisme (et probablement de peur) pour ce qui est de dévoiler son prix. Le premier qui abattra ses cartes s’exposera à une riposte de l’autre.
Si l’un décide de mettre la console à 500€, il prend le risque que l’autre riposte immédiatement avec un 400 ou un 450€. C’est le moment qui demande beaucoup d’assurance ou de prise de risque.
En effet, un prix de lancement de console ne s’annonce qu’une fois. Il faut donc intégrer toutes les données précédentes, avoir confiance dans son produit, savoir s’il est « meilleur » ou « moins bon » que celui de son concurrent, et savoir résister aux pressions.
Sur le marché, tout le monde veut un prix bas. Les consommateurs, les éditeurs qui veulent des parcs installés les plus vastes possibles pour écouler le maximum d’unités (même si on sait bien que ce ne sera pas en année 1), et les distributeurs, qui veulent en écouler un maximum.
Les constructeurs doivent évaluer toutes ces variables, se poser la question du prix nécessaire pour faire basculer un acheteur régulier des consoles du concurrent vers sa propre console...
ne pas être plus cher que l’autre (sauf à avoir une vraie bonne raison), ne pas être trop peu cher pour maintenir une rentabilité, etc.
Nous sommes encore dans la phase d’observation. Il est probable qu’à l’heure où nous parlons les constructeurs ont encore plusieurs scenarii en mains, et qu’ils pourront encore modifier si ce n’est leur prix de lancement, au moins leur politique commerciale de lancement.
En effet, le prix annoncé est une chose, mais il faut bien le mettre en regard des autres dimensions, notamment les capacités de la machine ou l’écosystème.
Chacun ses armes, on imagine que Sony va sortir des AAA exclusifs, alors que Xbox dispose d’un écosystème permettant d’imaginer des choses intéressantes.
Des exemples? Des offres consoles + AAA chez Sony, bien sûr, et chez Xbox on pourrait imaginer des offres console + GamePass, sachant que l’offre Xbox est plus large en termes d’usage si on intègre la dimension Xcloud.
Je trouve également intéressant le fait que Xbox annonce que les gamers pourront continuer de jouer avec leurs manettes actuelles.
Je me mets à la place d’un Gamer ayant acheté une manette Elite2 récemment, j’aimerais qu’on me propose une offre de console sans manette, puisque j’ai déjà ce qui se fait de mieux.
Ce serait la première fois à ma connaissance qu’une console est vendue sans manette, mais cela peut être une offre intéressant pour des consommateurs déjà bien ancrés dans l’écosystème, et qui ont du Xbox Live et du GamePass pour encore 2-3 ans, comme moi !
Cette console pourrait être vendue moins chère (le bémol, c’est que cela complique le message).
Côté Playstation, la formidable base installée actuelle est un socle très intéressant pour faire des offres ciblées. On le voit, on pourrait se retrouver dans une situation où il y a un prix communiqué, et des offres en « sur impression ».
Après, il faut savoir rester lisible et c’est l’un des éléments importants d’un lancement : une offre claire, compétitive, et des dépenses marketing à hauteur des ambitions.
Vous le savez, je n’aime pas l’expression Guerre des consoles, inventée par des journalistes qui cherchent à vendre des histoires ou qui s’imaginent reporters de guerre, en zone de combat (no comment)…
... d’ailleurs les journalistes sérieux ne l’utilisent plus.
C’est plutôt une immense partie d’échecs, passionnante et encore pleine d’incertitudes au moment où nous parlons.
Voilà... Si vous avez des questions, on peut essayer d'y répondre sur le weekend :)
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