Avec deux jours de retard, je profite de l'anniversaire de la mort de Lawrence d'Arabie, le 19 mai 1935, pour vous faire part, outre ma fascination pour le personnage, de quelques petites réflexions personnelles sur l'intérêt très contemporain de son oeuvre. Thread.
le colonel T. E. Lawrence est véritablement de ceux que l'on peut qualifier de « Grands Capitaines ». Son action participa directement à l’effondrement de l’Empire Ottoman ainsi qu’à l’imposition des mandats britanniques en Palestine et en Syrie.
Sa compréhension de la nature de la guerre et des ressorts de la stratégie amènera Liddell Hart à écrire qu’il «(…) en savait plus long sur la guerre que n’importe lequel des généraux de la dernière guerre». Cet instinct stratégique s’appuyait sur des lectures considérables.
A l’heure où le front occidental s’enlise, Lawrence saura mobiliser ce savoir de manière pertinente, à la marge des conceptions militaires dominantes de son époque. Dès 1916, déjà coutumier du Moyen Orient, son parcours peut s’apparenter à celui d’un officier de renseignement.
Arabisant et au fait des mœurs locales, sa passion pour l’archéologie lui sert de couverture pour des relevés topographiques. Il finira par recevoir l'ordre d'accompagner Fayçal, fils du chérif de la Mecque, dans sa révolte contre l'Empire Ottoman.
Au cours d’une première phase, qui culmine avec la prise de Wejh, le 25 janvier 1917, l’appui naval britannique permet aux bédouins de s’emparer de l’essentiel de la côte de la mer Rouge. Lawrence s'y attache à appréhender les spécificités des habitudes combattantes du Hedjaz.
Alors que certains voudraient voir une inadaptation des théories de Clausewitz à l’asymétrie, c’est lui que Lawrence place au sommet de sa bibliothèque intellectuelle : "son ouvrage était si logique et si passionnant, que j’en avais inconsciemment accepté son caractère définitif"
Poke @DasCarlVonC. Cela lui permet de saisir un aspect fondamental : la différence de nature entre la stratégie et la tactique . Ainsi, Lawrence admet que l’excellence tactique peut être le corollaire de la nullité stratégique, et inversement.
Alors qu'il pense devoir rechercher la destruction des forces armées ennemies par la bataille, il admet qu'il n’a pas d’armée organisée pour conduire cette bataille. Néanmoins, Lawrence a bien l’intuition que les bédouins sont déjà en train de gagner la guerre.
Si ces derniers tiennent le Hedjaz, à quoi bon s’attaquer aux turcs ? Puisqu’il n’en a pas les moyens, c’est que la guerre qu’il conduit doit avoir d’autres fins. Reprenant Clausewitz, il comprend que la bataille, la destruction de l’ennemi, n’est en fait qu’une forme...
particulière de guerre, non pas une fin en soi. Le problème se pose en ces termes : Pourquoi les arabes combattent-ils les turcs ? Pour bouter les turcs hors des territoires arabophones d’Orient. Rien qui n’implique, en réalité, de les affronter directement.
C’est ici que son intelligence et son hétérodoxie vont le plus s’exprimer, lorsqu'il s'emploi à déterminer comment tirer le meilleur des qualités et des caractéristiques des bédouins. Il va immédiatement profiter d’un atout inestimable ; leur impressionnante mobilité.
De plus, Lawrence, saisissant l’importance du facteur psychologique, s'emploi à « mettre les esprits en ordre de bataille » . Ceux de ses hommes, ceux de la population soutenant les rebelles, mais aussi ceux des ottomans.
Pour lui « Une province serait gagnée dès que nous aurions appris à ses civils à mourir pour notre idéal de liberté » et « la présence ou l’absence de l’ennemi n’avait d’importance que sur un plan secondaire » .
De plus, interface entre les bédouins et l’armée britannique, Lawrence permet la fourniture à ces derniers de capacités opérationnelles dont ils ne disposent pas, avec, pour exemple, la fourniture d’automitrailleuses blindées, ou les multiples interventions de la Royal Navy.
C’est sans doute, d’ailleurs, son apport le plus important à la stratégie globale. On retrouve chez lui, de manière parfaitement cohérente, l'économie des forces, la concentration des moyens et la sûreté-surprise. Pour obtenir le meilleur rendement de ses maigres forces...
Lawrence établi qu’il vaut mieux viser une voie ferrée ou un dépôt de matériel, qu’il décrit comme « plus profitable que la mort d’un turc » . Se rappelant que Foch évoque « la supériorité dans la phase critique et au moment de l’assaut », il établit que vu la faiblesse du...
nombre et des moyens, il faudra tout concentrer à un moment précis, et se dérober partout ailleurs. Enfin, pour survivre, il faut se servir du désert pour disparaître jusqu’au moment des attaques, développer l’habitude de « ne jamais engager l’ennemi » .
Or, pour s’échapper sans cesse et frapper au bon endroit au bon moment, Il faut à Lawrence un « renseignement irréprochable ». Cela le conduit à « apporter plus d’efforts à la recherche du renseignement qu’aucun service régulier n’en consacra jamais » .
Il identifie également qu’il faut à une rébellion une base imprenable. Sur ce point, les bédouins ont selon lui, un triple avantage : La conquête des ports de la Mer Rouge leur confère ce type de base, le désert également, et les ottomans ne peuvent que difficilement...
influer les esprits des combattants. Il lui faut un ennemi étranger, aux moyens sophistiqués, mais trop peu nombreux pour contrôler un territoire trop vaste à partir de points fortifiés. Les ottomans répondent à cette définition.
Enfin, une population amie dont seul deux pour cent prenant une part active suffisent, le reste pouvant se cantonner à la sympathie passive ou au silence, pour ne pas trahir les mouvements des rebelles. Tous les ingrédients sont réunis.
Sans entrer dans le menu détail des opérations, les capacités attendues sont celles du secret, de la maîtrise de soi, la vitesse, la capacité à ne pas dépendre de voies de ravitaillement. La foi de Fayçal et la puissance de l’idéologie nationaliste arabe feront le reste.
Pour Lawrence « la victoire finale paraissait certaine » . De fait, il écrit que sur ce front, « bien des turcs n’eurent pas une fois de toute la guerre l’occasion de tirer sur nous, puisque nous ne fûmes jamais sur la défensive, sinon accidentellement et par erreur ».
C'est ainsi, Il y a de ça un siècle, un officier britannique peu orthodoxe parvenait, au cours d’un conflit mondial à l’ampleur inconnue, à durement frapper un adversaire puissant et régulier. Une leçon, au vu du monde qui semble nous attendre, qu’il serait malvenu d’oublier.
Toute ressemblance entre la description de la situation stratégique des ottomans dans "les sept piliers de la sagesse" et celle de l'armée française au Sahel dans les écrits d' @AbouDjaffar, n'est évidemment que fortuite.
Sinon, dans un DSI hors-série sur les forces spéciales, @JosephHenrotin avait déjà livré un article plus qu'utile, et à méditer longuement, sur l'héritage intellectuel du personnage, notamment au regard des expériences de combat couplé.

Voilà. Bonne soirée !
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