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Aujourd'hui on va parler du lancement qui a fait de la France la 3ème puissance spatiale de l'histoire, mais aussi de comment une clef de 8 s'est retrouvée à être le réel premier satellite français...
D'abord, un peu de contexte. Nous sommes en 1961, et cette année là, le président Charles De Gaulle prend la décision de développer un lanceur orbital français.
A cette époque, le CNES disposait de plusieurs fusées, Véronique, à ergols liquides, et plusieurs fusées à poudre.
Oui mais voilà, Véronique, la plus grande fusée de l'époque, reste bien petite par rapport à ce qu'il faudrait pour un lanceur orbital. Il va donc être nécessaire de développer de nouvelles technologies, à bien plus grande échelle que celles utilisées sur les fusées de l'époque.
Le CNES va donc lancer le programme dit des Pierres Précieuses, qui va tester plusieurs technologies séparément sur de petites fusées avant de tout regrouper dans le lanceur ultime, dénommé Diamant.
Et là une mini-guerre se déclenche entre deux camps au CNES.
On l'a dit, le CNES a des fusées à poudre, et des fusées liquides.
Alors comment sera Diamant? Les deux camps vont finalement se mettre d'accord pour utiliser un premier étage à ergols liquides, et deux étages supérieurs à poudre. Le développement peut commencer!
Les lancements de tests se feront depuis la base saharienne d'Hammaguir, en Algérie française. Oui mais voilà, l'indépendance de l'Algérie est passée par là, et la France a jusqu'à 1967 pour utiliser la base!
Autant vous dire qu'il va falloir se dépêcher...
La première chose a tester, ce furent les instruments de vol (antennes, télécommunications, télémétrie, etc...). Ce fut le rôle de la fusée Aigle, qui vola 6 fois entre 1960 et 1964, à chaque fois des vols réussis
Ensuite, au passa au dur du dur avec la fusée Agate, qui comporte la case à équipements qui volera sur toutes les autres Pierres Précieuses (mais pas sur Diamant!)
Cela permet aussi d'essayer les ailerons de stabilisation.
Ensuite c'était au tour de Topaze, qui comporte en tant que premier (et unique) étage ce qui deviendra le deuxième étage de Diamant. Topaze volera 14 fois, atteignant même la barre des 100km de haut!
Certains vols seront faits avec des versions allongées Topaze L.
Et voilà que je commet l'erreur que je ne voulais pas faire dans ce thread, l'image est fausse dans mon tweet précédent, voici Topaze:
Elle était stabilisée non pas grâce à des ailerons, mais grâce à une jupe, comme le sera le 2ème étage de Diamant.
Nous sommes en 1964 (un an avant le premier vol de Diamant!), et c'est désormais au tour de Rubis de prendre le chemin des airs. C'est une fusée bi-étage. Le premier est un dérivé de la fusée Aigle, et le deuxième est ce qui deviendra le 3ème de Diamant.
C'est bien beau de tester les étages supérieurs, mais il faut maintenant s'attaquer au plus dur, le premier étage.
C'est le rôle d'Émeraude, qui comporte le premier étage de Diamant et un 2ème fictif.
3 échecs sur 5 vols, cet étage est effectivement complexe...
Enfin arrive Saphir. Premier étage et deuxième étage identiques à ceux de Diamant, c'est l'étape ultime avant le premier vol du premier lanceur orbital français.
Saphir aura aussi un bilan mitigé, avec 2 échecs sur 15 vols.
Pour l'anecdote, Saphir sera utilisée même après le premier vol de Diamant, jusqu'en 1967, pour la mise en place des technologies nécessaires à la distribution d'armes nucléaires. Eh oui, le militaire n'est jamais loin...
Mais revenons à notre Diamant, fin prête!
Nous sommes à Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux. C'est ici que la première Diamant sera assemblée une première fois pour mener différents essais. Le premier satellite français, Astérix, est également hissé au sommet pour essayer les supports, et ça marche!
Une fois cela fait, le tout est démonté et envoyé à Hammaguir. Une fois sur place, Diamant est de nouveau assemblée, mais cette fois elle ne quittera plus cette position avant le décollage!
Elle partira du pas-de-tir Brigitte, le plus grand de la base.
Nous sommes début novembre, et Diamant doit décoller en fin de mois. Mais voilà, la campagne présidentielle approche, et l'approbation du lancement se fait tarder.
Eh oui, un échec du vol serait catastrophique pour la campagne de De Gaulle!
Mais De Gaulle a confiance dans son pays, et décide de tout de même ordonner le lancement, mais prendra tout de même la précaution d'interdire les médias.
Ce qui nous prive aujourd'hui de plus de belles photos d'ailleurs...
L'approbation est donnée le 15 novembre.
L'installation du satellite au sommet du lanceur se fait donc un peu précipitamment, mais elle se fait dans les temps, c'est le principal!
Notez les petits trous dans l'adaptateur de vol en-dessous du satellite, c'est important pour la suite...
Nous sommes le 27 novembre 1967, pas-de-tir Brigitte, base de Hammaguir.
Le portique mobile est reculé, les équipes sont rentrées dans le bunker à 200 mètres du lanceur pour gérer le tir. Je ne vous raconte pas la pression qui règne alors...
Il est 14h47, le moteur Vexin de Diamant se met à rugir, et le lanceur décolle en faisant voler en éclats sa protection thermique.
620 secondes plus tard, la France devient la troisième puissance spatiale mondiale.
Là où les américains ont vu leur premier lanceur exploser sur le pas-de-tir, et où les soviétiques ont failli perdre Spoutnik à plusieurs reprises, le vol de Diamant se déroule à la perfection.
Le troisième étages s'éteint, et quelques secondes plus tard, Astérix est séparé.
Désormais, il faut attendre la prochaine orbite pour que les antennes d'Hammaguir et de Beyrouth confirment la mise en orbite du satellite.
Mais ce sont les USA qui confirmeront le passage de cette petite boule rayée au-dessus de chez eux, le vol est réussi!
Mais... C'est bizarre car les américains confirment la présence d'un autre morceau, quelques kilomètres devant Astérix.
Pourtant c'était le seul satellite à bord... Astérix se serait-il déchiré en deux? Aurait-il explosé?
Eh bien non. Lors du passage au-dessus de Hammaguir, on capte le bip-bip d'Astérix, qui sera diffusé en grande pompe à la radio!
Les antennes ont été endommagées par la séparation de la coiffe, mais pas arrachée, quel est donc ce mystérieux satellite?...
Il se trouve qu'après le lancement, les équipes rangent le matériel utilisé sur la plateforme mobile. Et il se trouve qu'il manque une clef de 8, ah.
Elle était utilisée dans la salle blanche d'assemblage du satellite, elle ne peut donc être que dans cette salle!
Pourtant, impossible de mettre la main dessus!
Il faut alors se rendre à l'évidence, la clef est dans le seul endroit qui a quitté cette salle.

Dans la coiffe de Diamant A.

Elle s'est très certainement retrouvée coincée dans un des trous de l'adaptateur...
Et en étudiant le satellite qui se balade devant Astérix, on se rend compte que sa toute petite taille colle parfaitement avec une clef de 8.
Et vu que cette clef est devant Astérix, c'est qu'elle est partie en premier.

Mesdames, messieurs, le 1er satellite français:
L'arrêt du troisième étage est assez brutal, et a donc pu déloger cette clef, qui est alors partie se balader vers l'avant. Astérix n'étant séparé que quelques secondes après l'arrêt de l'étage, la clef a donc pris pas mal d'avance sur le satellite.
Voilà le mystère résolu!
Par la suite, trois autres Diamant A seront lancées, avant que les installations ne soient déplacées en Guyane. Là-bas, Diamant B, puis BP4 prendront la relève.
Mais ça, ça sera pour une autre fois...
Les photos utilisées dans ce thread proviennent généralement du CNES. Quelques-unes proviennent de l'ECPAD, les archives de l'Armée Française.

Diamant A est aujourd’hui visible au @MuseeAirEspace du Bourget, avec Astérix!

[Fin de thread]
A noter que s'il est certain que la clef s'est bien envolée là-haut, aujourd'hui la clef n'est néanmoins pas répertoriée comme étant un débris orbital.
Un flou règne effectivement pour savoir si oui ou non elle est bien partie du lanceur.
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