Remarque en passant alors que je bosse sur les éditoriaux des revues féministes des 70s là, qu'elles parlent de leur besoin de non mixité. Quand on a créé @Les_Jaseuses on a décidé d'emblée (quoique pas à l'unanimité et avec des manières différentes de voir comment l'exprimer)
de faire un collectif non mixte, ie le truc classique de la "mixité choisie sans mecs cis" Elle a des défauts c'est clair, perso je suis parfois mal à l'aise (ça dépend des situations: virer les mecs ça me va, les formulations et le fond des questions queer je trouve ça + chaud),
mais enfin il y a ce truc pratique: basiquement on refuse de se taper du mansplaining permanent ( #notallmen mais la flemme), et puis surtt vu que le but du collectif était de valoriser des œuvres et des recherches minorisées sur critères de genre (principalemt), log. réflexive.
Bon. Mais alors on a rapidement appris que certaines personnes, des ami·es, des "allié·es" souvent militant·es par ailleurs, ricanaient sur ce choix autour de nous (triste mais ok),
et encore régulièrement on me dit que c'est un choix bizarre, pas pertinent puisqu'on fait de la recherche et pas de l'action militante, etc. La vérité c'est que je comprends ces interrogations et que moi-même je me questionne,
je ne pense en tout cas pas (ni personne dans le collectif en fait) qu'il faille figer un choix le même tout le temps 100% etc. Mais enfin ça me trotte dans la tête.

(Bon je poste mais j'ai faim je continue après)
Je reprends. Pas sûre de dire des choses extraordinaires, c'est plutôt des réflexions pragmatiques de base.
Outre les points que j'ai déjà mentionnés (mansplaining, "valorisation" par reflet de nos propres voix de chercheur·ses), la non mixité c'est aussi simplement pour réussir à prendre la parole.
Moi-même je n'arrive pas à croire qu'on en soit encore là et si je réfléchis abstraitement je n'arrive pas à me dire que la non mixité, dans nos milieux de recherche hyper féminins et hyper privilégiés côté genre en général, doit encore servir à ça.
Mais enfin, c'est juste le cas. À part @Les_Jaseuses je travaille ou ai travaillé aussi dans d'autres collectifs, mixtes eux, tous sensibilisés aux questions féministes et aux dynamiques de discriminations diverses, voire centrés dessus.
C'est vraiment facile de compter : les mecs, consciemment ou non, monopolisent la parole, et les femmes la leur laissent. Je l'ai encore observé très récemment au sein d'un collectif *féministe* :
une majorité de femmes, des idées féministes -- et un long dialogue entre hommes (avec quand même une femme pour tout prendre en notes).
Et puis ce n'est pas juste la quantité, c'est la manière de faire : pontifier, prendre le temps (faire des blagues aussi). Personnellement face à ça je me bloque : je ne veux pas entrer dans ce jeu. Si pour parler il faut suivre ces règles-là, franchement non - alors je me tais.
Pour préciser : je ne parle pas de boomers, mais de personnes disons 25-40 ans aussi. Et la plupart du temps ça n'est pas méchant, c'est la conjonction de plusieurs facteurs - dont la réserve des femmes, dont des manières différentes de penser à quoi doivent servir les réunions..
La non mixité permet donc de pallier ce problème là, en partie au moins : c'est plus facile de prendre le temps de sortir de sa réserve quand il n'y a pas une foule de mecs pour venir prendre la place avant même qu'on ait pu commencer à envisager la prendre.
Et on le voit bien d'ailleurs aux Jaseuses : c'est difficile pour beaucoup de prendre une place. Ça prend du temps, il faut d'abord avoir l'impression de bien connaître les projets, puis oser quelques petites choses, puis passer du temps à se demander si on n'a dérangé personne
et si notre intervention était pertinente, etc. etc. etc. Tou·tes n'ont pas besoin de ça mais beaucoup. Collectivement on essaie de faire en sorte que ça soit possible de faire avec ce défaut de confiance. On essaie, ça veut bien dire aussi que ça rate en partie.
Je pense que pour le moment certains aspects du collectif sont bloquants pour certaines personnes : le fait qu'on soit majoritairement blanches (pas que mais quand même), majoritairement parisiennes, majoritairement sans enfants, etc.
Ce sont des paramètres très différents les uns des autres mais qui impactent la manière dont on a ou dont on prend le temps d'oser prendre la parole.
Malgré tout on essaie de compter avec ça, et puis ça marche : on est hyper actives, on a des milliards de projets sur lesquels sont branché·es différentes personnes à chaque fois, bref il y a "prise de parole", "empowerment" ce que vous voulez.
Avec une profusion et un enthousiasme que je ne trouve pas dans les groupes mixtes desquels je fais aussi partie : il me semble que la non mixité permet non seulement de prendre une place plus facilement, mais aussi d'oser un peu plus l'occuper à fond.
Et donc oui, même si on n'est pas un collectif qui fait directement de l'action ou de la réflexion militantes, la non mixité est importante pour nous *en tant que jeunes chercheur·ses*
Et ça nous permet d'ailleurs aussi d'essayer d'imaginer d'autres manières de faire de la recherche sur la manière poussiéreuse et guindée.
Après c'est aussi la question de la gestion du collectif lui-même :
Je continue de comparer mon expérience entre les collectifs mixtes et ce collectif non-mixte des Jaseuses. Dans les groupes mixtes auxquels je participe / ais :
La plupart du temps ( #pastoutletemps) les femmes font les secrétaires (CR de séances, mails), les trésorières, l'humain (régler les derniers détails d'un projet avec qqn·e, demander des nouvelles, vérifier les dispos, faciliter la communication).
Pdt que les mecs ignorent ces tâches, soit carrément par mépris (je juge à partir d'observations récentes), soit par inconscience de tt ce travail fait assez discrètement et qui peut n'avoir l'air de rien (quand on se tient loin c'est facile de croire que ça prend peu de temps).
Et eux ils gèrent l'aspect virilité-compatible : le discours théorique, les grandes questions -- ou la technique, dans certains cas.
Ça se règle tout seul, ça passe discrètement, on ne s'en rend même pas compte. C'est parce qu'unetelle est amie avec bidule alors c'est plus simple, ou juste d'office la fille va se proposer, pas le gars. Vraiment ça passe crème.
Là où ça m'a le plus frappée récemment c'était pour l'organisation de la mobilisation contre la LPPR (no offense ceux qui me suivent ici et qui étaient avec moi, je pense à d'autres) :
il y a eu une très forte mobilisation de certaines jeunes femmes chez nous (mails, organisation de réunions, motivation des troupes, rentre-dedans avec les frileux), qui a été reconnue à peu près à sa juste valeur, dans l'ensemble je crois, bon ;
et puis des gars par contre qui se sont réveillés un peu tard, quand tout était bien réglé, et qui sont d'un coup devenus les héros de la mobilisation : face caméra, au-devant des banderoles, ceux qu'on interroge. Les filles -- aussi parce que c'est ce qu'elles ont choisi --
sont restées invisibles et on ne les a vues nulle part. Je ne voudrais pas blâmer les personnes, qui sont mes ami·es d'ailleurs, juste remarquer ça : on a des comportements genrés, c'est tout.
Et si on veut valoriser le travail de femmes, il faut empêcher celui des hommes de prendre la place -- parce que sinon, de fait, il la prend. Le mec va plus oser, les autres en plus vont plus l'écouter, et ils vont aller le chercher.
J'ai légèrement dévié de mon propos, je parlais de gestion du collectif et du partage genré des tâches qui se fait instantanément dans les groupes mixtes ( #notallgroupesmixtes ok).
La non mixité d'un groupe de recherche comme @Les_Jaseuses évacue ce problème, c'est clair. Plutôt simple et radical. Peut-être que ça se serait bien passé si on avait inclus des hommes -- peut-être (??).
Bon je suis vraiment partie dans un truc fleuve. Pour continuer, je voudrais reprendre quelque chose que j'ai écrit plus haut, et qui concerne le travail de care. Enfin, moi, c'est ce que je trouve presque de plus important aux Jaseuses et il me semble que je ne suis pas la seule
Probablement en raison d'apprentissages genrés, ou parce qu'on a nous-mêmes fait à nos dépens l'expérience de l'importance de certaines questions comme la confiance en soi, les angoisses, la santé mentale, dans nos milieux (la recherche ici),
globalement aux Jaseuses on fait *beaucoup* de travail de care. Les autres corrigez-moi si je dis des bêtises hein. Mais voilà : un canal dédié sur slack pour l'entraide (merci @MarysRGH), beaucoup de mots d'encouragements en public sur notre espace de travail ou en privé,
des flots de félicitations quand l'un·e de nous a réussi quelque chose, ÉNORMÉMENT de smileys cœurs, pouces en l'air, bravo ou autres, du souci pour l'état des un·es et des autres.
J'ai peut-être une vision naïvement positive de tout ça parce que je fais partie de celles qui sont le plus dans ces dynamiques-là. Mais en tout cas, ça fait du bien. Il n'y a pas, comme le reste du temps dans les milieux de l'ESR que je fréquente
(et c'est vrai que par contre Twitter faut en partie exception)
de présupposé selon lequel on est tou·tes en bonne forme, fraî·ches et dispos·es H24, prêt·es à négliger nos santés et nos vies privées, ou nos aspirations ou besoins personnels, pour la sainte recherche. Ou surtout de présupposé selon lequel on est de purs esprits,
et qu'on peut parler de choses intellectuelles en permanence sans ni s'épuiser, ni angoisser sur l'état de nos connaissances, ou quoi.
Après je pense qu'il faut distinguer esprit et réalité, je me dis parfois que le comportement hyperactif de certain·es aux Jaseuses (je plaide coupable) peut exercer une forme de pression sur d'autres.
Mais dans l'esprit on sait tou·tes qu'il faut faire attention à ça, on le rend explicite trèèès souvent et on le pratique par toutes ces manifestations de "souci de l'autre".
Et vraiment, j'attends de voir ça dans un groupe mixte. Mais vraiment! Ce serait bien, ça ferait du bien à tout le monde. Mais pour le mmt, aussi fort que j'apprécie mes amis, il y a TOUJOURS ce barrage de dignité, d'amour propre, je ne sais quelle forme d'ego viril à protéger.
Pas de smiley c'est trop infantile ; surtout ne pas faire de faute (même pour un pauvre sms) ; avoir l'air malin, utiliser des formules brillantes, glisser des références cryptiques ; je ne sais pas, une manière de refuser de se rendre vulnérable dans les détails.
Je penche peut-être dans l'excès inverse, hein. Mais en tout cas voilà, c'est ce que je voulais dire pour finir. Je ne sais pas exactement à quoi ça tient, et je parle depuis mon expérience personnelle pas forcément généralisable.
Ce que je constate avec mes groupes de travail, c'est qu'en non-mixité on est beaucoup plus chill. Et être chill, et exprimer nos doutes et s'envoyer du réconfort, ça nous aide à être moins angoissé·es et à être hyper créatives, à faire plein de choses ;
à se le dire quand quelque chose est critiquable aussi ; beaucoup moins de non dit il me semble ; bref, on fait du bon travail.
Quand je me retrouve à devoir bosser dans un contexte de travail "normal" maintenant, je suis hyper paralysée par toute cette sclérose de codes que je ne comprends pas, de bienséances étranges, de sous-entendus permanents indéchiffrables et gênants.
Il y a là un problème à moi (j'ai du mal avec les implicites), mais une espèce de blocage collectif il me semble aussi. Je dis il me semble, il semble à bcp de monde, on le dit svt qu'il faudrait dans l'ESR une meilleure prise en compte des vies privées, des santés mentales, etc.
Et ça pourrait ne pas avoir de rapport avec le féminisme et la "non-mixité choisie sans mecs cis", mais bon : le care, jusque-là, ça s'est quand même beaucoup développé comme ça.
C'était le dernier point de mon roman-fleuve : la non mixité me paraît justifiée même dans un collectif de recherche aussi parce qu'elle permet que se développe un certain climat de bienveillance qu'on aurait plus de mal à mettre en place autrement. C'est très concret :
si le groupe était parfaitement mixte, JAMAIS je n'enverrais les mots doux que j'envoie actuellement, les petits cœurs d'encouragement ; pour proposer des idées, j'aurais peur de paraître bête, de me tromper, de n'avoir pas bien toutes les références
(parce que oui ça c'est un autre jeu bien genré : entre meufs, pour ce que je constate moi, on a moins tendance à saupoudrer nos propos de name dropping et à faire peur en gonflant artificiellement l'étendue de notre culture) ;
bref, je serais comme j'étais jusqu'à encore très récemment, hyper effacée, hyper craintive, et bloquée dans mes élans.
Bon. C'était un peu le bazar ce thread. Mais les autres si vous voulez compléter ?
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