Pour rappel, Heinich promeut une "sociologie axiologique" qui se donne pour projets d'analyser les valeurs exprimées par les acteurs comme des faits sociaux. Elle trace une ligne entre une métaphysique des valeurs
(les valeurs ont une existence objective en tant qu'entités extérieures aux acteurs) et la relégation des valeurs au statut "d'illusion" (les valeurs n'existent qu'afin de servir de façon dissimulée les intérêts des classes dominantes en guidant le comportement des dominés)
Pour cela, elle propose d'adopter une démarche descriptive et non normative des valeurs : utiliser les outils de la sociologie pour comprendre les valeurs qu'expriment les acteurs, comment et pourquoi ils expriment ces valeurs-ci et non d'autres
Elle indique notamment que la sociologie doit se réapproprier les enjeux de compréhension des valeurs et se distinguer nettement de la philosophie morale dont la démarche est plutôt normative (dire ce qu'il est bon de faire) que descriptive (dire ce que les acteurs font).
Elle a proposé un modèle de l'évaluation axiologique (la production d'un jugement de valeur) qui repose sur une interaction sujet-objet-contexte. Elle a également décrit des "registres de valeurs" des ensembles de valeurs sémantiquement proches utilisés pour produire un jugement
D'une certaine nature (éthique, civique, esthétique, etc.) Et c'est un peu là-dessus que se base la réflexion qui parcourt l'article.
Heinich nous dit que certaines valeurs ne se laissent pas ranger dans des cases, et peuvent être utilisés dans différents registres.
C'est notamment le cas du Juste, mais surtout (ce qui nous intéresse ici), du Vrai. Le Vrai ressemble pour Heinich à une "valeur universelle" qui peut s'utiliser dans de nombreux registres.
Et Heinich nous dit que "le Vrai" dans un registre ne signifie pas la même chose que "le Vrai" dans un autre : la vérité juridique n'est pas la vérité esthétique, par exemple. La discussion d'une même valeur par deux acteurs ancrés dans des registres différents conduit à une
impasse, à un différend difficile à résoudre.
Cela amène Heinich à tirer deux conclusions :
1. La vérité démocratique n'a pas à être dictée par la science. La science ne peut pas déterminer quelle est la "bonne" décision (la "vraie" décision à prendre)
Seule permet d'arriver à la conclusion la délibération des citoyens suite au débat démocratique, lequel débat peut tout à fait être éclairé par la science. Mais c'est bien le débat qui permet de déterminer le vrai et le juste en politique, pas le jugement des experts.
2. La vérité scientifique n'a pas à être dictée par la politique ou la démocratie. Seule l'épreuve scientifique type (la publication des résultats et leur discussion/critique par les pairs) permet de déterminer la vérité scientifique. Les enjeux politiques, économiques et autres
N'y ont rien à voir. Le fait qu'une hypothèse soit populaire, économiquement intéressante ou au goût des dirigeants actuels n'a rien à voir avec le fait qu'elle soit "vraie" scientifiquement, pas plus que le fait que tel chercheur soit un saint ou un salaud, beau ou laid
Riche ou pauvre, de droite ou de gauche.
Voilà, cet article me paraissait vraiment résonner avec une certaine actualité, donc je diffuse ça auprès de ma légion d'abonnés. Je précise également que je ne suis pas en accord avec certaines conséquences que tire Heinich de cette
analyse notamment, dans son traitement du mode de désignation des membres de commissions du CNRS comme devant relever strictement du registre épistémique.
Tl ; dr : la vérité est un concept polysémique qui signifie des choses différentes selon celui qui l'exprime, ce qui est qualifié et la situation. Vérités scientifique et politique n'ont pas de lien direct l'une avec l'autre et c'est très bien comme ça.
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