Il y a quelques temps, on avait eu un échange sur les stimulateurs cardiaques au plutonium.
Un like ayant déterré ce message, et ayant un peu de temps, un petit thread pour revenir sur le sujet (sources en fin de thread).

(photo Andra) https://twitter.com/e_punctatus/status/1222304761992699904
Tout d'abord, un rapide rappel sur les stimulateurs cardiaques : l'objectif est de stimuler artificiellement et électriquement le cœur, et le premier dispositif implantable de ce type a été posé en 1958.
Mais qui dit électricité dit pile, et là, c'est compliqué.
A l'époque, les 60's donc, les seules piles utilisables étaient au mercure, avec une durée de vie limitée de l'ordre de deux ans. Avec donc obligation d'une nouvelle intervention chirurgicale tous les 18 mois pour remplacer le dispositif, avec les risques associés.
Avec ce contexte, l'idée d'un générateur isotopique utilisant la chaleur générée par décroissance d'un radionucléide est donc, disons, logique.
Oui, aujourd'hui on utilise des piles au lithium.
Partout.
Mais à l'époque, ça n'existait tout simplement pas encore.
Un mot sur les générateurs isotopiques (ou Radioisotope Thermoelectric Generator, RTG). L'idée est d'utiliser la chaleur induite par la désintégration alpha d'un radionucléide, et de la convertir en électricité à l'aide de thermocouples (dans ce cas en tellure de bismuth).
L'isotope généralement utilisé est le plutonium 238, de période 87 ans qui est un bon compromis entre durée de vie et puissance (390 W/kg contre 97 pour l'américium, ou 133 000 pour le polonium 210 avec sa période de 140 jours…)
Même si le rendement de conversion est faible, la durée de vie est bien supérieure à toute pile chimique.
Les RTG rendent toujours de grand services, notamment dans le spatial, dans le cas des sondes interplanétaires où le soleil est insuffisant (New Horizon : 11 kg de 238Pu !)
Revenons à nos stimulateurs cardiaques : 150 mg de 238Pu sont suffisants pour garantir une durée de vie de 10 ans, avec une fiabilité maximale.
C'est révolutionnaire, et on y va : première implantation en France le 27 avril 1970.
(détails techniques : source froide à 37° - logique ; source chaude entre 100 et 150° ; puissance de 250 microW (200 en fin de vie après 10 ans de décroissance) ; amplitude de 5 à 6 V 72 fois par minute avec des impulsions de 0,85 ms)
Le plutonium 238 est produit à Marcoule, sur les réacteurs Célestin, par irradiation neutron de neptunium 237 issu du retraitement de combustible, puis utilisé sous forme d'alliage métallique plutonium-scandium (fabrication à Fontenay-aux-Roses).
Le RTG est ensuite placé dans deux capsules, une interne en tantale et l'autre en platine-irridium.
Oui, ça chauffe, ça gonfle (dégagement d'hélium par décroissance) et ça doit être biocompatible.
Et on teste tout ça (en température et en pression : 1300 °C et 2000 bars).
Et ça marche, hein ! Des patients sont sauvés et voient leurs conditions de vie s'améliorer.

Au total, environ 3000 de ces stimulateurs seront implantés, dont 872 en France.
Certains patients ont vécu 40 ans avec…
Bon, oui, OK, il y a quand même de "légers" problèmes.
Il vaut mieux éviter de se faire incinérer avec, par exemple (même si la capsule résiste là aussi aux températures atteintes).

Et surtout il y a la question de la dosimétrie.
Si le 238Pu est un émetteur alpha, et que les capsules sont une protection biologique efficace, il faut prendre en compte les impuretés de la source, notamment le 236Pu qui va décroître en émetteurs gamma.
Et ne pas oublier les neutrons.
Un document d'époque évoque 20 µSv/h en neutrons et 10 en gamma au contact de la capsule.
Soit 263 mSv/an à l'implantation.

Avec la décroissance des 5% de 236Pu, la dose après 40 ans était de l'ordre de 900 mSv/an…
Aujourd'hui, avec l'apparition de piles chimiques performantes et moins coûteuses que le 238Pu (pas très compliqué...) qui permet d'améliorer le rapport bénéfice/risque, ces dispositifs font partie de l'histoire du nucléaire et de la médecine.
On ne les oublie pourtant pas, et l'Andra les gère en déchets (344 de ces sources sont actuellement recensées et entreposées à Marcoule, dans l'installation Atalante).

Oui, le producteur d'une source a en charge sa gestion en fin de vie.
J'espère que ce petit thread vous a intéressé.

Deux petits enseignements que j'en retire : toujours évaluer une solution technologique par rapport aux connaissances de l'époque, et intégrer la notion de bénéfice/risque, notamment dans le domaine médical.

Merci de m'avoir lu !
PS : si ça vous intéresse, je ferai d'autres threads sur l'histoire du nucléaire et de ses pionniers.

C'est souvent passionnant (enfin, au moins pour moi...)
You can follow @e_punctatus.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

Latest Threads Unrolled: