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Il y a peu j'ai été confronté à une situation en EHPAD, où j'ai compris que nous étions passé dans l'institutialisation de la maltraitance. J'ai refusé. J'ai haussé le ton. J'ai menacé. Car j'étais le seul à me soucier de la vie d'un résident. Je vous raconte.

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19h30, je suis de garde SOS, nous recevons l'appel d'un EHPAD dans lequel un résident de 87 ans chute régulièrement depuis 48h. Pour "avis médical". Ca sent le patient-boulet que l'équipe de nuit qui vient d'arriver ne veut pas garder pour la nuit, un trop grand classique.

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Et j'avais été plus que médisant sur cette pensée, car on était loin du compte. A mon arrivée, je comprend que le patient est dans l'unité Alzheimer. Un secteur fermé où tout le monde déambule, la maladie étant ce qu'elle est. Je vous passe le sketch de la prise de /...

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.../ température à la porte avec un thermometre auriculaire (donc contact) que la personne à l'entrée (j'apprendrai plus tard que c'est la directrice) ne sait pas utiliser. Et ma petite pique que je refuse d'être touché par un objet qui va dans l'oreille de tous.

4/
C'est bien la première fois que je m'auto-contrôle la température avec mon thermomètre de surface chinois à 12 euros, que j'ai sorti à l'occasion de l'épidémie de ma caisse à outils : je l'avais acheté pour contrôler les perditions de chaleurs des menuiseries de ma maison.

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Il est bizarrement aussi efficace que le thermomètre ISO 9000-truc à 100 boules et contagieux qui est sur la table à l'entrée de l'EHPAD. Je m'en amuse avec la directrice, elle rigole jaune pour me dire "vous savez, moi, j'applique les procédures".

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A mon arrivée dans l'unité Alzeihmer, au fond du couloir, 2 aides soignantes et une infirmière sont autour d'un patient alongé au sol. Le patient, donc. Il vient de rechuter une nouvelle fois. Je demande les constantes, pour ne toucher le patient que le moins possibles.

7/
Elles sont normales. Je regarde rapidement son traitement : il est sous anti-coagulant. Et merde. Il gémit, il dit avoir mal. Je regarde son crâne : il a au niveau occipital un hématome un peu collecté, mais pas de plaie. Je vérifie l'absence de facture manifeste ailleurs.

8/
Heureusement, y'a que la petite collection à la tête. Pour moi c'est simple : les urgences. Il aura un scanner, peut-être une petite échographie, un examen clinique digne de ce nom et pas sur un sol en linoléum, il reviendra probablement demain matin. Et là, c'est le drame.

9/
Problème : il y a une nouvelle procédure qui dit que si un patient sort de l'EHPAD, il devra être isolé en chambre 14 jours à son retour. Quand on est confus, alzheimer, ce genre d'isolement peut tout simplement tuer, car il est grandement délétaire. Je m'insurge.

10/
Qui est l'idiot qui a décidé cette ineptie pour des patients qui ne vont pas prendre le bus, mais qui sont véhiculés par des ambulanciers professionnels avec toutes les précautions d'usage anti-virus, pour aller aux urgences où ces mêmes mesures sont aussi drastiques ?

11/
L'ARS, on me dit. Je demande à parler au médecin coordinateur. Injoignable. Le médecin traitant, idem. L'infirmière me dit "on va demander à la directrice".
Me re-voilà devant cette personne qui me disait 5 min avant "moi je respecte les procédures". Ca va être gai.

12/
On l'interpelle depuis une fenêtre, car elle est sur le parking en train de discuter en petit groupe avec d'autres employés, tous à moins d'1 mètre chacun, sans masques, en tenues de ville. Les mesures barrières c'est DANS l'établissement uniquement, a priori.

La blague.

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Et là, bornée, elle me dit "Je ne comprend pas votre problème : on vous demande un avis médical, vous le donnez, point. Il doit aller à l'hopital ou pas ? Je ne suis pas médecin pour décider". Je lui ai expliqué le dilemne : tuer ou ... tuer. Merci du cadeau !

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Elle essaye de me rassurer : "Mais c'est des décisions prises en réunion, avec l'ARS, le médecin coordinateur, etc.". Elle essaye surtout de SE rassurer que cette procédure est la bonne. Elle me dit "On peut le changer de chambre pour une avec une lucarne vitrée".

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"Pour qu'il puisse voir". Et me montre une porte avec un vitre de 30x30cm. Je demande si y'a aussi la version avec une trappe au sol pour glisser les plateaux repas. Le sarcasme l'ennerve, elle hausse le ton. Moi aussi. J'ose le mot "maltraitance institutionnelle".

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Elle s'oppose à ce mot, car tout est acté, tout est décidé par l'ARS, par des comités, avec des médecins, toussa.
J'ai pas compté le nombre de fois où elle cite l'ARS. Elle en parle comme l'entité suprême. Les procédures. Respecter les procédures. Point.

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Totalement insensible au dilemne éthique, elle dit "Si vous ne nous dites pas s'il doit rester ou partir, j'appelle un autre médecin". Bha voyons. Je lui explique qu'elle ne peut pas obliger un toubib random qui ne connait pas le patient à prendre une telle décision lourde.

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Seule l'IDE comprend le problème : soit on néglige le risque d'un sous-dural et il risque de mourir cette nuit, soit on l'isole 14 jours et il risque de mourir dans 2 semaines. J'explique que ce genre de décision ne se prend pas seul. Je demande à parler à la famille.

19/
J'explique que c'est une décision trop lourde qui doit être prise par la famille, et que je vais leur expliquer que l'on doit choisir entre la peste et le choléra, à cause de procédures non dérogeables, mises en place par la direction de l'EHPAD.

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Houlà, ce que j'ai pas dit. Invoquer la famille, c'est manifestement ce que veut éviter la directrice. Je la sens pas à l'aise du tout. J'appelle le 15. Le collègue régulateur soupire. Il est d'accord avec moi, et lui c'est tous les jours qu'il doit se battre contre ça.

21/
J'appelle la famille. Son fils est médecin à l'autre bout de la France. Il comprend la situation parfaitement. Me dit qu'il aura une discussion demain avec la directrice, le médecin coordinateur, qu'il ne laissera pas faire. Il me demande de l'envoyer aux urgences.

22/
Je raccroche. La directrice qui a tout entendu est furax. Elle aurait eu son thermomètre auriculaire en main, elle me l'aurait enfoncé dans l'oeil. Je la quitte en lui faisant remarquer qu'il y a deux sortes de soignants, et que l'épidémie révèle le camp de chacun.

23/
Il y a ceux qui se soucient des patients avant de soucier des procédures, et il y a ceux pour qui c'est l'inverse. Elle me crache au visage que je ne m'occupe que de la santé d'un patient, qu'elle doit protéger tous les patients, elle. Ce à quoi je lui fait remarquer /...

24/
.../ une nouvelle fois que le patient reste dans un circuit médicalisé, aseptisé, lors de son passage aux urgences. Et que si elle se soucie de ses patients, elle ne devrait pas parler sans gestes barrières sur le parking le soir pendant 10 minutes en groupe.

25/
Mais que je suis bien entendu prêt à revenir discuter sur ce point précis de laxisme et tous les autres, y compris avec les réprésentants des familles. Et même en présence de l'ARS et pourquoi pas d'un journaliste, soyons fou !

26/
Sur ce, les visites s'accumulant, je suis parti. Mais cela m'a bien, mais bien ennervé.

Alors à tous ces connards de la procédure aveugle je n'ai qu'un seul mot : bande de cons !

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