Il y a 54 ans, @lemondefr publiait la fin d’une série de trois articles qui allaient sonner le glas des études sur le LSD en France. Un thread 🧪
Le 21 avril 1966, tandis que, selon la préfecture de police de Paris, il n’y a pas de traces d’usage de la substance dans le pays malgré une surveillance "active" et des agents "en alerte",
Le Monde publie un premier article d’une série nommée « Les poisons de l’esprit », enquête sur « la vague de folie collective qui emporte aujourd'hui la jeunesse américaine. ».
Cette trilogie est l’œuvre de la médecin Claudine Escoffier-Lambiotte. Elle va lancer la vague de panique morale à l’encontre du LSD en France et déboucher, seulement deux mois plus tard, sur le vote de l’interdiction de la substance hors cadre médical.
Le contenu de ces articles vise à alerter les français·es au sujet de la drogue « la plus dangereuse » : le LSD. Celle-ci serait en passe de provoquer la « désintégration psychique » de toute une génération de jeunes adultes aux Etats-Unis et menacerait désormais la France.
L’autrice décrit les Etats-Unis comme submergés et impuissants face à la consommation massive de LSD, dans les universités et même les collèges. Le produit est qualifié d’« arme chimique » : dans le contexte tendu de la Guerre Froide, cette comparaison est terrifiante.
Les « acid party » conduiraient les jeunes à des actes insensés : « L'agitation est alors très grande ; le jeu de la « corrida » s'organise ; il consiste à se jeter au milieu des voitures, un jour de grand trafic, pour défier les dangers d'un monde extérieur qui n'est plus. »
Ce « scalpel mental » ferait ainsi croire à « un paradis où l'on croit trouver la fin des dépendances, la vérité et la liberté suprême, alors qu'il n'est guère, aux yeux du médecin, de forme plus avilissante et plus mensongère de la servitude humaine »
L’article se montre très alarmant : cette substance, qui serait la cause aux USA des mouvements de contreculture de l'époque (manifestations anti-guerre du Vietnam, luttes féministes et anti-raciales,
mouvements de défense des droits LGBT, liberté sexuelle, refus de la société capitaliste…) serait en train d’« envahir » la France.
A l’appui de cette allégation, la journaliste-médecin, se base sur le témoignage du docteur Bensoussan, de l’hôpital américain de Paris. Il affirme ainsi que 75% des étudiants du Centre américain pour étudiants et artistes de Paris auraient eu une expérience avec le LSD.
Or, quelques jours après la publication de l’article, Le Monde publie une lettre du directeur de ce centre, « stupéfait » que de telles allégations frauduleuses figurent dans ce journal.
Bensoussan, contacté, avoue que ces chiffres sont approximatifs mais qu’il croit « du devoir de chacun de nous de prendre conscience du danger réel que peut représenter l’extension de cette nouvelle forme d’intoxication ».
Ce chiffre de 75% a donc été utilisé en sachant qu’il était extravagant, dans le but de susciter la peur du produit. Il n'est pas rare à l'époque de trouver ce type de publications mensongères publiées pour susciter la peur du LSD.
Des médecins sont d’ailleurs condamnés pour avoir diffusé dans la presse de fausses affirmations concernant des accidents dus à la substance, comme ce directeur du Bureau des aveugles de l’État de Pennsylvanie, qui affirme en 1968 que six étudiant·es ont été frappé·es
de cécité totale et permanente pour avoir longuement fixé le soleil après avoir pris du LSD. Suite à une enquête de police qui découvre la supercherie, le docteur déclare avoir agi de la sorte parce qu’il était inquiet de l’usage croissant du LSD par les adolescents.
Or ces démentis de quelques lignes n’ont évidemment pas l’impact des articles originaux : cette histoire de cécité est présentée dans la plupart des travaux scientifiques sur la substance, même les plus favorables.
Le corps médical diffuse donc dans la société l’idée selon laquelle le médicament serait une substance dangereuse, impliquant un haut degré de technicité pour le manier, dont seul le médecin serait en mesure d’évaluer la pertinence d’une consommation.
On peut s'attarder sur l’usage dans l'article d’un champ lexical particulièrement orienté avec des expressions comme : "plantes maudites", "sordide", "visages de terreur", "angoisse mortelle", "pitoyable", "servitudes", "profonde tristesse", "suicide", "angoisse intolérable",
"visions terrifiantes", "morts intellectuelles", "cauchemar", "restent prisonniers", "fléau national", "bête noire", "arme psychochimique", "effets violents", "répandre ensuite la graine empoisonnée dans les écoles", "crime collectif", "désarroi", "désastre".
Pourtant, le LSD est encore à cette époque surtout un médicament, l'un des plus étudiés au monde pour la période 1950-1970. Les scientifiques étudient ses bienfaits dans de nombreuses applications : soulagement de la douleur, traitement des addictions,
réduction de l'anxiété des personnes en soins palliatifs, dépression, troubles sexuels... Or, cet aspect thérapeutique est absent des articles d'Escoffier-Lambiotte.
Pause et demain on verra comment cet article a fait boule de neige et a donné lieu à une vague de publications anti-LSD ayant mené à l'arrêt des études cliniques en France!
You can follow @ZoeDubus.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

Latest Threads Unrolled: