La méthode Raoult.

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« Finalement, c'est probablement l'infection respiratoire la plus facile et la moins chère à soigner de toutes les infections virales ». Ces mots concluent la conférence de presse express (1'44'') de @raoult_didier diffusée sur YouTube par son @IHU_Marseille le 25 février.

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Huit semaines après cette intervention tonitruante, près de 180 000 décès sont à déplorer à travers le monde, et le virus poursuit sa diffusion mortelle.

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Malgré cette apparente contradiction, ainsi que les failles méthodologiques et les écarts éthiques et déontologiques déjà dénoncés par d’autres, le biologiste marseillais se retrouve, comme prévu, sous les projecteurs.

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Surtout, il est parvenu à marabouter une majorité de nos concitoyens (59%, contre seulement 21% qui, à raison, ne se prononcent pas) de l’efficacité supposée de l’ #hydroxychloroquine sur le #coronavirus, qu’il qualifiait lui-même en février de « pas si méchant ».

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1⃣/3⃣ Un gourou qui tombe à pic
Cette percée populaire et médiatique ne résulte pas seulement de l’attrait évident que représente l’espoir d’un traitement miracle dans un contexte incertain et anxiogène, ni du mode de communication.

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Plusieurs autres mécanismes expliquent ce succès, chacun auprès d’une audience particulière :
a) D’abord, un narratif messianique et antisystème qui répond parfaitement à l’ambiance conspirationniste propagée sur les réseaux sociaux.

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b) Ensuite, prétendant dénoncer l’establishment de ses pairs, l’intéressé s’appui paradoxalement sur une posture de mandarin et de scientifique prolixe (plus de 3000 articles publiés), au point de poser cet argument d’autorité comme la pierre angulaire de sa crédibilité.

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c) Enfin, un ancrage marseillais qui séduit une opinion souvent girondine et décentralisatrice, parfois même teintée d’anti-parisianisme.

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Ce dernier aspect n’est sans doute pas étranger au soutien de certaines personnalités politiques, notamment dans le contexte des élections municipales, certes suspendues mais toujours présentes dans les esprits.

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Un point commun à toutes ces raisons est la formidable occasion que chacun peut y trouver de conforter ses propres certitudes.

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L’origine du succès de ce nouveau prophète tient moins de la teneur de ses arguments que de nos biais cognitifs, soit la capacité de cerveau d’interpréter les faits pour les rendre cohérents avec nos préjugés, pour les faire tenir dans nos cases mentales préfabriquées.

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2⃣/3⃣ Transfert de responsabilité

Cette conquête de l’opinion publique a eu plusieurs conséquences.

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D’abord, au nom du droit à une opinion divergente, elle a rendu inaudible la position quasi-unanime de ses pairs, et réduit l’adage séculaire de tout médecin « primum non nocere » (d’abord, ne pas nuire) à un banal principe de précaution soi-disant désuet en tant de crise.

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Puis, surtout, elle a malheureusement conduit à une forme de prise d’otage des décideurs politiques. Dans l’impossibilité de contredire l’un des 11 experts du Conseil Scientifique COVID-19 qu’il avait nommé quelques jours plus tôt, [...]

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[...] et pour limiter l’effritement de l’union nationale nécessaire au respect des mesures prises pour lutter contre l’épidémie, l’exécutif n’avait d’autre choix que d’adopter une position ouverte et conciliante.

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Aussi, le décret du 25 mars a autorisé la prescription hospitalière de #plaquenil pour les patients atteints de COVID-19, hors protocole de recherche clinique, shuntant ainsi les procédures habituelles garantes de qualité et de sécurité des prescriptions pharmaceutiques.

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Certes, l’autorisation pour usage dérogatoire n’était pas limitée à cette seule molécule, et des dispositions similaires ont été prises ailleurs. Il n’empêche que le communiqué de l’ @ansm du 30 mars 2020 ( https://ansm.sante.fr/S-informer/Actualite/Plaquenil-et-Kaletra-les-traitements-testes-pour-soigner-les-patients-COVID-19-ne-doivent-etre-utilises-qu-a-l-hopital-Point-d-information) laisse peu de doute sur ses réserves ...

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Par ailleurs, en gênant de fait l’inclusion de patients dans des essais randomisés, cette décision va à l’encontre du but recherché, en entravant la possibilité d’apprécier réellement l’efficacité de l’ #hydroxychloroquine ou d’autres traitements.

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Pire encore, l’autorité sanitaire se décharge ainsi de sa responsabilité normative sur les médecins hospitaliers, ainsi pris en étau entre l’incertitude sur l’efficacité du médicament, et l’insistance irrationnelle de certains patients légitimée par ce décret.

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Si l’on comprend aisément la volonté du chef de l’Etat de rassembler plutôt que de nourrir les divisions, il ne faut pas négliger l’impact de tels accommodements du pouvoir vis-à-vis de la rigueur scientifique sur l’intégrité morale du corps médical.

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3⃣/3⃣ Retour à l’empirisme

C’est d’ailleurs sur ce dernier point qu’il faut insister le plus, tant il pourrait avoir un impact profond et durable sur la recherche clinique.

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En effet, le plus grave dans cette tragicomédie n’est pas l’indulgence des autorités politiques et déontologiques envers une méthodologie bancale, des manquements éthiques, et une communication racoleuse, [...]

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[...] mais bien la reprise par bon nombre d’acteurs et de commentateurs d’une rhétorique perverse sur l’éthique médicale.

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En plaçant sa conviction personnelle de l’efficacité d’un traitement comme postulat acceptable et suffisant pour dispenser, voire même interdire le recours à un bras contrôle, le Pr Raoult balaye de la main deux siècles de progrès médicaux :

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[...] c’est bien parce que nous avons su dépasser nos seuls instincts empiriques (faisant de l’expérience sensorielle la source de toute connaissance), [...]

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[...] pour développer une méthode scientifique rationaliste (qui a recours notamment à la logique, aux statistiques, et au principe de causalité) que nous disposons désormais d’un corpus de connaissances médicales inégalé dans l’histoire.

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À l’instar du principe de similitude ou des théories de la terre plate, le raisonnement proposé n’est pas seulement « peu conventionnel » ou « hors des clous » comme on peut l’entendre ou le lire ici ou là, [...]

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[...] mais constitue bien une menace pour l’avancée de nos connaissances, sinon même le risque d’une régression grave de la méthode scientifique. Est-ce cela « le monde d’après » ?

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