Récapitulons calmement :
- hier soir, la présidente de la région IDF (que je ne porte pas absolument dans mon coeur en dépit de ses attaches maritales corréziennes) annonce que les discussions avec le ministère de l'éducnat n'ont pas commencé.
- hier soir, cette même présidente
signale que les transports en commun (STIF) ne reprendront que très progressivement, d'abord pendant un certain temps à 50% avec peut-être un système de dérogation pour leur utilisation.
- Elle ajoute que la réouverture des cantines n'a rien d'une certitude et qu'il faut
plutôt envisager des cours par demi-journée.
Ce matin, NMP (aka notre ministre préféré) annonce devant trois clampins, alias les députés, des pistes (de forêt, d'aéroport, on ne sait pas). Parmi les pistes, faire des demi-groupes de 15 élèves qui bénéficieraient de cours
un coup en présentiel, un coup en distanciel, un coup en étude. C'est comme les 4/3 du picon-citron chez Pagnol. Trois demi-groupes (en sachant que personne ne sait où sera celui qui est en étude). On en déduit que les pistes s'orientent donc vers une venue des élèves une semaine
sur deux. Et là, ça commence à merdouiller. Vous savez quand le réel résiste. Démonstration à partir de l'exemple d'un lycée d'IDF lambda.
Principe de départ : des groupes de 15, pas plus.
Réalité : des classes de 35 élèves. Ah, ces 5 élèves dont on ne sait que faire. Mais
faites donc 3 groupes au lieu de 2 me direz-vous ! Qu'à cela ne tienne, mais passer de 2 à 3 signifie que la rotation hebdomadaire passe de quinze jours à 3 semaines.
Du 18 mai au 4 juillet, il y a 7 semaines, donc concrètement 2 semaines de cours en présentiel par groupe et une
dernière semaine dont on ne sait pas trop quoi faire.
On nous explique aussi que les élèves du demi-groupe en distanciel doivent pouvoir avoir les mêmes cours que ceux en présentiel, égalité républicaine légitime. Ce qui pose un problème fondamental : comment les profs font-ils
pour assurer une semaine complète de cours en présentiel ET une semaine complète de cours en distanciel.
"Ben, une fois qu'ils les ont faits les cours, c'est pas compliqué, hein."
Pascal Praud, sortez de ce corps.
On rappellera rapidement que les deux modalités de cours sont
différentes et qu'elles demandent deux types de travail différents. Donc double d'heures à faire, puisque certains collègues pourraient envisager de faire de la visio pour ceux restés à domicile. C'est très rapidement ingérable.
Et quid du 3e demi-groupe censément "en étude" ?
On ne sait pas. S'il est en étude, il n'est pas censé suivre les cours exactement comme les autres, mais il va donc se retrouver à les rattraper (auprès de qui ? comment ? on ne sait pas). Ou alors le troisième groupe fait en réalité du distanciel depuis chez lui. Donc il n'y a
pas de 3e groupe, il y a 2 groupes en distanciel et 1 en présentiel.
C'est long... je sais.
Prenons donc nos 12 élèves en présentiel et 23/24 en distanciel (sur une classe de 35/36). Comment les répartir ? Par ordre alphabétique a priori, pour + de simplicité. Est-ce que ça règle le problème des décrocheurs ? de ceux qui ne pouvaient déjà pas suivre en distanciel ? Non.
Parce que du distanciel, ils vont continuer à en faire 2 semaines sur 3, sans aide spécifique pendant la semaine où ils seront là. Et quand ces élèves cumuleront le fait d'avoir décroché du distanciel et d'être vulnérables (cet empilement d'emmerdements qui touche souvent les
milieux les plus défavorisés) ? Ils resteront en distanciel puisqu'il ne sera sanitairement pas envisageable de les faire revenir au lycée.
Envisageons maintenant les aspects concrets : la propreté, la circulation, la bouffe.
L'exemple de notre lycée moyen d'IDF est toujours utile. Avant le confinement, ce lycée manquait en moyenne de 2 équivalents temps plein pour l'entretien au motif qu'un agent peut nettoyer 800m² par jour.
Sur les agents toujours vaillants, deux se relèvent récemment de très graves problèmes de santé, incompatibles avec une reprise dans le contexte épidémique. Résultat : au minimum 4 équivalents temps plein manquants pour l'entretien.
Vous la voyez venir la désinfection régulière
des locaux... ?
Le personnel d'entretien est aussi le personnel de cantine, cantine qui ne reprendra peut-être pas (voir supra les déclarations de Valérie P.). Si la cantine ne reprend pas, les élèves devront se pourvoir eux-mêmes en nourriture (bonjour l'entassement à la
supérette ou à la boulangerie du coin) ou jeûner (la 1ère blague pourrie sur le Ramadan, j'aligne). La réponse sociale aux besoins élémentaires d'alimentation risque donc d'en prendre un coup dans l'aile (ou la cuisse).
A moins qu'on ne fasse venir les élèves qu'une demi-journée par jour. En lycée, RIP le personnel de direction qui devra faire rentrer l'emploi du temps des trois niveaux du lycée réformé en une semaine réduite aux matinées.
Cherchez pas, c'est impossible, ça ne rentre pas.
Cerise sur le cheesecake : une fois que vous avez fait rentrer votre 1er groupe (sur 3) dans l'établissement (à 1m de distance), qu'ils ont calmement traversé l'établissement à 1m de distance, qu'ils se sont calmement assis ds la salle, c'est là que les ennuis commencent.
Si la meilleure solution, c'est de considérer qu'une fois qu'un groupe d'élèves est dans une salle, il n'en bouge pas pour ne pas aller mêler ses miasmes avec ceux des salles d'à côté, l'élève de lycée reste un être humain.
Il a besoin d'aller aux toilettes, une voire deux fois
dans la matinée. Et il a besoin de prendre une pause, pas toujours en présence de son prof.
On gère comment les pauses ? on suit les élèves avec une lingette javellisée à la main ? (souvenir des jours précédents le confinement)
Alors d'aucuns diront que je suis une grosse
fainéasse qui trouve plein d'excuses pour pas bosser.
Je ne leur répondrai pas (c'est fatiguant).
D'autres diront que je fais exprès de ne voir que des problèmes. Là je répondrai que beaucoup refusent de les voir pour n'avoir jamais mis les pieds dans un lycée peuplé de vrais
adolescents. Ceux qui se touchent, se bousculent, se prennent dans les bras, ceux qui s'asseoient sur les genoux les uns des autres à la pause pendant que le prof fait semblant de ne pas voir. Ceux qui ne savent pas se mettre en ligne le long d'un couloir mais vous obligent à
slalomer. Ceux qui sont vivants, joyeux, inconscients comme on l'est à leur âge. Ceux qui acceptent ce que beaucoup d'adultes refuseraient : passer leurs journées dans des salles bondées, des couloirs jamais aérés, des toilettes sales. Ils méritent un peu mieux que des pistes.
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