Bon, double aveugle, randomisation, contrôle, tout ça, ça veut dire quoi et surtout ça sert à quoi?

La méthodologie des essais cliniques pour les nuls (seulement ceux qui aimeraient être moins nuls, les nuls qui veulent rester nuls allez vous faire cuire le cul ailleurs) 🔽
Quand on veut évaluer l'efficacité d'un médicament pour savoir si on peut le donner à une POPULATION de patients malades, il faut réaliser des études sur des patients, c'est ce qu'on appelle "essai clinique".

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Évidemment les essais cliniques portent sur des ECHANTILLONS de patients : un petit nombre de patients sélectionnés, parmi la population de patients malades que l'on aimerait traiter, pour recevoir le traitement que l'on teste (les veinards ! (sauf à l'IHU)).

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Une fois l'étude réalisée, on veut pouvoir dire si "oui, ça marche", ou si "non, ça marche pas". Et puis on veut pas se tromper. En somme, on veut que notre étude donne des résultats valides.

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Les résultats doivent être doublement valides :
- valides sur notre échantillon (easy !)
- valides dans la population que l'on souhaite traiter (yolo !)

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La validité interne, c'est la validité des résultats que l'on obtient dans l'échantillon de patients sur lequel on fait le test : est-ce qu'on montre bien, sur cet échantillon, ce que l'on prétend montrer?

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La validité externe, c'est tout ce qui fait que les résultats que l'on obtient sur notre échantillon pourront être généralisés à la population des patients malades que l'on aimerait traiter.

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A) Comment est-ce qu'on s'assure de la validité interne? Autrement dit, comment fait-on pour dire qu'un médicament est efficace en le testant sur un échantillon de malades?

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1) Premièrement il faut le comparer à autre chose. L'efficacité en médecine c'est toujours l'efficacité par rapport à autre chose. C'est le principe de comparaison.

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Pourquoi c'est important? Et bien imaginons que vous traitiez 100 patients atteints d'une maladie et que 90 patients guérissent et 10 meurent. Sans groupe contrôle, vous concluriez tel un Raoult que votre traitement est efficace, puisqu'il a permis de guérir 90% des patients.

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Oui mais imaginons que cette maladie guérisse dans 90% des cas spontanément, même sans traitement. Qu'est-ce qui vous permet de dire que c'est votre traitement qui a guéri les malades et non l'évolution naturelle de la maladie?

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Et si cette maladie guérit spontanément dans 95% des cas, en fait votre traitement serait potentiellement nocif mais, sans groupe contrôle, vous ne vous en apercevriez pas et penseriez à tort qu'il est efficace...

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La question qu'on se pose n'est pas tant "le médicament est-il efficace" mais "le médicament est-il plus efficace qu'autre chose"?

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Alors à quoi peut-on comparer notre médicament? Et bien on peut tout imaginer, mais faut que ce soit pertinent.

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- On peut le comparer à rien : Un groupe de patients reçoit le médicament à l'essai, un groupe de patient ne reçoit pas le médicament à l'essai et ne reçoit rien d'autre

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- On peut le comparer à un placebo : Un groupe de patients reçoit le médicament à l'essai, un groupe de patient reçoit un placebo. L'intérêt d'un placebo c'est de savoir ce qu'il se passe par "effet placebo".

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- On peut le comparer à un traitement de référence (un traitement ayant une efficacité déjà démontrée) : Un groupe de patient reçoit le médicament à l'essai, un groupe de patient reçoit un traitement déjà existant de la maladie.

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- On peut même tester si notre médicament apporte un bénéfice ajouté à un traitement de référence : Un groupe de patient reçoit le médicament à l'essai et le traitement de référence, et l'autre groupe de patient reçoit le traitement de référence seul ou avec un placebo.

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Dans tous les cas il faut donc deux groupes :
- un groupe de patients qui reçoit le traitement à l'essai
- un groupe "contrôle" de patients qui ne le reçoit pas (et peut recevoir autre chose : placebo, traitement de référence etc...)

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2) Deuxièmement il faut être sûr que la différence de résultats entre les deux groupes est due uniquement au fait que l'un des groupes a reçu le médicament à l'essai et que l'autre groupe ne l'a pas reçu. C'est ce qu'on appelle le principe de causalité.

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Pour cela, il faut que les groupes soient comparables pour que la seule différence entre les groupes soit que l'un a reçu le traitement à l'essai et l'autre pas.

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Ainsi on pourra dire, à la fin de l'étude : la différence que j'observe est vraiment due au fait qu'un groupe prend le traitement et l'autre pas.

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Il faut que les groupes soient comparables :
- Au début de l'étude
- Tout au long de l'étude

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Pour que les groupes soient comparables au début de l'étude, on met les patients dans chaque groupe au hasard. Ca s'appelle la "randomisation".

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On tire au sort, dans notre échantillon, les patients qui auront le traitement à l'essai et ceux qui ne l'auront pas (ou auront un placebo, ou un traitement de référence etc...)

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Pour s'assurer que les groupes cont comparables tout au long de l'étude, on met en place une procédure dite "de double aveugle". C'est à dire que ni le médecin ni le patient ne doivent savoir quel traitement est donné au patient.

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Cela permet d'éviter certains biais lors de l'étude, par exemple :

- si un patient sait qu'il est traité par un placebo il peut avoir tendance à minimiser les effets indésirables qu'il subit.

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- inversement, si un patient sait qu'il est traité par le médicament à l'essai, il peut avoir tendance à déclarer plus d'effets indésirables.

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- selon que le patient est enthousiaste ou pessimiste sur le traitement à l'essai, il peut avoir tendance à rapporter différemment une même amélioration

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- un médecin peut être particulièrement enthousiaste si il sait que le patient est traité par un médicament porteur d'espoir
- un médecin risque d'être moins regardant sur les effets indésirables si il sait que le patient est dans le groupe placebo.

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3) Troisièmement il faut être sûr que la différence qu'on observe entre les groupes ne soit pas due au hasard.

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Pour comprendre, imaginions que vous traitiez 4 patients, 2 avec un médicament, 2 avec un placebo.
Vous observez une guérison dans le groupe médicament, et aucune guérison dans le groupe placebo.

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Concluriez vous sur un si petit effectif que le médicament est efficace? Bien sûr que non. Pourtant dans un groupe il y a 50% de guérison et dans l'autre 0%.

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Mais 50% de guérison sur 2 patients c'est pas pareil que 50% de guérison sur 100 patients ou sur 1000 patients. La précision de ce que l'on mesure est importante à prendre en compte.

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Pour prendre en compte cette précision, on utilise des tests statistiques.

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Après avoir formulé des hypothèses...
H0 : il n'y a pas de différence entre les groupes
H1 : il y a une différence entre les groupes

... on observe des résultats sur l'échantillon :
Évènement dans le groupe médicament à l'essai
Évènement dans le groupe contrôle

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Les tests statistiques répondent à la question : si H0 est vraie, quelle est la probabilité d'obtenir ce que j'obtiens sur mon échantillon?

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Si cette probabilité est vraiment faible (disons moins de 5%), alors on rejette H0 : les résultats que j'obtiens dans mon échantillon ne sont pas compatibles avec H0, et donc je conclus qu'il y a une différence entre les groupes.

Sinon je ne rejette pas H0.

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Exemple :

Je formule des hypothèses...
H0 : il n'y a pas de différence de pourcentage de guérison entre les patients traités par médicament A et les patients traités par placebo de A
H1 : il y a une différence de pourcentage de guérison entre les deux groupes

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Je mène mon étude randomisée en double aveugle, et je trouve...
Sur 100 patients traités par A, 90% de guérison
Sur 100 patients traités par placebo, 40% de guérison

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Je fais un test statistique qui me dit que si il n'y a pas, en réalité, de différence de guérison entre les patients traités par A et les patients traités par placebo, alors la probabilité ("petit p" = "p-value") que j'observe 90% de guérison versus 40% de guérison est [...]

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[...] très faible, inférieure à 5% (<0,05), et donc je peux rejeter l'hypothèse H0, mon médicament est bien efficace.

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B) Comment fait-on pour s'assurer de la validité externe d'un essai clinique?

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Autrement dit : comment moi, chercheur, je fais pour être sûr que les résultats que j'obtiens sur l'échantillon de patient que je vais tester seront généralisables à la population des patients qui prendront le traitement dans la vraie vie?

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Et bien en fait c'est ça le plus dur. Parce que dans la vraie vie ça se passe jamais comme dans les essais cliniques.

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Quelques éléments de méthodologie nécessaires pour améliorer la validité externe, non exhaustifs :

- Préparer correctement l'étude, avoir une bonne connaissance du sujet, faire une bibliographie complète sur le sujet
- Fixer des objectifs clairs

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- Calculer un nombre de sujets nécessaires
- Bien choisir le critère de jugement principal (c'est à dire le "endpoint" : le critère sur lequel on va juger l'efficacité)

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- Sélectionner les participants à l'étude correctement : il faut qu'ils ressemblent le plus possible à l'ensemble des patients que l'on veut traiter dans la vraie vie
- Mener l'étude correctement, s'assurer de la fiabilité des données recueillies

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- Faire une analyse "en intention de traiter" : prendre en compte dans l'analyse statistique tous les patients randomisés, en se mettant si besoin dans le cas le plus défavorable pour le traitement à l'essai

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Par exemple si des patients meurent ou sortent d'étude parce qu'ils sont transférés en réanimation, ne surtout pas les exclure, les compter comme des échecs ! Faudrait vraiment être fou pour faire comme si ces patients n'existaient pas BORDEL DE MERDE !!!

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Voilà, maintenant vous savez pourquoi la méthodologie des essais cliniques c'est important.

Et vous savez pourquoi les études du Pr Raoult ne permettent pas de dire que la chloroquine est efficace.

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