Bref, à cause du Covid-19, notre dette publique va encore augmenter de quelques milliards. Pour les plus jeunes, c’est une habitude à prendre : la dette publique augmente toujours et il y a toujours une excellente raison pour le justifier. #Thread
Le principe est assez simple : en cas de crise, il faut faire du déficit parce que Keynes disait qu’il faut relancer la croissance. En l’absence de crise, il faut en faire aussi parce que sinon c’est de l’austérité (et on se fiche de ce que cet abruti de Keynes racontait).
Ce qui fait que, depuis 1975, nous enchainons les déficits avec une constance remarquable : les plans de relance succèdent aux périodes de « faustérité » (e.g. périodes durant lesquels on est en déficit mais moins que l’année précédente).
Parallèlement et sans qu’aucune explication ne permette de faire le lien avec ce qui précède, notre dette publique ne cesse de croître : fin 2019, il y en avait pour 2 380.1 milliards soit, en gros, pour 1 an et 11 mois de recettes de l’ensemble des administrations publiques.
Pour fixer les idées, ça signifie que si nous consacrions l’intégralité des revenus de toutes les administrations publiques au seul remboursement du capital que nous avons emprunté, il faudrait 1 an et 11 mois pour rembourser la dette.
Évidemment, ce chiffre ne tient pas compte des intérêts et néglige le fait que la dette publique officielle, au sens de Maastricht, n’est que la partie émergée de l’iceberg. En réalité, nous devons 3 à 4 fois plus que ça à nos créanciers.
Bref, nous sommes endettés jusqu’au coup et ça ne va pas s’arranger dans les mois qui viennent.
Une solution, dans notre situation, ça serait de couper les dépenses inutiles et de rationaliser les autres afin de dégager des excédents et, histoire d’aller plus vite, de revendre (le plus cher possible) une partie du patrimoine de l’État.
Ça serait long, ça demanderait pas mal de sacrifices et la SNCF se mettrait en grève (comme tous les ans depuis 1947) mais ça serait jouable : on rembourserait nos dettes et on se promettrait collectivement de ne pas recommencer.
Vous avez sans doute noté que je n’ai pas évoqué la piste d’une hausse d’impôts. On pourrait se contenter de dire qu’avec un taux de prélèvements obligatoires de 45% du PIB, le plus haut de notre histoire et l’un des plus élevé au monde, ça s’annonce coton.
Mais c’est plus compliqué : taxer les pauvres, c’est évidemment exclu (ils n’ont pas un sous) mais imposer les riches (les vrais, les Bernard Arnault et consorts), ça n’est pas forcément plus simple : d’une part, ils se méfient et, d’autre part, ils sont très mobiles.
Concrètement : ils vont vous voir venir de loin et, au moment où vous voudrez les taxer, ils seront partis s’abriter dans un paradis fiscal (c’est-à-dire n’importe quel pays autre que la France) et vous serez privés de vos plus gros contribuables. C’est ballot.
Du coup, il faudrait taper au milieu, sur les fameuses classes moyennes, lesquelles sont déjà abruties d’impôts, nombreuses et politiquement actives — en fait, c’est l’essentiel de votre base électorale. Pas une bonne idée, donc.
Dernière solution, brutale, issue de nos livres d’histoires : celle qui consiste à trouver un bouc émissaire. C’est la méthode des Philippes (le Bel et Auguste) : désigner un coupable et concentrer le feu sur lui en justifiant ça comme on peut. Mais bon, c’est sale.
Mais que mes lecteurs se rassurent : ça n’arrivera probablement pas. Ce qui va sans doute se passer, c’est que, d'une façon ou d'une autre, nous n’allons pas rembourser nos dettes.
Pour ce qui est de la justification, elle est déjà trouvée. Vous connaissez le principe : en France, une dette est toujours légitime quand on la contracte mais elle est toujours illégitime lorsqu’il faut la rembourser.
(Fun fact : l’expérience prouve que ceux qui sont les plus virulents lorsqu’il est question de combattre les prétendues mesures d’austérités sont précisément les premiers à juger la dette illégitime.)
Le vrai sujet, c’est donc la méthode. Fort heureusement, il en existe deux très connues que la longue et lamentable histoire des États impécunieux nous permet d’évaluer avec un assez bon de grès de précision.
La première, le grand classique, c’est le défaut de paiement. Assez simplement, ça consiste à dire à nos créanciers que nous ne rembourseront pas tout ou partie* de nos dettes et puis c’est tout.

(*) Dans ce cas, on parle d’un « haircut ».
Évidemment, vous ne pouvez pas faire ça avec votre banquier mais l’État, lui, il peut. Je rappelle ici qu’un État, par définition, c’est l’organisation qui dispose du monopole de la contrainte (la police la justice et, au besoin, l’armée) sur un territoire donné.
Forcément, on va se fâcher tout rouge avec quelques voisins (comme les retraités et futurs retraités néerlandais qui, via leurs fonds de pension, nous financent depuis des années) mais le risque d’une invasion hollandaise est relativement limité.
Plus embêtant : un bon paquet de nos créanciers sont nos compatriotes et ils ne vont pas être contents. Notez que je ne parle pas de Bernard Arnault mais plutôt de ceux d’entre vous qui ont une assurance vie en euros ou retraite complémentaire (par exemple).
C’est-à-dire que ça va faire un gros paquet de râleurs et que, politiquement, ça risque de poser quelques problèmes de vivre-ensemble, surtout avec ceux qui réaliseront un peu tard que les créanciers de l’État, en fait, c’était eux.
Mais en vrai, la vraie limite du défaut de paiement c’est qu’il faut s’assurer de ne plus avoir besoin de créanciers pendant un moment. Clairement, ils ne se bousculeront plus au portillon et les rares qui accepteront encore de nous prêter le feront à un taux usuraire.
Si donc vous espériez envoyer paître nos créanciers et, dans la foulée, retourner les voir pour qu’ils financent nos déficits : oubliez pour quelques temps. (Je rappelle au passage que la fameuse affaire des emprunts russes, ça date de 1918.)
Bref — et là, je vais faire plaisir à Jean-Luc Mélenchon et ses insoumis — c’est tout à fait faisable mais il faudrait être un peu demeuré (ou de très mauvaise foi) pour dire que ça n’aura pas de conséquences.
L’autre méthode, plus subtile, c’est l’inflation. Pour ce faire, la seule chose donc vous avez besoin est une banque centrale coopérative dotée de ce que l’on nomme (par abus de langage, l’essentiel des monnaies modernes étant électronique) une planche à billet.
Principe de base : dans un régime de fiat monnaie (i.e. votre monnaie n’est garantie par rien du tout), une banque centrale peut émettre autant de monnaie qu’elle le souhaite et ce, pour un coût virtuellement nul.
Si, par exemple, la BCE a besoin de 100 milliards d’euro, un préposé dûment accrédité s’assoie devant un ordinateur à Francfort-sur-le-Main, tape 1 suivit de 11 zéros, presse le bouton « Entrée » et le tour est joué. (Oui, sérieusement).
De là, plusieurs techniques : la première, grossière, consiste à obliger la banque centrale à créer des milliards, à vous les prêter gratuitement de telle sorte que vous puissiez les utiliser pour rembourser vos dettes et financer vos dépenses.
La seconde, plus sioux, consiste à inciter la banque centrale à inonder l’économie de milliards de telle sorte que votre monnaie (celle dans laquelle vous êtes endetté), perde rapidement de la valeur. Résultat : vous remboursez mais en monnaie de singe.
Dit comme ça, forcément, vous êtes sans doute un certain nombre à vous dire que c’est un arbre à pognon magique et à vous demander pourquoi on ne l’a pas encore fait. Il se trouve qu’on l’a fait, ici et là, tout au long de l’histoire, et qu’en général ça se termine très mal.
Déjà, il faut bien comprendre que les politiques inflationnistes créent de l’argent mais pas de richesse. En fait, c’est juste un transfert de richesse depuis ceux qui sont endettés (l’État) vers ceux qui détiennent de la monnaie (les petits épargnants).
(Notez bien que j’ai dit les « petits » épargnants : les gros, les Bernard Arnault e tutti quanti, ils s’en fichent complètement : ils sont riches en actions dont la valeur réelle n’a aucune raison d’être affectée par la perte de valeur de la monnaie.)
Le gros avantage par rapport à un impôt en bonne et due forme, néanmoins, c’est que la seule chose que voient vos victimes, ce sont des prix qui montent dans les magasins. C’est très pratique : ça vous permet de blâmer les commerçants qui spéculent !
(Après quoi, en général, vous décrétez le contrôle des prix ; ce qui cause des pénuries ; lesquelles provoquent des manifestations que vous réprimerez un peu violement. Toute ressemblance avec le Venezuela est naturellement purement fortuite.)
Autre défaut, toutefois, vos créanciers ne sont pas totalement stupides et comprennent très bien à quel jeu vous jouez. Du coup, vous épongez votre stock de dettes mais pour ce qui est d’emprunter à nouveau, c’est plus cher (du niveau de l’inflation attendu).
Le problème, en ce qui nous concerne aujourd’hui, c’est que la BCE n’est pas aussi coopérative que certains aimeraient. C’est-à-dire qu’elle a des gènes allemands et que les allemands gardent un cuisant souvenir de leur dernière tentative inflationniste.
En d’autres termes, pour faire chauffer la planche à billet façon Chávez, il faudrait sortir de la zone euro et remettre la main sur celle de la Banque de France — c’est ce que certains appellent la « souveraineté monétaire » et c’est le grand rêve de Marine le Pen.
Bref voilà : il y a de bonnes vieilles méthodes pour se débarrasser de notre dette assez rapidement mais aucune n’est indolore. Il y a toujours quelqu’un qui paie et, dans les deux cas susmentionnés, ce seront surtout les petits épargnants. #Fin
Bon, comme d’hab, c’est plein de typos. Notez que, sur l’inflation, il fallait lire « c’est juste un transfert de richesse depuis ceux qui détiennent de la monnaie (les petits épargnants) vers ceux qui sont endettés (l’État). »
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