Quand on parle de la dette publique, on parle en général de la dette publique « au sens de Maastricht ». C’est une norme mise en place lors du traité du même nom par laquelle nous avons défini ce que nous entendons, officiellement, par « dette publique ». #Thread
À la fin 2019, il y en avait pour 2 380.1 milliards d’euros : c’est principalement la dette de l’État (1 911.8 milliards) et plus marginalement celle des ODACs, des administrations publiques locales et des administrations de sécurité sociale.
Source :
https://www.insee.fr/fr/statistiques/2830192
Le problème, c’est que cette norme ne tient pas compte d’un paquet d’engagements financiers de l’État — le paiement des retraites des fonctionnaires, par exemple — lesquels ont augmenté de façon spectaculaire et incontrôlée ces dernières années.
Ce sont les « engagements hors bilan » de l’État. Au 31 décembre 2018, on les évaluait à quelque chose comme — tenez-vous bien — 4 300 milliards d’euros (i.e. deux fois la dette publique au sens de Maastricht !)

Source :
https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/files/documents/budget/comptes/2018/CGE2018.pdf#page=6
Et encore : c’est ce qui est reconnu officiellement. À ça, vous pouvez rajouter la dette des entreprises publiques : EDF, Orano (ex-Areva), la SNCF… Officiellement, ce n’est pas de la dette publique mais qui croit sérieusement que l’État ne fera rien en cas de coup dur ?
(Sauf pour SNCF Réseau : en 2018, Eurostat a estimé qu’elle devait être requalifiée en administration et sa dette réintégrée aux comptes de l'État. Mine de crayon, ça faisait, à l’époque, 50 milliards de plus d’un coup. #Oups)
Bref, officiellement, la dette publique au sens de Maastricht s’élevait à 2 380.1 milliards d’euros au 31 décembre 2019 — dont 1 911.8 milliards (80% du total) pour l’État.
La dette de l’État, à un peu plus de 95%, c’est la « dette négociable de l’État ». Au 31 décembre 2019, il y en avait exactement pour 1 822 805 311 037 euros.

Source :
https://www.aft.gouv.fr/files/medias-aft/7_Publications/7.2_BM/BM_2020/356_Bulletin%20mensuel%20janvier%202020.pdf
Elle est dite « négociable » parce qu’elle a été souscrite via des obligations sur les marchés financiers (on dit qu’une obligation est négociable parce que son propriétaire peut la revendre à un tiers : ça ne signifie pas que vous pouvez négocier son remboursement).
(Et non, l’État ne contracte pas de crédits bancaires comme vous et moi : aucune banque au monde n’est capable d’offrir des conditions aussi avantageuses que les marchés financiers.)
Ces obligations sont émises par l’Agence France Trésor, un service de Bercy, pour le compte de l’État. Leur mission : emprunter ce dont l’État estime avoir besoin et faire en sorte que ça coûte le moins cher possible.
La République française émet deux sortes d’obligations : les BTF (bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté) pour la trésorerie (des emprunts à moins d’un an) et les OAT (obligations assimilables du Trésor) pour les emprunts à plus long terme.
Technique :
Un BTF, c’est un « zéro coupon ». C’est-à-dire que l’État vous vend un papier remboursable à hauteur de €100 dans 6 mois ; si vous acceptez de le payer €99, la différence de €1 ce sont les intérêts.
Une OAT est aussi remboursée à sa date de maturité (dans 10 ans par exemple) mais elle paie des intérêts sous forme de « coupons » annuels — c’est-à-dire que tous les ans, l’État vous verse des intérêts en cash.
(Sauf que, ces dernières années, les taux d’intérêt sont négatifs : les BTF se vendent plus cher que leur valeur de remboursement et l’État émet des OAT avec 0% d’intérêts qui se vendent aussi régulièrement plus chères que leur valeur de remboursement… Bref.)
En moyenne, toujours au 31 décembre 2019, ces obligations avaient une vie moyenne (le temps qui nous sépare de leur date de remboursement) de 8 ans et 63 jours. La plus « longue » est une OAT remboursable le 25 mai 2066.
On ne sait pas exactement qui sont nos créanciers pour la bonne et simple raison que les obligations, on l’a dit, sont négociables : c’est-à-dire que l’acheteur initial peut très bien l’avoir revendue à quelqu’un d’autre sans que l’État n’en sache rien.
Et quand bien même l’État serait capable de connaitre les positions de tous les investisseurs dans le monde entier (parce que nombre de nos créanciers ne sont pas français), ça resterait affreusement compliqué.
Exemple : une banque irlandaise achète une OAT pour le compte d’un fonds d’investissement luxembourgeois géré depuis Francfort ; lequel fonds est notamment détenu par une compagnie d’assurance française qui s’en sert pour placer l’argent de votre assurance vie.
Notez qu’on connait au moins un de nos gros créanciers : c’est la Banque de France. Elle achète des obligations d’État française dans le cadre de la politique monétaire de la BCE. Grosso modo, elle doit détenir pas loin de 20% de la dette négociable à elle seule !
(Notez que c’est tout à fait légal : elle a acheté ces titres sur le marché et n’a donc pas prêté directement au Trésor. La BdF étant publique, ça signifie que l’État se paie des intérêts à lui-même… sauf que les intérêts sont souvent négatifs en ce moment. #lolilol)
(Ce qui n’empêche pas que la politique monétaire de la BCE soit une opération particulièrement juteuse pour l’État : en 2018, sur un résultat de 7 milliards d’euros, la BdF a reversé 5.6 milliards d’impôts et de dividende à son unique actionnaire.)
Au total, la dette de l’État nous coûte encore quelque chose comme 41 à 42 milliards d’euros par an d’intérêts (beaucoup moins, si on tient compte de ce qui précède) ; ce qui, rapporté à son montant, est en réalité très faible : ça fait un taux moyen de l’ordre de 1.7% !
Partant de ça, nombreux sont ceux qui pensent qu’il faut en profiter pour s’endetter encore plus mais c’est une grosse erreur : la dette, même si elle ne coûte pas cher, devra être remboursée un jour.
Début avril, par exemple, l’AFT a emprunté un peu moins de 5 milliards remboursables en novembre 2028 à (un peu moins de) 0% d’intérêts. Évidemment, ça a le goût, l’odeur et la couleur du jackpot dont il faudrait profiter à fond.
Sauf que voilà, en novembre 2028, il faudra rembourser ces 5 milliards ce qui nous laisse deux possibilités :

1/ Rembourser pour de bon et donc, réduire d’autres postes de la dépense publique ou augmenter les impôts (qui sont déjà affreusement élevés).
2/ Réemprunter 5 autres milliards pour rembourser cette obligation… Sauf que dans 8 ans, rien ne permet de savoir où en seront les taux : s’ils ont augmenté, ça peut tout à fait nous coûter un bras.
Bref, c’est horriblement risqué et ce, je le rappelle, d’autant plus que notre dette publique officielle n’est que la partie émergée de l’iceberg. #Fin
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