Bravo, la réponse à ce quiz est la réponse la plus sollicitée, "A" pour... https://twitter.com/Hcomosa/status/1249369980296146945
AMARANTE ! #Thread sur cette plante aux belles perspectives agronomiques ⬇️⬇️⬇️
D'abord, quel lien avec les images ? HG: Plante largement cultivée par les aztèques (entre autres); HD: Certaines espèces sont connues pour leur multi-résistance aux herbicides, dont le glyphosate; (3) Amaranthine, pigment abondant chez l'amarante; (4) Les graines de la plante.
Le quinoa a été largement choisi aussi, c'est normal vu qu'il ressemble à l'amarante, il a partiellement les même usages et la même origine. Mais le glyphosate faisait fortement pencher la balance vers l'amarante.
Les amarantes (ou amaranthes) sont un ensemble d'espèces du genre Amaranthus, famille des Amaranthaceae. Cette famille inclut d'autres espèces cultivées plus connues, comme le quinoa, l'épinard ou la betterave.
NB. Ces autres plantes étaient classées autrefois dans les Chenopodiaceae, mais l'entièreté de cette famille a été intégrée aux Amaranthaceae (dès APG I).
Le genre contient environ 70 espèces (délimitation taxonomique parfois floue), dont la majorité sont originaires des Amériques, une dizaine seulement du reste du monde.
Par souci de simplicité, j'utiliserai "l'amarante" au singulier pour désigner l'ensemble des espèces d'intérêt.
Indépendemment de la phylogénie, on peut classer les espèces d'intérêt pour l'humain en 4 catégories selon leur usage :
1/ Espèces cultivées pour leurs feuilles, surtout A. tricolor et A. blitum mais aussi A. dubius, A. cruentus et A. viridis (17 espèces au total !). Elles se consomment comme des épinards. (Images : Das 2016)
2/ Espèces cultivées surtout pour leurs graines. 3 espèces : A. hypochondriacus, A. caudatus & A. cruentus. Ceci leur vaut l'appellation de "pseudo-céréales". Elles sont aussi exploitables pour les feuilles.
(Image: Joshi 2016)
NB: on désigne une plante de "pseudo-céréale" si elle s'utilise comme une céréale, mais ne fait pas partie de la famille des Poaceae (anc. graminées). On peut citer le quinoa et le sarrasin en plus de l'amarante.
(Image : Das 2016)
3/ Espèces ornementales, valorisées pour leur feuillage multicolore (regardez cette A. tricolor) et les inflorescences colorées et imposantes (cfr. 2 tweets plus haut).
(Image: Wiki Commons, User:Tangopaso)
4/ Espèces "mauvaises herbes" (A. dubius, A. graecizans, A. hybridus, A. powelii, A. quitensis, A. retroflexus, A. spinosus, A. viridis). Désolé si je cause des sueurs froides aux agriculteurs à la vue de ces images.
(Image: Das 2016)
Parlons un peu de domestication !
Les espèces à graines sont originaires d'Amérique (Nord/Centrale pour A. cruentus et A. hypochondriacus, Sud pour A. caudatus) et ont été domestiquées par les populations pré-colombiennes il y a 1500-8000 ans selon les espèces.
C'était une plante très importante dans la civilisation aztèque (au Mexique donc), où elle était cultivée en masse et inclue dans des rituels religieux (p. ex sacrifiée au côté d'humains #fête) en plus de la consommation alimentaire.
Lorsque les colons espagnols sont arrivés au Nouveau-Monde, ils ont interdit la culture de la plante vu son implication dans la religion. Mais pendant les siècles suivants elle a été petit à petit disséminée et utilisée à plusieurs endroits dans le monde.
Il y a plusieurs hypothèses de domestication, la plus solide au regard des dernières données moléculaires est la domestication des 3 espèces à partir de A. hybridus, probablement en plusieurs fois.
Ces espèces à graines sont aujourd'hui cultivées surtout en Amérique et en Chine.
Par contre les nombreuses espèces utilisées pour leurs feuilles n'ont, pour la majorité d'entre elles, pas été domestiquées. Quand ça a été le cas, c'était en Asie (comme A. lividus ou A. tricolor, mais à la base originaires d'Amérique du Sud).
Elles sont surtout utilisées en Afrique où elles sont parmi les légumes verts les plus consommés ! Souvent récoltées directement dans la nature (donc sans étape de domestication), elles sont aussi parfois cultivées en champ.
Il y a eu regain d'intérêt dans les années 70', où la plante est valorisée dans le livre "Underexploited Tropical Plants with Promising Economic Value" (1975) et un article publié dans Science en fait un plaidoyer (Marx 1977).
Donc depuis quelques décennies il y a de plus en plus d'intérêt scientifique sur cette plante, dans la perspective de la cultiver à bien plus grande échelle. Mais qu'est-ce qui la rend si prometteuse pour les futurs systèmes agricoles ?
Elle a des caractéristiques
(1) Nutritionnelles
(2) Physiologiques
(3) Agronomiques
particulièrement intéressantes.
1/ NUTRITION
Grande qualité nutritionnelle à presque tous les points de vue :
- Protéines abondantes (un peu plus que les céréales), entre 15 et 20g/100g.
- Protéines de qualité. Elles ont un meilleur équilibre en acides aminées que les céréales et les légumineuses (qui manquent de lysine et acides aminés soufrés, respectivement), la protéine est presque "parfaite", comparable aux protéines d'oeuf !)
Ce sont surtout des albumines et globulines (50-60%), glutéines (20%) et prolamines (12%)
- Protéines très digestes, car il y a peu de facteurs antinutritionnels (contrairement aux légumineuses), et qui en plus partent rapidement à la cuisson (graines et feuilles contiennent des nitrates, oxalates et acide phytique).
- Huile de qualité, avec une teneur impressionnante en squalène et tocophérols (vitamines E). Sinon les acides gras sont principalement insaturés, avec essentiellement l'acide oléique (C18:1) et linoléique (C18:2).
- Richesse en nutriments divers (fer, calcium, vitamine C, bêta-carotène), dans les feuilles et graines.
2/ PHYSIOLOGIE
- Elle a une photosynthèse en C4. Sans rentrer dans les détails (ça mériterait un autre thread), ceci implique des modifications physiologiques et morphologiques par rapport aux espèces faisant la photosynthèse "de base" (dite en C3).
Cette photosynthèse est bien plus efficace dans les environnements chauds, secs et lumineux par une meilleure gestion de l'eau. Parmi les plantes cultivées, le maïs et la canne à sucre sont dans ce cas.
(pour les connaisseurs, l'amarante a une photosynthèse C4 de type à enzyme malique NAD-dépendante)
3/ AGRONOMIE
Elle présente une résistance à la salinité assez intéressante, la salinisation des terres agricoles étant un problème de plus en plus répandu. Et vu sa photosynthèse en C4, c'est une espèce intéressante pour valoriser des terres dans des climats chauds et secs.
Elle a assez peu de maladies/ravageurs. L'amarante semble insensible aux nématodes, ça en fait une bonne espèce de rotation avant des cultures sensibles à ces vers. Il y a bien quelques maladies & ravageurs divers, mais en comparaison avec d'autres cultures c'est assez modéré.
Donc globalement elle nécessite peu d'intrants, mais il est quand même intéressant d'avoir une richesse en azote (surtout pour la production de feuilles) et un apport en eau suffisant pour éviter une floraison précoce (de nouveau c'est intéressant pour les variétés à feuilles).
En plus de ça, elle a beaucoup d'usages médicinaux traditionnels. Cependant, ça nécessite de la recherche clinique pour valider les effets et identifier les molécules impliquées.
Vu qu'on a "redécouvert" cette plante récemment, il faut mettre le paquet dans les programmes de sélection. En commençant par des caractères basiques, comme l'homogénéité et l'adaptation à la récolte mécanique (réduction de la taille de la plante p.ex) et ↑ du rendement.
Il est aussi important de limiter la déhiscence des graines pour limiter les pertes en champ !
Historiquement elle était cultivée à des lat. de +- 30° max pour des raisons de photopériode. En effet, plusieurs espèces ont besoin de journées de <12h pour l'activation de la floraison. Mais des variétés ont été sélectionnées pour des latitudes plus élevées.
Et certaines espèces sont insensibles à la photopériode (comme A. hypochondriacus).
Quelques progrès en sélection ont déjà été faits depuis les années 1970, mais il reste beaucoup à faire.
Des effets d'hétérosis conséquents ont été observés (par exemple chez A. hypochondriacus x A. cruentus), ça rend prometteur la création de variétés hybrides performantes.
Il y a des pistes de stérilité mâle cytoplasmique; une seule variété CMS a été enregistrée jusqu'ici, l'année dernière. C'est particulièrement utile car l'inflorescence est complexe, les fleurs minuscules et les fleurs ♂ uniques parmi 100-250 fleurs ♀ !
Regardez la structure d'une des nombreuses inflorescences axillaires. La plante (monoïque) est auto-fertile et l'auto-pollinisation est majoritaire (le pollen des fleurs mâles tombant sur les inflorescences situées plus bas).
La transgenèse est envisageable mais la plante est récalcitrante à la culture in vitro.
Des caractères très intéressants présents uniquement chez les espèces sauvages ont été identifiés (caractères nutritionnels et de rendement entre autres), ce qui ouvre des perspectives d'introgression dans les espèces domestiquées.
Le rouge ou jaune des inflo. et parfois des feuilles est causé par des pigments de la classe des bétalaïnes. Ils se retrouvent uniquement chez les espèces des caryophyllales. Un de ceux-ci est l'amaranthine, qui tire son nom de l'amarante.
(Image : Gandía-Herrero et al. 2013)
Il y a une curiosité taxonomique vraiment intrigante. Ils sont mutuellement exclusifs des anthocyanes, une autre classe de pigments largement répandus chez les plantes. Autrement dit, s'il y a des bétalaïnes dans une plante, pas de trace d'anthocyane. Et vice versa.
Ces pigments sont issus de la voie du shikimate.
Cette voie est également bien connue pour autre chose...
C'est la cible du glyphosate. Comme dit plus haut, plusieurs amaranthes adventices sont connues pour avoir développé des (multi-)résistances à une série d'herbicides. Elles sont particulièrement problématiques dans les cultures d'OGMs Round-Up Ready.
Ce sujet m'intéresse particulièrement car je vais commencer une thèse sur Amaranthus cruentus en septembre ! (si l'état belge a encore de l'argent pour financer ça après cette crise hum 😬)
L'objectif sera de décrypter (1) les mécanismes physiologiques/moléculaires de résistance à la salinité et (2) l'impact du sel sur ses propriétés nutritionnelles (feuilles & graines), son rendement et sa floraison.
Tout ça sur des variétés à graines et d'autres à feuilles, en serre, puis vérifié en champ.

Plein de physio et biochimie en perspective !
(et comptage de graines aussi)
Tout cela mérite beaucoup plus d'approfondissement, je ferai sûrement des threads plus détaillés sur l'un ou l'autre aspect de mon travail.
Fin, merci pour la lecture !
Bonus musical pour la fin, avec la chanson "Amaranth" de Nightwish qui parle de cette plante dans le refrain :
La biblio est assez longue, et j'ai pas trop envie de rajouter 45 tweets.
Elle est disponible ici: https://uclouvain-my.sharepoint.com/:w:/g/personal/adluyckx_oasis_uclouvain_be/EXMY7U0QD0JOrcBQKjkXYNkBgWmThiQwNWZZjbtzwlvlpw?e=fAFbmu
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